LA ROUTE DE BELGIQUE
En effet, un coup d’œil jeté sur la jeune fille pouvait presque expliquer le sentiment que venait d’avouer Morcerf. Mademoiselle Danglars était belle, mais, comme l’avait dit Albert, d’une beauté un peu arrêtée : ses cheveux étaient d’un beau noir, mais dans leurs ondes naturelles on remarquait une certaine rébellion à la main qui voulait leur imposer sa volonté ; ses yeux, noirs comme ses cheveux, encadrés sous de magnifiques sourcils qui n’avaient qu’un défaut, celui de se froncer quelquefois, étaient surtout remarquables par une expression de fermeté qu’on était étonné de trouver dans le regard d’une femme ; son nez avait les proportions exactes qu’un statuaire eût données à celui de Junon : sa bouche seule était trop grande, mais garnie de belles dents que faisaient ressortir encore des lèvres dont le carmin trop vif tranchait avec la pâleur de son teint ; enfin un signe noir placé au coin de la bouche, et plus large que ne le sont d’ordinaire ces sortes de caprices de la nature, achevait de donner à cette physionomie ce caractère décidé qui effrayait quelque peu Morcerf.
La raison de l’Opéra était d’autant meilleure à donner, qu’il y avait ce soir-là solennité à l’Académie royale de musique. Levasseur, après une longue indisposition, rentrait par le rôle de Bertram, et, comme toujours, l’œuvre du maëstro à la mode avait attiré la plus brillante société de Paris.
Morcerf, comme la plupart des jeunes gens riches, avait sa stalle d’orchestre, plus dix loges de personnes de sa connaissance auxquelles il pouvait aller demander une place, sans compter celle à laquelle il avait droit dans sa loge des lions.
Château-Renaud avait la stalle voisine de la sienne.
Beauchamp, en sa qualité de journaliste, était roi de la salle et avait sa place partout.
Ce soir-là Lucien Debray avait la disposition de la loge du ministre, et il l’avait offerte au comte de Morcerf, lequel, sur le refus de Mercédès, l’avait envoyée à Danglars, en lui faisant dire qu’il irait probablement faire dans la soirée une visite à la baronne et à sa fille, si ces dames voulaient bien accepter la loge qu’il leur proposait. Ces dames n’avaient eu garde de refuser. Nul n’est friand de loges qui ne coûtent rien comme un millionnaire.
Quant au baron Danglars, il avait déclaré que ses principes politiques et sa qualité de député de l’opposition ne lui permettaient pas d’aller dans la loge du ministre. En conséquence, la baronne avait écrit à Lucien de la venir prendre, attendu qu’elle ne pouvait pas aller à l’Opéra seule avec Eugénie.
En effet, si les deux femmes y eussent été seules, on eût, certes, trouvé cela fort mauvais ; tandis que mademoiselle Danglars allant à l’Opéra avec sa mère et l’amant de sa mère il n’y avait rien à dire : il faut bien prendre le monde comme il est fait.
La toile se leva, comme d’habitude, sur une salle à peu près vide. C’est encore une habitude de notre fashion parisienne, d’arriver au spectacle quand le spectacle est commencé : il en résulte que le premier acte se passe, de la part des spectateurs arrivés, non pas à regarder ou à écouter la pièce, mais à regarder entrer les spectateurs qui arrivent, et à ne rien entendre que le bruit des portes et celui des conversations.
Ils se retournèrent un instant, cherchant dans cette foule un homme qui prît la responsabilité de ce qu’ils regardaient comme une impertinence ; mais personne ne réitéra l’invitation, et ils se retournèrent vers la scène.
En ce moment la loge du ministre s’ouvrait, et madame Danglars, sa fille et Lucien Debray prenaient leurs places.
— Ah ! ah ! dit Château-Renaud, voilà des personnes de votre connaissance vicomte. Que diable regardez-vous donc à droite ? On vous cherche.
Albert se retourna et ses yeux rencontrèrent effectivement ceux de la baronne Danglars, qui lui fit avec son éventail un petit salut. Quant à mademoiselle Eugénie, ce fut à peine si ses grands yeux noirs daignèrent s’abaisser jusqu’à l’orchestre.
— En vérité, mon cher, dit Château-Renaud, je ne comprends point, à part la mésalliance, et je ne crois point que ce soit cela qui vous préoccupe beaucoup ; je ne comprends pas, dis-je, à part la mésalliance, ce que vous pouvez avoir contre mademoiselle Danglars ; c’est en vérité une fort belle personne.
— Fort belle, certainement, dit Albert ; mais je vous avoue qu’en fait de beauté j’aimerais mieux quelque chose de plus doux, de plus suave, de plus féminin, enfin.
— Voilà bien les jeunes gens, dit Château-Renaud qui, en sa qualité d’homme de trente ans, prenait avec Morcerf des airs paternels ; ils ne sont jamais satisfaits. Comment, mon cher ! on vous trouve une fiancée bâtie sur le modèle de la Diane chasseresse, et vous n’êtes pas content !
— Eh bien ! justement, j’aurais mieux aimé quelque chose dans le genre de la Vénus de Milo ou de Capoue. Cette Diane chasseresse, toujours au milieu de ses nymphes, m’épouvante un peu ; j’ai peur qu’elle ne me traite en Actéon.
En effet, un coup d’œil jeté sur la jeune fille pouvait presque expliquer le sentiment que venait d’avouer Morcerf. Mademoiselle Danglars était belle, mais, comme l’avait dit Albert, d’une beauté un peu arrêtée : ses cheveux étaient d’un beau noir, mais dans leurs ondes naturelles on remarquait une certaine rébellion à la main qui voulait leur imposer sa volonté ; ses yeux, noirs comme ses cheveux, encadrés sous de magnifiques sourcils qui n’avaient qu’un défaut, celui de se froncer quelquefois, étaient surtout remarquables par une expression de fermeté qu’on était étonné de trouver dans le regard d’une femme ; son nez avait les proportions exactes qu’un statuaire eût données à celui de Junon : sa bouche seule était trop grande, mais garnie de belles dents que faisaient ressortir encore des lèvres dont le carmin trop vif tranchait avec la pâleur de son teint ; enfin un signe noir placé au coin de la bouche, et plus large que ne le sont d’ordinaire ces sortes de caprices de la nature, achevait de donner à cette physionomie ce caractère décidé qui effrayait quelque peu Morcerf.
D’ailleurs, tout le reste de la personne d’Eugénie s’alliait avec cette tête que nous venons d’essayer de décrire. C’était, comme l’avait dit Château-Renaud, la Diane chasseresse, mais avec quelque chose encore de plus ferme et de plus musculeux dans sa beauté.
Quant à l’éducation qu’elle avait reçue, s’il y avait un reproche à lui faire, c’est que, comme certains points de sa physionomie, elle semblait un peu appartenir à un autre sexe. En effet, elle parlait deux ou trois langues, dessinait facilement, faisait des vers et composait de la musique. Elle était surtout passionnée pour ce dernier art, qu’elle étudiait avec une de ses amies de pension, jeune personne sans fortune, mais ayant toutes les dispositions possibles pour devenir, à ce que l’on assurait, une excellente cantatrice. Un grand compositeur portait, disait-on, à cette dernière, un intérêt presque paternel, et la faisait travailler avec l’espoir qu’elle trouverait un jour une fortune dans sa voix.
Cette possibilité que mademoiselle Louise d’Armilly, c’était le nom de la jeune virtuose, entrât un jour au théâtre faisait que mademoiselle Danglars, quoique la recevant chez elle, ne se montrait point en public en sa compagnie. Du reste, sans avoir dans la maison du baron banquier la position indépendante d’une amie, Louise avait une position supérieure à celle des institutrices ordinaires.
— C’est cela.
Nous avons vu, dans le chapitre précédent, madame Danglars venir
annoncer officiellement à madame de Villefort le prochain mariage de
mademoiselle Eugénie Danglars avec M. Andrea Cavalcanti.
Cette annonce officielle, qui indiquait ou semblait indiquer une résolution prise par tous les intéressés à cette grande affaire, avait cependant été précédée d’une scène dont nous devons compte à nos lecteurs.
Nous les prions donc de faire un pas en arrière et de se transporter, le matin même de cette journée aux grandes catastrophes, dans ce beau salon si bien doré que nous leur avons fait connaître, et qui faisait l’orgueil de son propriétaire, M. le baron Danglars.
Dans ce salon en effet, vers les dix heures du matin, se promenait depuis quelques minutes, tout pensif et visiblement inquiet, le baron lui-même, regardant à chaque porte et s’arrêtant à chaque bruit.
Lorsque sa somme de patience fut épuisée, il appela le valet de chambre.
— Étienne, lui dit-il, voyez donc pourquoi mademoiselle Eugénie m’a prié de l’attendre au salon, et informez-vous pourquoi elle m’y fait attendre si longtemps.
Cette bouffée de mauvaise humeur exhalée, le baron reprit un peu de calme.
En effet, mademoiselle Danglars, après son réveil, avait fait demander une audience à son père, et avait désigné le salon doré comme le lieu de cette audience. La singularité de cette démarche, son caractère officiel surtout, n’avaient pas médiocrement surpris le banquier, qui avait immédiatement obtempéré au désir de sa fille en se rendant le premier au salon.
Étienne revint bientôt de son ambassade.
— La femme de chambre de mademoiselle, dit-il, m’a annoncé que mademoiselle achevait sa toilette et ne tarderait pas à venir.
Danglars fit un signe de tête indiquant qu’il était satisfait. Danglars, vis-à-vis du monde et même vis-à-vis de ses gens, affectait le bonhomme et le père faible : c’était une face du rôle qu’il s’était imposé dans la comédie populaire qu’il jouait ; c’était une physionomie qu’il avait adoptée et qui lui semblait convenir comme il convenait aux profils droits des masques des pères du théâtre antique d’avoir la lèvre retroussée et riante, tandis que le côté gauche avait la lèvre abaissée et pleurnicheuse.
Hâtons-nous de dire que, dans l’intimité, la lèvre retroussée et riante descendait au niveau de la lèvre attristée et pleurnicheuse ; de sorte que, pour la plupart du temps, le bonhomme disparaissait pour faire place au mari brutal et au père absolu.
— Pourquoi diable cette folle qui veut me parler, à ce qu’elle prétend, murmurait Danglars, ne vient-elle pas simplement dans mon cabinet, pensait-il ; et pourquoi veut-elle me parler ?
Il roulait pour la vingtième fois cette pensée inquiétante dans son cerveau, lorsque la porte s’ouvrit et qu’Eugénie parut, vêtue d’une robe de satin noir brochée de fleurs mates de la même couleur, coiffée en cheveux et gantée, comme s’il se fût agi d’aller s’asseoir dans son fauteuil du Théâtre-Italien.
— Eh bien ! Eugénie, qu’y a-t-il donc ? s’écria le père, et pourquoi le salon solennel, tandis qu’on est si bien dans mon cabinet particulier ?
— Vous avez parfaitement raison, monsieur, répondit Eugénie en faisant signe à son père qu’il pouvait s’asseoir, et vous venez de poser là deux questions qui résument d’avance toute la conversation que nous allons avoir. Je vais donc répondre à toutes deux ; et, contre les lois de l’habitude, à la seconde d’abord, comme étant la moins complexe. J’ai choisi le salon, monsieur, pour lieu de rendez-vous, afin d’éviter les impressions désagréables et les influences du cabinet d’un banquier. Ces livres de caisse, si bien dorés qu’ils soient, ces tiroirs fermés comme des portes de forteresses, ces masses de billets de banque qui viennent on ne sait d’où, et ces quantités de lettres qui viennent d’Angleterre, de Hollande, d’Espagne...
agissent en général étrangement sur l’esprit d’un père et lui font oublier qu’il est dans le monde un intérêt plus grand et plus sacré que celui de la position sociale et de l’opinion de ses commettants. J’ai donc choisi ce salon où vous voyez, souriant et heureux, dans leurs cadres magnifiques, votre portrait, le mien, celui de ma mère et toutes sortes de paysages pastoraux et de bergeries attendrissantes. Je me fie beaucoup à la puissance des impressions extérieures. Peut-être, vis-à-vis de vous surtout, est-ce une erreur ; mais, que voulez-vous ! je ne serais pas artiste s’il ne me restait pas quelques illusions.
— Très bien, répondit M. Danglars, qui avait écouté la tirade avec un imperturbable sang-froid, mais sans en comprendre une parole, absorbé qu’il était comme tout homme plein d’arrière-pensées, à chercher le fil de sa propre idée dans les idées de l’interlocuteur.
— Voilà donc le second point éclairci ou à peu près, dit Eugénie sans le moindre trouble et avec cet aplomb tout masculin qui caractérisait son geste et sa parole, et vous me paraissez satisfait de l’explication. Maintenant revenons au premier. Vous me demandiez pourquoi j’avais sollicité cette audience ; je vais vous le dire en deux mots, monsieur, le voici. Je ne veux pas épouser M. le comte Andrea Cavalcanti.
Danglars fit un bond sur son fauteuil, et, de la secousse, leva à la fois les yeux et les bras au ciel.
— Mon Dieu, oui, monsieur, continua Eugénie toujours aussi calme. Vous êtes étonné, je le vois bien, car depuis que toute cette petite affaire est en train, je n’ai point manifesté la plus petite opposition, certaine que je suis toujours, le moment venu, d’opposer franchement aux gens qui ne m’ont point consultée et aux choses qui me déplaisent une volonté franche et absolue. Cependant cette fois cette tranquillité, cette passivité, comme disent les philosophes, venait d’une autre source ; elle venait de ce que, fille soumise et dévouée… (un léger sourire se dessina sur les lèvres empourprées de la jeune fille), je m’essayais à l’obéissance.
— Eh bien ? demanda Danglars.
— Eh bien ! monsieur, reprit Eugénie, j’ai essayé jusqu’au bout de mes forces, et maintenant que le moment est arrivé, malgré tous les efforts que j’ai tentés sur moi-même, je me sens incapable d’obéir.
— Mais enfin, dit Danglars, qui esprit secondaire, semblait d’abord tout abasourdi du poids de cette impitoyable logique, dont le flegme accusait tant de préméditation et de force de volonté, la raison de ce refus, Eugénie ? la raison ?
— La raison, répliqua la jeune fille, oh ! mon Dieu ! ce n’est point que l’homme soit plus laid, soit plus sot ou soit plus désagréable qu’un autre, non ; M. Andrea Cavalcanti peut même passer, près de ceux qui regardent les hommes au visage et à la taille, pour être d’un assez beau modèle ; ce n’est pas non plus parce que mon cœur est moins touché de celui-là que de tout autre : ceci serait une raison de pensionnaire que je regarde comme tout à fait au-dessous de moi ; je n’aime absolument personne, monsieur, vous le savez bien, n’est-ce pas ? Je ne vois donc pas pourquoi, sans nécessité absolue, j’irai embarrasser ma vie d’un éternel compagnon. Est-ce que le sage n’a point dit quelque part : — « Rien de trop ; » et ailleurs : « Portez tout avec vous-même ? » On m’a même appris ces deux aphorismes en latin et en grec ; l’un est, je crois, de Phèdre, et l’autre de Bias. Eh bien ! mon cher père, dans le naufrage de la vie, car la vie est un naufrage éternel de nos espérances, je jette à la mer mon bagage inutile, voilà tout, et je reste avec ma volonté, disposée à vivre parfaitement seule et par conséquent parfaitement libre.
— Malheureuse, malheureuse ! murmura Danglars pâlissant, car il connaissait par une longue expérience la solidité de l’obstacle qu’il rencontrait si soudainement.
— Malheureuse, reprit Eugénie, malheureuse ! dites-vous, monsieur ? Mais non pas, en vérité, et l’exclamation me paraît tout à fait théâtrale et affectée. Heureuse, au contraire, car, je vous le demande, que me manque-t-il ? Le monde me trouve belle, c’est quelque chose pour être accueillie favorablement. J’aime les bons accueils, moi : ils épanouissent les visages, et ceux qui m’entourent me paraissent alors moins laids. Je suis douée de quelque esprit et d’une certaine sensibilité relative qui me permet de tirer de l’existence générale, pour la faire entrer dans la mienne, ce que j’y trouve de bon, comme fait le singe lorsqu’il casse la noix verte pour en tirer ce qu’elle contient. Je suis riche, car vous avez une des belles fortunes de France, car je suis votre fille unique, et vous n’êtes point tenace au degré où le sont les pères de la porte Saint-Martin et de la Gaîté, qui déshéritent leurs filles parce qu’elles ne veulent pas leur donner de petits-enfants. D’ailleurs, la loi prévoyante vous a ôté le droit de me déshériter, du moins tout à fait, comme elle vous a ôté le pouvoir de me contraindre à épouser M. tel ou tel. Ainsi, belle, spirituelle, ornée de quelque talent comme on dit dans les opéras-comiques, et riche ! Mais c’est le bonheur cela, monsieur ! Pourquoi donc m’appelez-vous malheureuse ?
Danglars, voyant sa fille souriante et fière jusqu’à l’insolence, ne put réprimer un mouvement de brutalité qui se trahit par un éclat de voix, mais ce fut le seul. Sous le regard interrogateur de sa fille, en face de ce beau sourcil noir, froncé par l’interrogation, il se retourna avec prudence et se calma aussitôt, dompté par la main de fer de la circonspection.
— En effet, ma fille, répondit-il avec un sourire, vous êtes tout ce que vous vous vantez d’être, hormis une seule chose, ma fille ; je ne veux pas trop brusquement vous dire laquelle : j’aime mieux vous la laisser deviner.
Eugénie regarda Danglars, fort surprise qu’on lui contestât l’un des fleurons de la couronne d’orgueil qu’elle venait de poser si superbement sur sa tête.
— Ma fille, continua le banquier, vous m’avez parfaitement expliqué quels étaient les sentiments qui présidaient aux résolutions d’une fille comme vous quand elle a décidé qu’elle ne se mariera point. Maintenant c’est à moi de vous dire quels sont les motifs d’un père comme moi quand il a décidé que sa fille se mariera.
Eugénie s’inclina, non pas en fille soumise qui écoute, mais en adversaire prêt à discuter, qui attend.
— Ma fille, continua Danglars, quand un père demande à sa fille de prendre un époux, il a toujours une raison quelconque pour désirer son mariage. Les uns sont atteints de la manie que vous disiez tout à l’heure, c’est-à-dire de se voir revivre dans leurs petits-fils. Je n’ai pas cette faiblesse, je commence par vous le dire : les joies de la famille me sont à peu près indifférentes, à moi. Je puis avouer cela à une fille que je sais assez philosophe pour comprendre cette indifférence et pour ne pas m’en faire un crime.
— À la bonne heure, dit Eugénie ; parlons franc, monsieur, j’aime cela.
— Oh ! dit Danglars, vous voyez que sans partager, en thèse générale, votre sympathie pour la franchise, je m’y soumets, quand je crois que la circonstance m’y invite. Je continuerai donc. Je vous ai proposé un mari, non pas pour vous, car en vérité je ne pensais pas le moins du monde à vous en ce moment. Vous aimez la franchise, en voilà, j’espère ; mais parce que j’avais besoin que vous prissiez cet époux le plus tôt possible, pour certaines combinaisons commerciales que je suis en train d’établir en ce moment.
Eugénie fit un mouvement.
— C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, ma fille et il ne faut pas m’en vouloir, car c’est vous qui m’y forcez ; c’est malgré moi, vous le comprenez bien, que j’entre dans ces explications arithmétiques, avec une artiste comme vous, qui craint d’entrer dans le cabinet d’un banquier pour y percevoir, les philosophes disent aussi cela, je crois, pour y percevoir des impressions ou des sensations désagréables et antipoétiques.
Mais dans ce cabinet de banquier, dans lequel cependant vous avez bien voulu entrer avant-hier pour me demander les mille francs que je vous accorde chaque mois pour vos fantaisies, sachez, ma chère demoiselle, qu’on apprend beaucoup de choses à l’usage même des jeunes personnes qui ne veulent pas se marier. On y apprend, par exemple, et par égard pour votre susceptibilité nerveuse je vous l’apprendrai dans ce salon, on y apprend que le crédit d’un banquier est sa vie physique et morale, que le crédit soutient l’homme comme le souffle anime le corps, et M. de Monte-Cristo m’a fait un jour là-dessus un discours que je n’ai jamais oublié. On y apprend qu’à mesure que le crédit se retire, le corps devient cadavre, et que cela doit arriver dans fort peu de temps au banquier qui s’honore d’être le père d’une fille si bonne logicienne.
Mais Eugénie, au lieu de se courber, se redressa sous le coup.
— Ruiné ! dit-elle.
— Vous avez trouvé l’expression juste, ma fille, la bonne expression, dit Danglars en fouillant sa poitrine avec ses ongles, tout en conservant sur sa rude figure le sourire de l’homme sans cœur, mais non sans esprit, ruiné ! c’est cela.
— Ah ! fit Eugénie.
— Oui, ruiné ! Eh bien ! le voilà donc connu, ce secret plein d’horreur, comme dit le poète tragique.
Maintenant, ma fille, apprenez de ma bouche comment ce malheur peut, par vous, devenir moindre ; je ne dirai pas pour moi, mais pour vous.
— Oh ! s’écria Eugénie, vous êtes mauvais physionomiste, monsieur, si vous vous figurez que c’est pour moi que je déplore la catastrophe que vous m’exposez.
Moi ruinée ! Et que m’importe ? Ne me reste-t-il pas mon talent ? Ne puis-je pas, comme la Malibran, comme la Grisi, me faire ce que vous ne m’eussiez jamais donné, quelle que fût votre fortune, cent ou cent cinquante mille livres de rente que je ne devrai qu’à moi seule, et qui, au lieu de m’arriver comme m’arrivaient ces pauvres douze mille francs que vous me donniez avec des regards rechignés et des paroles de reproche sur ma prodigalité, me viendront accompagnées d’acclamations, de bravos et de fleurs. Et quand je n’aurais pas ce talent dont votre sourire me prouve que vous doutez, ne me resterait-il pas encore ce furieux amour de l’indépendance, qui me tiendra toujours lieu de tous les trésors, et qui domine en moi jusqu’à l’instinct de la conservation.
Non, ce n’est pas pour moi que je m’attriste, je saurai toujours bien me tirer d’affaire, moi ; mes livres, mes crayons, mon piano, toutes choses qui ne coûtent pas cher et que je pourrai toujours me procurer, me resteront toujours. Vous pensez peut-être que je m’afflige pour madame Danglars, détrompez-vous encore : ou je me trompe grossièrement, ou ma mère a pris toutes ses précautions contre la catastrophe qui vous menace et qui passera sans l’atteindre ; elle s’est mise à l’abri, je l’espère, et ce n’est pas en veillant sur moi qu’elle a pu se distraire de ses préoccupations de fortune ; car, Dieu merci, elle m’a laissé toute mon indépendance sous le prétexte que j’aimais ma liberté.
Oh ! non, monsieur, depuis mon enfance j’ai vu se passer trop de choses autour de moi ; je les ai toutes trop bien comprises, pour que le malheur fasse sur moi plus d’impression qu’il ne mérite de le faire ; depuis que je me connais, je n’ai été aimée de personne ; tant pis ! cela m’a conduite tout naturellement à n’aimer personne ; tant mieux ! Maintenant vous avez ma profession de foi.
— Alors, dit Danglars, pâle d’un courroux qui ne prenait point sa source dans l’amour paternel offensé ; alors, mademoiselle, vous persistez à vouloir consommer ma ruine ?
— Votre ruine ? Moi, dit Eugénie, consommer votre ruine ! que voulez-vous dire ? je ne comprends pas.
— Tant mieux cela me laisse un rayon d’espoir ; écoutez.
— J’écoute, dit Eugénie en regardant si fixement son père, qu’il fallut à celui-ci un effort pour qu’il ne baissât point les yeux sous le regard puissant de la jeune fille.
— M. Cavalcanti, continua Danglars, vous épouse, et en vous épousant vous apporte trois millions de dot qu’il place chez moi.
— Ah ! fort bien, fit avec un souverain mépris Eugénie, tout en lissant ses gants l’un sur l’autre.
— Vous pensez que je vous ferai tort de ces trois millions ? dit Danglars ; pas du tout, ces trois millions sont destinés à en produire au moins dix. J’ai obtenu avec un banquier, mon confrère, la concession d’un chemin de fer, seule industrie qui de nos jours présente ces chances fabuleuses de succès immédiat qu’autrefois Law appliqua pour les bons Parisiens, ces éternels badauds de la spéculation, à un Mississippi fantastique. Par mon calcul on doit posséder un millionième de rail comme on possédait autrefois un arpent de terre en friche sur les bords de l’Ohio. C’est un placement hypothécaire, ce qui est un progrès, comme vous voyez, puisqu’on aura au moins dix, quinze, vingt, cent livres de fer en échange de son argent. Eh bien ! je dois d’ici à huit jours déposer pour mon compte quatre millions ! Ces quatre millions, je vous le dis, en produiront dix ou douze.
— Mais pendant cette visite que je vous ai faite avant-hier, monsieur, et dont vous voulez bien vous souvenir, reprit Eugénie, je vous ai vu encaisser, c’est le terme, n’est-ce pas ? cinq millions et demi ; vous m’avez même montré la chose en deux bons sur le trésor, et vous vous étonniez qu’un papier ayant une si grande valeur n’éblouît pas mes yeux comme ferait un éclair.
— Oui, mais ces cinq millions et demi ne sont point à moi et sont seulement une preuve de la confiance que l’on a en moi ; mon titre de banquier populaire m’a valu la confiance des hôpitaux, et les cinq millions et demi sont aux hôpitaux ; dans tout autre temps je n’hésiterais pas à m’en servir, mais aujourd’hui l’on sait les grandes pertes que j’ai faites, et, comme je vous l’ai dit, le crédit commence à se retirer de moi. D’un moment à l’autre, l’administration peut réclamer le dépôt, et si je l’ai employé à autre chose, je suis forcé de faire une banqueroute honteuse. Je ne méprise pas les banqueroutes, croyez-le bien, mais les banqueroutes qui enrichissent et non celles qui ruinent. Ou que vous épousiez M. Cavalcanti, que je touche les trois millions de la dot, ou même que l’on croie que je vais les toucher, mon crédit se raffermit, et ma fortune, qui depuis un mois ou deux s’est engouffrée dans des abîmes creusés sous mes pas par une fatalité inconcevable, se rétablit. Me comprenez-vous ?
— Parfaitement ; vous me mettez en gage pour trois millions, n’est-ce pas ?
— Plus la somme est forte, plus elle est flatteuse ; elle vous donne une idée de votre valeur.
— Merci. Un dernier mot, monsieur ; me promettez-vous de vous servir tant que vous le voudrez du chiffre de cette dot que doit apporter M. Cavalcanti, mais de ne pas toucher à la somme ? Ceci n’est point une affaire d’égoïsme, c’est une affaire de délicatesse. Je veux bien servir à réédifier votre fortune, mais je ne veux pas être votre complice dans la ruine des autres.
— Mais puisque je vous dis, s’écria Danglars, qu’avec ces trois millions…
— Croyez-vous vous tirer d’affaire, monsieur, sans avoir besoin de toucher à ces trois millions ?
— Je l’espère, mais à condition toujours que le mariage, en se faisant, consolidera mon crédit.
— Pourrez-vous payer à M. Cavalcanti les cinq cent mille francs que vous me donnez pour mon contrat.
— En revenant de la mairie, il les touchera.
— Bien !
— Comment bien ? Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire qu’en me demandant ma signature, n’est-ce pas, vous me laissez absolument libre de ma personne ?
— Absolument.
— Alors, bien ; comme je vous disais, monsieur, je suis prête à épouser M. Cavalcanti.
— Mais quels sont vos projets ?
— Ah ! c’est mon secret. Où serait ma supériorité sur vous si, ayant le vôtre, je vous livrais le mien ?
Danglars se mordit les lèvres.
— Ainsi, dit-il, vous êtes prête à faire les quelques visites officielles qui sont absolument indispensables ?
— Oui, répondit Eugénie.
— Et à signer le contrat dans trois jours ?
— Oui.
— Alors, à mon tour, c’est moi qui vous dis : Bien !
Et Danglars prit la main de sa fille et la serra entre les siennes.
Mais, chose extraordinaire, pendant ce serrement de main, le père n’osa pas dire : Merci, mon enfant ; la fille n’eut pas un sourire pour son père.
— La conférence est finie ? demanda Eugénie en se levant.
Danglars fit signe de la tête qu’il n’avait plus rien à dire.
Cinq minutes après, le piano retentissait sous les doigts de mademoiselle d’Armilly, et mademoiselle Danglars chantait la malédiction de Brabantio sur Desdemona.
À la fin du morceau, Étienne entra et annonça à Eugénie que les chevaux étaient à la voiture et que la baronne l’attendait pour faire ses visites.
Nous avons vu les deux femmes passer chez Villefort, d’où elles sortirent pour continuer leurs courses.
Trois jours après la scène que nous venons de raconter, c’est-à-dire vers les cinq heures de l’après midi du jour fixé pour la signature du contrat de mademoiselle Eugénie Danglars et d’Andrea Cavalcanti, que le banquier s’était obstiné à maintenir prince, comme une brise fraîche faisait frissonner toutes les feuilles du petit jardin situé en avant de la maison du comte de Monte-Cristo, au moment où celui-ci se préparait à sortir, et tandis que ses chevaux l’attendaient en frappant du pied, maintenus par la main du cocher assis déjà depuis un quart d’heure sur le siège, l’élégant phaéton avec lequel nous avons déjà plusieurs fois fait connaissance, et notamment pendant la soirée d’Auteuil, vint tourner rapidement l’angle de la porte d’entrée, et lança plutôt qu’il ne déposa sur les degrés du perron M. Andrea Cavalcanti, aussi doré, aussi rayonnant que si lui, de son côté, eût été sur le point d’épouser une princesse.
Il s’informa de la santé du comte avec cette familiarité qui lui était habituelle, et, escaladant légèrement le premier étage, le rencontra lui-même au haut de l’escalier.
À la vue du jeune homme, le comte s’arrêta. Quant à Andrea Cavalcanti, il était lancé, et quand il était lancé, rien ne l’arrêtait.
— Eh ! bonjour, cher monsieur de Monte-Cristo, dit-il au comte.
— Ah ! monsieur Andrea ! fit celui-ci avec sa voix demi-railleuse, comment vous portez-vous ?
— À merveille, comme vous voyez. Je viens causer avec vous de mille choses ; mais d’abord sortiez-vous ou rentriez-vous ?
— Je sortais, monsieur.
— Alors, pour ne point vous retarder, je monterai, si vous le voulez bien, dans votre calèche, et Tom nous suivra, conduisant mon phaéton à la remorque.
— Non, dit avec un imperceptible sourire de mépris le comte, qui ne se souciait pas d’être en compagnie du jeune homme ; non, je préfère vous donner audience ici, cher monsieur Andrea ; on cause mieux dans une chambre, et l’on n’a pas de cocher qui surprenne vos paroles au vol.
Le comte rentra donc dans un petit salon faisant partie du premier étage, s’assit, et fit, en croisant ses jambes l’une sur l’autre, signe au jeune homme de s’asseoir à son tour.
Andrea prit son air le plus riant.
— Vous savez, cher comte, dit-il, que la cérémonie a lieu ce soir ; à neuf heures on signe le contrat chez le beau-père.
— Ah ! vraiment ? dit Monte-Cristo.
— Comment ! est-ce une nouvelle que je vous apprends ? et n’étiez-vous pas prévenu de cette solennité par M. Danglars ?
— Si fait, dit le comte, j’ai reçu une lettre de lui hier ; mais je ne crois pas que l’heure y fût indiquée.
— C’est possible ; le beau-père aura compté sur la notoriété publique.
— Eh bien ! dit Monte-Cristo, vous voilà heureux, monsieur Cavalcanti : c’est une alliance des plus sortables que vous contractez là ; et puis, mademoiselle Danglars est jolie.
— Mais oui, répondit Cavalcanti avec un accent plein de modestie.
— Elle est surtout fort riche, à ce que je crois, du moins, dit Monte-Cristo.
— Fort riche, vous croyez ? répéta le jeune homme.
— Sans doute ; on dit que M. Danglars cache pour le moins la moitié de sa fortune.
— Et il avoue quinze ou vingt millions, dit Andrea avec un regard étincelant de joie.
— Sans compter, ajouta Monte-Cristo, qu’il est à la veille d’entrer dans un genre de spéculation déjà un peu usé aux États-Unis et en Angleterre, mais tout à fait neuf en France.
— Oui, oui, je sais ce dont vous voulez parler : le chemin de fer dont il vient d’obtenir l’adjudication, n’est-ce pas ?
— Justement ! il gagnera au moins, c’est l’avis général, au moins dix millions dans cette affaire.
— Dix millions ! vous croyez ? c’est magnifique, dit Cavalcanti, qui se grisait à ce bruit métallique de paroles dorées.
— Sans compter, reprit Monte-Cristo, que toute cette fortune vous reviendra, et que c’est justice, puisque mademoiselle Danglars est fille unique. D’ailleurs, votre fortune à vous, votre père me l’a dit du moins, est presque égale à celle de votre fiancée. Mais laissons là un peu les affaires d’argent. Savez-vous, monsieur Andrea, que vous avez un peu lestement et habilement mené toute cette affaire !
— Mais pas mal, pas mal, dit le jeune homme ; j’étais né pour être diplomate.
— Eh bien ! on vous fera entrer dans la diplomatie ; la diplomatie, vous le savez, ne s’apprend pas : c’est une chose d’instinct… Le cœur est donc pris ?
— En vérité, j’en ai peur, répondit Andrea du ton dont il avait vu au Théâtre-Français Dorante ou Valère répondre à Alceste.
— Vous aime-t-on un peu ?
— Il le faut bien, dit Andrea avec un sourire vainqueur, puisqu’on m’épouse. Mais cependant, n’oublions pas un grand point.
— Lequel ?
— C’est que j’ai été singulièrement aidé dans tout ceci.
— Bah !
— Certainement.
— Par les circonstances ?
— Non, par vous.
— Par moi ? laissez donc, prince, dit Monte-Cristo en appuyant avec affectation sur le titre. Qu’ai-je pu faire pour vous ? Est-ce que votre nom, votre position sociale et votre mérite ne suffisaient point ?
— Non, dit Andrea, non ; et vous avez beau dire, monsieur le comte, je maintiens, moi, que la position d’un homme tel que vous a plus fait que mon nom, ma position sociale et mon mérite.
— Vous vous abusez complètement, monsieur, dit Monte-Cristo, qui sentit l’adresse perfide du jeune homme, et qui comprit la portée de ses paroles ; ma protection ne vous a été acquise qu’après connaissance prise de l’influence et de la fortune de monsieur votre père ; car enfin qui m’a procuré, à moi qui ne vous avais jamais vu, ni vous ni l’illustre auteur de vos jours, le bonheur de votre connaissance ? Ce sont deux de mes bons amis, lord Wilmore et l’abbé Busoni. Qui m’a encouragé, non pas à vous servir de garantie, mais à vous patronner ? C’est le nom de votre père, si connu et si honoré en Italie ; personnellement, moi je ne vous connais pas.
Ce calme, cette parfaite aisance firent comprendre à Andrea qu’il était pour le moment étreint par une main plus musculeuse que la sienne, et que l’étreinte n’en pouvait être facilement brisée.
— Ah çà ! mais, dit-il, mon père a donc vraiment une bien grande fortune, monsieur le comte ?
— Il paraît que oui, monsieur, répondit Monte-Cristo.
— Savez-vous si la dot qu’il m’a promise est arrivée ?
— J’en ai reçu la lettre d’avis.
— Mais les trois millions ?
— Les trois millions sont en route, selon toute probabilité.
— Je les toucherai donc réellement ?
— Mais, dame ! reprit le comte, il me semble que jusqu’à présent, monsieur, l’argent ne vous a pas fait faute !
Andrea fut tellement surpris, qu’il ne put s’empêcher de rêver un moment.
— Alors, dit-il en sortant de sa rêverie, il me reste, monsieur, à vous adresser une demande, et celle-là vous la comprendrez, même quand elle devrait vous être désagréable.
— Parlez, dit Monte-Cristo.
— Je me suis mis en relation, grâce à ma fortune, avec beaucoup de gens distingués, et j’ai même, pour le moment du moins, une foule d’amis. Mais en me mariant comme je le fais, en face de toute la société parisienne, je dois être soutenu par un nom illustre, et à défaut de la main paternelle, c’est une main puissante qui doit me conduire à l’autel ; or, mon père ne vient point à Paris, n’est-ce pas ?
— Il est vieux, couvert de blessures, et il souffre, dit-il, à en mourir, chaque fois qu’il voyage.
— Je comprends. Eh bien ! je viens vous faire une demande.
— À moi ?
— Oui, à vous.
— Et laquelle ? mon Dieu !
— Eh bien ! c’est de le remplacer.
— Ah ! mon cher monsieur ! quoi ! après les nombreuses relations que j’ai eu le bonheur d’avoir avec vous, vous me connaissez si mal que de me faire une pareille demande ?
Demandez-moi un demi-million à emprunter, et, quoiqu’un pareil prêt soit assez rare, parole d’honneur ! vous me serez moins gênant. Sachez donc, je croyais vous l’avoir déjà dit, que dans sa participation, morale surtout, aux choses de ce monde, jamais le comte de Monte-Cristo n’a cessé d’apporter les scrupules, je dirai plus, les superstitions d’un homme de l’Orient.
Moi qui ai un sérail au Caire, un à Smyrne et un à Constantinople, présider à un mariage ! jamais.
— Ainsi, vous me refusez ?
— Net ; et fussiez-vous mon fils, fussiez-vous mon frère, je vous refuserais de même.
— Ah ! par exemple ! s’écria Andrea désappointé, mais comment faire alors ?
— Vous avez cent amis, vous l’avez dit vous-même.
— D’accord, mais c’est vous qui m’avez présenté chez M. Danglars.
— Point ! Rétablissons les faits dans toute la vérité : c’est moi qui vous ai fait dîner avec lui à Auteuil, et c’est vous qui vous êtes présenté vous-même ; diable ! c’est tout différent.
— Oui, mais mon mariage : vous avez aidé…
— Moi ! en aucune chose, je vous prie de le croire ; mais rappelez-vous donc ce que je vous ai répondu quand vous êtes venu me prier de faire la demande : Oh ! je ne fais jamais de mariage, moi, mon cher prince, c’est un principe arrêté chez moi.
Andrea se mordit les lèvres.
— Mais enfin, dit-il, vous serez là au moins ?
— Tout Paris y sera ?
— Oh ! certainement.
— Eh bien, j’y serai comme tout Paris, dit le comte.
— Vous signerez au contrat ?
— Oh ! je n’y vois aucun inconvénient, et mes scrupules ne vont point jusque-là.
— Enfin, puisque vous ne voulez pas m’accorder davantage, je dois me contenter de ce que vous me donnez. Mais un dernier mot, comte.
— Comment donc ?
— Un conseil.
— Prenez garde ; un conseil, c’est pis qu’un service.
— Oh ! celui-ci, vous pouvez me le donner sans vous compromettre.
— Dites.
— La dot de ma femme est de cinq cent mille livres.
— C’est le chiffre que M. Danglars m’a annoncé à moi-même.
— Faut-il que je la reçoive ou que je la laisse aux mains du notaire ?
— Voici, en général, comment les choses se passent quand on veut qu’elles se passent galamment : Vos deux notaires prennent rendez-vous au contrat pour le lendemain ou le surlendemain ; le lendemain ou le surlendemain, ils échangent les deux dots, dont ils se donnent mutuellement reçu ; puis, le mariage célébré, ils mettent les millions à votre disposition, comme chef de la communauté.
— C’est que, dit Andrea avec une certaine inquiétude mal dissimulée, je croyais avoir entendu dire à mon beau-père qu’il avait l’intention de placer nos fonds dans cette fameuse affaire de chemin de fer dont vous me parliez tout à l’heure.
— Eh bien ! mais, reprit Monte-Cristo, c’est, à ce que tout le monde assure, un moyen que vos capitaux soient triplés dans l’année. M. le baron Danglars est bon père et sait compter.
— Allons donc, dit Andrea, tout va bien, sauf votre refus, toutefois, qui me perce le cœur.
— Ne l’attribuez qu’à des scrupules fort naturels en pareille circonstance.
— Allons, dit Andrea, qu’il soit donc fait comme vous le voulez ; à ce soir, neuf heures.
— À ce soir.
Et malgré une légère résistance de Monte-Cristo, dont les lèvres pâlirent, mais qui cependant conserva son sourire de cérémonie, Andrea saisit la main du comte, la serra, sauta dans son phaéton et disparut.
Les quatre ou cinq heures qui lui restaient jusqu’à neuf heures, Andrea les employa en courses, en visites destinées à intéresser ces amis, dont il avait parlé, à paraître chez le banquier avec tout le luxe de leurs équipages, les éblouissant par ces promesses d’actions qui, depuis, ont fait tourner toutes les têtes, et dont Danglars, en ce moment-là, avait l’initiative.
En effet, à huit heures et demie du soir, le grand salon de Danglars, la galerie attenante à ce salon et les trois autres salons de l’étage, étaient pleins d’une foule parfumée qu’attirait fort peu la sympathie, mais beaucoup cet irrésistible besoin d’être là où l’on sait qu’il y a du nouveau.
Un académicien dirait que les soirées du monde sont des collections de fleurs qui attirent papillons inconstants, abeilles affamées et frelons bourdonnants.
Il va sans dire que les salons étaient resplendissants de bougies, la lumière roulait à flots des moulures d’or sur les tentures de soie, et tout le mauvais goût de cet ameublement, qui n’avait pour lui que la richesse, resplendissait de tout son éclat.
Mademoiselle Eugénie était venue avec la simplicité la plus élégante : une robe de soie blanche brochée de blanc, une rose blanche à moitié perdue dans ses cheveux d’un noir de jais, composaient toute sa parure, que ne venait pas enrichir le plus petit bijou.
Seulement on pouvait lire dans ses yeux cette assurance parfaite destinée à démentir ce que cette candide toilette avait de vulgairement virginal à ses propres yeux.
Madame Danglars, à trente pas d’elle, causait avec Debray, Beauchamp et Château-Renaud. Debray avait fait sa rentrée dans cette maison pour cette grande solennité, mais comme tout le monde et sans aucun privilège particulier.
M. Danglars, entouré de députés, d’hommes de finance, expliquait une théorie de contributions nouvelles qu’il comptait mettre en exercice quand la force des choses aurait contraint le gouvernement à l’appeler au ministère.
Andrea, tenant sous son bras un des plus fringants dandys de l’Opéra, lui expliquait assez impertinemment attendu qu’il avait besoin d’être hardi pour paraître à l’aise, ses projets de vie à venir, et les progrès de luxe qu’il comptait faire faire avec ses cent soixante-quinze mille livres de rente au fashion parisien.
La foule générale roulait dans ces salons comme un flux et un reflux de turquoises, de rubis, d’émeraudes, d’opales et de diamants.
Comme partout, on remarquait que c’étaient les plus vieilles femmes qui étaient les plus parées, et les plus laides qui se montraient avec le plus d’obstination.
S’il y avait quelque beau lis blanc, quelque rose suave et parfumée, il fallait la chercher et la découvrir, cachée dans quelque coin par une mère à turban, ou par une tante à oiseau de paradis.
À chaque instant, au milieu de cette cohue, de ce bourdonnement, de ces rires, la voix des huissiers lançait un nom connu dans les finances, respecté dans l’armée ou illustre dans les lettres ; alors un faible mouvement des groupes accueillait ce nom.
Mais pour un qui avait le privilège de faire frémir cet océan de vagues humaines, combien passaient accueillis par l’indifférence ou le ricanement du dédain.
Au moment où l’aiguille de la pendule massive, de la pendule représentant Endymion endormi, marquait neuf heures sur un cadran d’or, et où le timbre, fidèle reproducteur de la pensée machinale, retentissait neuf fois, le nom du comte de Monte-Cristo retentit à son tour, et, comme poussée par la flamme électrique, toute l’assemblée se tourna vers la porte.
Le comte était vêtu de noir et avec sa simplicité habituelle ; son gilet blanc dessinait sa vaste et noble poitrine ; son col noir paraissait d’une fraîcheur singulière, tant il ressortait sur la mâle pâleur de son teint ; pour tout bijou, il portait une chaîne de gilet si fine qu’à peine le mince filet d’or tranchait sur le piqué blanc.
Il se fit à l’instant même un cercle autour de la porte.
Le comte, d’un seul coup d’œil, aperçut madame Danglars à un bout du salon, M. Danglars à l’autre, et mademoiselle Eugénie devant lui.
Il s’approcha d’abord de la baronne, qui causait avec madame de Villefort, qui était venue seule, Valentine étant toujours souffrante ; et sans dévier, tant le chemin se frayait devant lui, il passa de la baronne à Eugénie, qu’il complimenta en termes si rapides et si réservés, que la fière artiste en fut frappée.
Près d’elle était mademoiselle Louise d’Armilly, qui remercia le comte des lettres de recommandation qu’il lui avait si gracieusement données pour l’Italie, et dont elle comptait, lui dit-elle, faire incessamment usage.
En quittant ces dames, il se retourna et se trouva près de Danglars, qui s’était approché pour lui donner la main.
Ces trois devoirs sociaux accomplis, Monte-Cristo s’arrêta, promenant autour de lui ce regard assuré empreint de cette expression particulière aux gens d’un certain monde et surtout d’une certaine portée, regard qui semble dire :
« J’ai fait ce que j’ai dû ; maintenant que les autres fassent ce qu’ils me doivent. »
Andrea, qui était dans un salon contigu, sentit cette espèce de frémissement que Monte-Cristo avait imprimé à la foule, et il accourut saluer le comte.
Il le trouva complètement entouré ; on se disputait ses paroles, comme il arrive toujours pour les gens qui parlent peu et qui ne disent jamais un mot sans valeur.
Les notaires firent leur entrée en ce moment, et vinrent installer leurs pancartes griffonnées sur le velours brodé d’or qui couvrait la table préparée pour la signature, table en bois doré.
Un des notaires s’assit, l’autre resta debout.
On allait procéder à la lecture du contrat que la moitié de Paris, présente à cette solennité, devait signer.
Chacun prit place, ou plutôt les femmes firent cercle, tandis que les hommes, plus indifférents à l’endroit du style énergique, comme dit Boileau, firent leurs commentaires sur l’agitation fébrile d’Andrea, sur l’attention de M. Danglars, sur l’impassibilité d’Eugénie et sur la façon leste et enjouée dont la baronne traitait cette importante affaire.
Le contrat fut lu au milieu d’un profond silence. Mais, aussitôt la lecture achevée, la rumeur recommença dans les salons, double de ce qu’elle était auparavant : ces sommes brillantes, ces millions roulant dans l’avenir des deux jeunes gens et qui venaient compléter l’exposition qu’on avait faite, dans une chambre exclusivement consacrée à cet objet, du trousseau de la mariée et des diamants de la jeune femme, avaient retenti avec tout leur prestige dans la jalouse assemblée.
Les charmes de mademoiselle Danglars en étaient doubles aux yeux des jeunes gens, et pour le moment ils effaçaient l’éclat du soleil.
Quant aux femmes, il va sans dire que, tout en jalousant ces millions, elles ne croyaient pas en avoir besoin pour être belles.
Andrea, serré par ses amis, complimenté, adulé, commençant à croire à la réalité du rêve qu’il faisait, Andrea était sur le point de perdre la tête.
Le notaire prit solennellement la plume, l’éleva au-dessus de sa tête et dit :
— Messieurs, on va signer le contrat.
Le baron devait signer le premier, puis le fondé de pouvoirs de M. Cavalcanti père, puis la baronne, puis les futurs conjoints, comme on dit dans cet abominable style qui a cours sur papier timbré.
Le baron prit la plume et signa, puis le chargé de pouvoirs.
La baronne s’approcha au bras de madame de Villefort.
— Mon amie, dit-elle en prenant la plume, n’est-ce pas une chose désespérante ? Un incident inattendu, arrivé dans cette affaire d’assassinat et de vol dont M. le comte de Monte-Cristo a failli être victime, nous prive d’avoir M. de Villefort.
— Oh ! mon Dieu ! fit Danglars, du même ton dont il aurait dit : Ma foi, la chose m’est bien indifférente !
— Mon Dieu ! dit Monte-Cristo en s’approchant, j’ai bien peur d’être la cause involontaire de cette absence.
— Comment ! vous, comte ? dit madame Danglars en signant. S’il en est ainsi, prenez garde, je ne vous le pardonnerai jamais.
Andrea dressait les oreilles.
— Il n’y aurait cependant point de ma faute, dit le comte ; aussi je tiens à le constater.
On écoutait avidement : Monte-Cristo, qui desserrait si rarement les lèvres, allait parler.
— Vous vous rappelez, dit le comte au milieu du plus profond silence, que c’est chez moi qu’est mort ce malheureux qui était venu pour me voler, et qui, en sortant de chez moi, a été tué, à ce que l’on croit, par son complice ?
— Oui, dit Danglars.
— Eh bien ! pour lui porter secours, on l’avait déshabillé et l’on avait jeté ses habits dans un coin où la justice les a ramassés ; mais la justice, en prenant l’habit et le pantalon pour les déposer au greffe, avait oublié le gilet.
Andrea pâlit visiblement et tira tout doucement du côté de la porte ; il voyait paraître un nuage à l’horizon, et ce nuage lui semblait renfermer la tempête dans ses flancs.
— Eh bien ! ce malheureux gilet, on l’a trouvé aujourd’hui tout couvert de sang et troué à l’endroit du cœur.
Les dames poussèrent un cri, et deux ou trois se préparèrent à s’évanouir.
— On me l’a apporté. Personne ne pouvait deviner d’où venait cette guenille ; moi seul songeai que c’était probablement le gilet de la victime. Tout à coup mon valet de chambre, en fouillant avec dégoût et précaution cette funèbre relique, a senti un papier dans la poche et l’en a tiré : c’était une lettre adressée à qui ? à vous, baron.
— À moi ? s’écria Danglars.
— Oh ! mon Dieu ! oui, à vous ; je suis parvenu à lire votre nom sous le sang dont le billet était maculé, répondit Monte-Cristo au milieu des éclats de surprise générale.
— Mais, demanda madame Danglars regardant son mari avec inquiétude, comment cela empêche-t-il M. de Villefort ?
— C’est tout simple, madame, répondit Monte-Cristo ; ce gilet et cette lettre étaient ce qu’on appelle des pièces de conviction ; lettre et gilet, j’ai tout envoyé à M. le procureur du roi. Vous comprenez, mon cher baron, la voie légale est la plus sûre en matière criminelle : c’était peut-être quelque machination contre vous.
Andrea regarda fixement Monte-Cristo et disparut dans le deuxième salon.
— C’est possible, dit Danglars ; cet homme assassiné n’était-il point un ancien forçat ?
— Oui, répondit le comte, un ancien forçat nommé Caderousse.
Danglars pâlit légèrement ; Andrea quitta le second salon et gagna l’antichambre.
— Mais signez donc, signez donc ! dit Monte-Cristo je m’aperçois que mon récit a mis tout le monde en émoi et j’en demande bien humblement pardon à vous, madame la baronne, et à mademoiselle Danglars.
La baronne, qui venait de signer, remit la plume au notaire.
— Monsieur le prince Cavalcanti, dit le tabellion, monsieur le prince Cavalcanti, où êtes-vous ?
— Andrea ! Andrea ! répétèrent plusieurs voix de jeunes gens qui en étaient déjà arrivés avec le noble Italien à ce degré d’intimité de l’appeler par son nom de baptême.
— Appelez donc le prince, prévenez-le donc que c’est à lui de signer ! cria Danglars à un huissier.
Mais au même instant la foule des assistants reflua, terrifiée, dans le salon principal, comme si quelque monstre effroyable fût entré dans les appartements, quœrens quem devoret.
Il y avait en effet de quoi reculer, s’effrayer, crier.
Un officier de gendarmerie plaçait deux gendarmes à la porte de chaque salon, et s’avançait vers Danglars, précédé d’un commissaire de police ceint de son écharpe.
Madame Danglars poussa un cri et s’évanouit.
Danglars, qui se croyait menacé (certaines consciences ne sont jamais calmes), Danglars offrit aux yeux de ses conviés un visage décomposé par la terreur.
— Qu’y a-t-il donc, monsieur ? demanda Monte-Cristo s’avançant au-devant du commissaire.
— Lequel de vous, messieurs, demanda le magistrat sans répondre au comte, s’appelle Andrea Cavalcanti ?
Un cri de stupeur partit de tous les coins du salon.
On chercha ; on interrogea.
— Mais quel est donc cet Andrea Cavalcanti ? demanda Danglars presque égaré.
— Un ancien forçat échappé du bagne de Toulon.
— Et quel crime a-t-il commis ?
— Il est prévenu, dit le commissaire de sa voix impassible, d’avoir assassiné le nommé Caderousse, son ancien compagnon de chaîne, au moment où il sortait de chez le comte de Monte-Cristo.
Monte-Cristo jeta un regard rapide autour de lui.
Andrea avait disparu.
Quelques secondes après l’entrée de madame Danglars dans sa loge, la toile avait baissé, et, grâce à cette faculté, laissée par la longueur des entractes, de se promener au foyer ou de faire des visites pendant une demi-heure, l’orchestre s’était à peu près dégarni.
Morcerf et Château-Renaud étaient sortis des premiers. Un instant madame Danglars avait pensé que cet empressement d’Albert avait pour but de lui venir présenter ses compliments, et elle s’était penchée à l’oreille de sa fille pour lui annoncer cette visite, mais celle-ci s’était contentée de secouer la tête en souriant ; et en même temps, comme pour prouver combien la dénégation d’Eugénie était fondée, Morcerf apparut dans une loge de côté du premier rang. Cette loge était celle de la comtesse G…
— Ah ! vous voilà, monsieur le voyageur, dit celle-ci en lui tendant la main avec toute la cordialité d’une vieille connaissance ; c’est bien aimable à vous de m’avoir reconnue, et surtout de m’avoir donné la préférence pour votre première visite.
— Croyez, madame, répondit Albert, que si j’eusse su votre arrivée à Paris et connu votre adresse, je n’eusse point attendu si tard. Mais veuillez me permettre de vous présenter M. le baron de Château-Renaud, mon ami, un des rares gentilshommes qui restent encore en France, et par lequel je viens d’apprendre que vous étiez aux courses du Champ-de-Mars.
Château-Renaud salua.
LE MAJOR CAVALCANTI.
Ni le comte, ni Baptistin n’avaient menti en annonçant à Morcerf cette visite du major Lucquois, qui servait à Monte-Cristo de prétexte pour refuser le dîner qui lui était offert.
Sept heures venaient de sonner, et M. Bertuccio, selon l’ordre qu’il en avait reçu, était parti depuis deux heures pour Auteuil, lorsqu’un fiacre s’arrêta à la porte de l’hôtel, et sembla s’enfuir tout honteux aussitôt qu’il eut déposé près de la grille un homme de cinquante-deux ans environ, vêtu d’une de ces redingotes vertes à brandebourgs noirs dont l’espèce est impérissable, à ce qu’il paraît, en Europe. Un large pantalon de drap bleu, une botte encore assez propre, quoique d’un vernis incertain et un peu trop épaisse de semelle, des gants de daim, un chapeau se rapprochant pour la forme d’un chapeau de gendarme, un col noir, brodé d’un liséré blanc, qui, si son propriétaire ne l’eût porté de sa pleine et entière volonté, eût pu passer pour un carcan : tel était le costume pittoresque sous lequel se présenta le personnage qui sonna à la grille en demandant si ce n’était point au n° 30 de l’avenue des Champs-Élysées que demeurait M. le comte de Monte-Cristo, et qui, sur la réponse affirmative du concierge, entra, ferma la porte derrière lui et se dirigea vers le perron.
La tête petite et anguleuse de cet homme, ses cheveux blanchissants, sa moustache épaisse et grise le firent reconnaître par Baptistin, qui avait l’exact signalement du visiteur et qui l’attendait au bas du vestibule. Aussi, à peine eut-il prononcé son nom devant le serviteur intelligent, que Monte-Cristo était prévenu de son arrivée.
On introduisit l’étranger dans le salon le plus simple. Le comte l’y attendait et alla au-devant de lui d’un air riant.
— Ah ! cher monsieur, dit-il, soyez le bienvenu. Je vous attendais.
— Vraiment ! dit le Lucquois, Votre Excellence m’attendait.
— Oui, j’avais été prévenu de votre arrivée pour aujourd’hui à sept heures.
— De mon arrivée ? Ainsi vous étiez prévenu ?
— Parfaitement.
— Ah ! tant mieux ! Je craignais, je l’avoue, que l’on eût oublié cette petite précaution.
— Laquelle ?
— De vous prévenir.
— Oh ! non pas !
— Mais vous êtes sûr de ne pas vous tromper ?
— J’en suis sûr.
— C’est bien moi que Votre Excellence attendait aujourd’hui à sept heures ?
— C’est bien vous. D’ailleurs, vérifions.
— Oh ! si vous m’attendiez, dit le Lucquois, ce n’est pas la peine.
— Si fait ! si fait ! dit Monte-Cristo.
Le Lucquois parut légèrement inquiet.
— Voyons, dit Monte-Cristo, n’êtes-vous pas monsieur le marquis Bartolomeo Cavalcanti ?
— Bartolomeo Cavalcanti, répéta le Lucquois joyeux, c’est bien cela.
— Ex-major au service d’Autriche ?
— Était-ce major que j’étais ? demanda timidement le vieux militaire.
— Oui, dit Monte-Cristo, c’était major. C’est le nom que l’on donne en France au grade que vous occupiez en Italie.
— Bon, dit le Lucquois, je ne demande pas mieux, moi, vous comprenez…
— D’ailleurs, vous ne venez pas ici de votre propre mouvement, reprit Monte-Cristo.
— Oh ! bien certainement.
— Vous m’êtes adressé par quelqu’un.
— Oui.
— Par cet excellent abbé Busoni ?
— C’est cela ! s’écria le major joyeux.
— Et vous avez une lettre ?
— La voilà.
— Eh pardieu ! vous voyez bien. Donnez donc.
Et Monte-Cristo prit la lettre qu’il ouvrit et qu’il lut.
Le major regardait le comte avec de gros yeux étonnés qui se portaient curieusement sur chaque partie de l’appartement, mais qui revenaient invariablement à son propriétaire.
— C’est bien cela… ce cher abbé, « Le major Cavalcanti, un digne praticien de Lucques, descendant des Cavalcanti de Florence, continua Monte-Cristo tout en lisant, jouissant d’une fortune d’un demi-million de revenu. »
Monte-Cristo leva les yeux de dessus le papier et salua.
— D’un demi-million, dit-il ; peste ! mon cher monsieur Cavalcanti.
— Y a-t-il un demi-million ? demanda le Lucquois.
— En toutes lettres ; et cela doit être, l’abbé Busoni est l’homme qui connaît le mieux toutes les grandes fortunes de l’Europe.
— Va pour un demi-million, dit le Lucquois ; mais, ma parole d’honneur, je ne croyais pas que cela montât si haut.
— Parce que vous avez un intendant qui vous vole ; que voulez-vous, cher monsieur Cavalcanti, il faut bien passer par là !
— Vous venez de m’éclairer, dit gravement le Lucquois, je mettrai le drôle à la porte.
Monte-Cristo continua :
— « Et auquel il ne manquerait qu’une chose pour être heureux. »
— Oh ! mon Dieu, oui ! une seule, dit le Lucquois avec un soupir.
— « De retrouver un fils adoré. »
— Un fils adoré !
— « Enlevé dans sa jeunesse, soit par un ennemi de sa noble famille, soit par des Bohémiens. »
— À l’âge de cinq ans, monsieur, dit le Lucquois avec un profond soupir et en levant les yeux au ciel.
— Pauvre père ! dit Monte-Cristo.
Le comte continua :
— « Je lui rends l’espoir, je lui rends la vie, monsieur le comte, en lui annonçant que ce fils, que depuis quinze ans il cherche vainement, vous pouvez le lui faire retrouver. »
Le Lucquois regarda Monte-Cristo avec une indéfinissable expression d’inquiétude.
— Je le puis, répondit Monte-Cristo.
Le major se redressa.
— Ah ! ah ! dit-il, la lettre était donc vraie jusqu’au bout ?
— En aviez-vous douté, cher monsieur Bartolomeo ?
— Non pas, jamais ! Comment donc ! un homme grave, un homme revêtu d’un caractère religieux comme l’abbé Busoni, ne se serait pas permis une plaisanterie pareille ; mais vous n’avez pas tout lu, Excellence.
— Ah ! c’est vrai, dit Monte-Cristo, il y a un post-scriptum.
— Oui, répéta le Lucquois… oui… il… y… a… un… post-scriptum.
— « Pour ne point causer au major Cavalcanti l’embarras de déplacer des fonds chez son banquier, je lui envoie une traite de deux mille francs pour ses frais de voyage, et le crédit sur vous de la somme de quarante-huit mille francs que vous restez me redevoir. »
Le major suivit des yeux ce post-scriptum avec une visible anxiété.
— Bon ! se contenta de dire le comte.
— Il a dit bon, murmura le Lucquois. Ainsi… monsieur, reprit-il.
— Ainsi ?… demanda Monte-Cristo.
— Ainsi, le post-scriptum…
— Eh bien, le post-scriptum ?…
— Est accueilli par vous aussi favorablement que le reste de la lettre ?
— Certainement. Nous sommes en compte, l’abbé Busoni et moi ; je ne sais pas si c’est quarante-huit mille livres précisément que je reste lui redevoir, nous n’en sommes pas entre nous à quelques billets de banque. Ah çà ! vous attachiez donc une si grande importance à ce post-scriptum, cher monsieur Cavalcanti ?
— Je vous avouerai, répondit le Lucquois, que plein de confiance dans la signature de l’abbé Busoni, je ne m’étais pas muni d’autres fonds ; de sorte que si cette ressource m’eût manqué, je me serais trouvé fort embarrassé à Paris.
— Est-ce qu’un homme comme vous est embarrassé quelque part ? dit Monte-Cristo ! allons donc !
— Dame ! ne connaissant personne, fit le Lucquois.
— Mais on vous connaît, vous.
— Oui, l’on me connaît, de sorte que…
— Achevez, cher monsieur Cavalcanti !
— De sorte que vous me remettrez ces quarante huit mille livres ?
— À votre première réquisition.
Le major roulait de gros yeux ébahis.
— Mais asseyez-vous donc, dit Monte-Cristo : en vérité, je ne sais ce que je fais… je vous tiens debout depuis un quart d’heure.
— Ne faites pas attention.
Le major tira un fauteuil et s’assit.
— Maintenant, dit le comte, voulez-vous prendre quelque chose ; un verre de xérès, de porto, d’alicante ?
— D’alicante, puisque vous le voulez bien, c’est mon vin de prédilection.
— J’en ai d’excellent. Avec un biscuit, n’est-ce pas ?
— Avec un biscuit, puisque vous m’y forcez.
Monte-Cristo sonna ; Baptistin parut.
Le comte s’avança vers lui.
— Eh bien ?… demanda-t-il tout bas.
— Le jeune homme est là, répondit le valet de chambre sur le même ton.
— Bien ; où l’avez-vous fait entrer ?
— Dans le salon bleu, comme l’avait ordonné Son Excellence.
— À merveille. Apportez du vin d’Alicante et des biscuits.
Baptistin sortit.
— En vérité, dit le Lucquois, je vous donne une peine qui me remplit de confusion.
— Allons donc ! dit Monte-Cristo.
Baptistin rentra avec les verres, le vin et les biscuits.
Le comte emplit un verre et versa dans le second quelques gouttes seulement du rubis liquide que contenait la bouteille, toute couverte de toiles d’araignée et de tous les autres signes qui indiquent la vieillesse du vin bien plus sûrement que ne le font les rides pour l’homme.
Le major ne se trompa point au partage, il prit le verre plein et un biscuit.
Le comte ordonna à Baptistin de poser le plateau à la portée de la main de son hôte, qui commença par goûter l’alicante du bout de ses lèvres, fit une grimace de satisfaction, et introduisit délicatement le biscuit dans le verre.
— Ainsi, monsieur, dit Monte-Cristo, vous habitiez Lucques, vous étiez riche, vous êtes noble, vous jouissiez de la considération générale, vous aviez tout ce qui peut rendre un homme heureux.
— Tout, Excellence, dit le major en engloutissant son biscuit, tout absolument.
— Et il ne manquait qu’une chose à votre bonheur ?
— Qu’une seule, dit le Lucquois.
— C’était de retrouver votre enfant ?
— Ah ! fit le major en prenant un second biscuit ; mais aussi cela me manquait bien.
Le digne Lucquois leva les yeux et tenta un effort pour soupirer.
— Maintenant, voyons, cher monsieur Cavalcanti, dit Monte-Cristo, qu’était-ce que ce fils tant regretté ? car on m’avait dit, à moi, que vous étiez resté célibataire.
— On le croyait, monsieur, dit le major, et moi-même…
— Oui, reprit Monte-Cristo, et vous-même aviez accrédité ce bruit. Un péché de jeunesse que vous vouliez cacher à tous les yeux.
Le Lucquois se redressa, prit son air le plus calme et le plus digne, en même temps qu’il baissait modestement les yeux, soit pour assurer sa contenance, soit pour aider à son imagination, tout en regardant en dessous le comte, dont le sourire stéréotypé sur les lèvres annonçait toujours la même bienveillante curiosité.
— Oui, monsieur, dit-il, je voulais cacher cette faute à tous les yeux.
— Pas pour vous, dit Monte-Cristo, car un homme est au-dessus de ces choses-là.
— Oh ! non, pas pour moi certainement, dit le major avec un sourire et en hochant la tête.
— Mais pour sa mère, dit le comte.
— Pour sa mère ! s’écria le Lucquois en prenant un troisième biscuit, pour sa pauvre mère !
— Buvez donc, cher monsieur Cavalcanti, dit Monte-Cristo en versant au Lucquois un second verre d’alicante ; l’émotion vous étouffe.
— Pour sa pauvre mère ! murmura le Lucquois en essayant si la puissance de la volonté ne pourrait pas, en agissant sur la glande lacrymale, mouiller le coin de son œil d’une fausse larme.
— Qui appartenait à l’une des premières familles de l’Italie, je crois ?
— Patricienne de Fiesole, monsieur le comte, patricienne de Fiesole !
— Et se nommant ?
— Vous désirez savoir son nom ?
— Oh ! mon Dieu ! dit Monte-Cristo, c’est inutile que vous me le disiez, je le connais.
— Monsieur le comte sait tout, dit le Lucquois en s’inclinant.
— Olivia Corsinari, n’est-ce pas ?
— Olivia Corsinari !
— Marquise ?
— Marquise !
— Et vous avez fini par l’épouser cependant, malgré les oppositions de la famille ?
— Mon Dieu ! oui, j’ai fini par là.
— Et, reprit Monte-Cristo, vous apportez vos papiers bien en règle ?
— Quels papiers ? demanda le Lucquois.
— Mais votre acte de mariage avec Olivia Corsinari, et l’acte de naissance de l’enfant.
— L’acte de naissance de l’enfant ?
— L’acte de naissance d’Andrea Cavalcanti, de votre fils ; ne s’appelle-t-il pas Andrea ?
— Je crois que oui, dit le Lucquois.
— Comment ! vous le croyez ?
— Dame ! je n’ose pas affirmer, il y a si longtemps qu’il est perdu.
— C’est juste, dit Monte-Cristo. Enfin vous avez tous ces papiers ?
— Monsieur le comte, c’est avec regret que je vous annonce que, n’étant pas prévenu de me munir de ces pièces, j’ai négligé de les prendre avec moi.
— Ah ! diable, fit Monte-Cristo.
— Étaient-elles donc tout à fait nécessaires ?
— Indispensables !
Le Lucquois se gratta le front.
— Ah ! per Baccho ! dit-il, indispensables !
— Sans doute ; si l’on allait élever ici quelque doute sur la validité de votre mariage, sur la légitimité de votre enfant !
— C’est juste, dit le Lucquois, on pourrait élever des doutes.
— Ce serait fâcheux pour ce jeune homme.
— Ce serait fatal.
— Cela pourrait lui faire manquer quelque magnifique mariage.
— O peccato !
— En France, vous comprenez, on est sévère ; il ne suffit pas, comme en Italie, d’aller trouver un prêtre et de lui dire : Nous nous aimons, unissez-nous. Il y a mariage civil en France, et, pour se marier civilement, il faut des pièces qui constatent l’identité.
— Voilà le malheur : ces papiers, je ne les ai pas.
— Heureusement que je les ai, moi, dit Monte-Cristo.
— Vous ?
— Oui.
— Vous les avez ?
— Je les ai.
— Ah ! par exemple, dit le Lucquois, qui, voyant le but de son voyage manqué par l’absence de ses papiers, craignait que cet oubli n’amenât quelque difficulté au sujet des quarante-huit mille livres ; ah ! par exemple, voilà un bonheur ! Oui, reprit-il, voilà un bonheur, car je n’y eusse pas songé, moi.
— Pardieu ! je crois bien, on ne songe pas à tout. Mais heureusement l’abbé Busoni y a songé pour vous.
— Voyez-vous, ce cher abbé !
— C’est un homme de précaution.
— C’est un homme admirable, dit le Lucquois ; et il vous les a envoyés ?
— Les voici.
Le Lucquois joignit les mains en signe d’admiration.
— Vous avez épousé Olivia Corsinari dans l’église de Sainte-Paule de Monte-Cattini ; voici le certificat du prêtre.
— Oui, ma foi ! le voilà, dit le major en le regardant avec étonnement.
— Et voici l’acte de baptême d’Andrea Cavalcanti, délivré par le curé de Saravezza.
— Tout est en règle, dit le major.
— Alors prenez ces papiers, dont je n’ai que faire, vous les donnerez à votre fils qui les gardera soigneusement.
— Je le crois bien !… S’il les perdait…
— Eh bien, s’il les perdait ? demanda Monte-Cristo.
— Eh bien, reprit le Lucquois, on serait obligé d’écrire là-bas, et ce serait fort long de s’en procurer d’autres.
— En effet, ce serait difficile, dit Monte-Cristo.
— Presque impossible, répondit le Lucquois.
— Je suis bien aise que vous compreniez la valeur de ces papiers.
— C’est-à-dire que je les regarde comme impayables.
— Maintenant, dit Monte-Cristo, quant à la mère du jeune homme ?…
— Quant à la mère du jeune homme… répéta le major avec inquiétude.
— Quant à la marquise Corsinari ?…
— Mon Dieu ! dit le Lucquois, sous les pas duquel les difficultés semblaient naître, est-ce qu’on aurait besoin d’elle ?
— Non, monsieur, reprit Monte-Cristo ; d’ailleurs, n’a-t-elle point ?…
— Si fait, si fait, dit le major, elle a…
— Payé son tribut à la nature ?…
— Hélas ! oui, dit vivement le Lucquois.
— J’ai su cela, reprit Monte-Cristo ; elle est morte il y a dix ans.
— Et je pleure encore sa mort, monsieur, dit le major en tirant de sa poche un mouchoir à carreaux et en s’essuyant alternativement d’abord l’œil gauche et ensuite l’œil droit.
— Que voulez-vous, dit Monte-Cristo, nous sommes tous mortels. Maintenant vous comprenez, cher monsieur Cavalcanti, vous comprenez qu’il est inutile qu’on sache en France que vous êtes séparé de votre fils depuis quinze ans. Toutes ces histoires de Bohémiens qui enlèvent les enfants n’ont pas de vogue chez nous. Vous l’avez envoyé faire son éducation dans un collège de province, et vous voulez qu’il achève cette éducation dans le monde parisien. Voilà pourquoi vous avez quitté Via-Reggio, que vous habitiez depuis la mort de votre femme. Cela suffira.
— Vous croyez ?
— Certainement.
— Très bien, alors.
— Si l’on apprenait quelque chose de cette séparation…
— Ah ! oui. Que dirais-je ?
— Qu’un précepteur infidèle, vendu aux ennemis de votre famille…
— Aux Corsinari ?
— Certainement… avait enlevé cet enfant pour que votre nom s’éteignît.
— C’est juste, puisqu’il est fils unique.
— Eh bien ! maintenant que tout est arrêté, que vos souvenirs, remis à neuf, ne vous trahiront pas, vous avez deviné sans doute que je vous ai ménagé une surprise ?
— Agréable ? demanda le Lucquois.
— Ah ! dit Monte-Cristo, je vois bien qu’on ne trompe pas plus l’œil que le cœur d’un père.
— Hum ! fit le major.
— On vous a fait quelque révélation indiscrète, ou plutôt vous avez deviné qu’il était là.
— Qui, là ?
— Votre enfant, votre fils, votre Andrea.
— Je l’ai deviné, répondit le Lucquois avec le plus grand flegme du monde : ainsi il est ici ?
— Ici même, dit Monte-Cristo ; en entrant tout à l’heure, le valet de chambre m’a prévenu de son arrivée.
— Ah ! fort bien ! ah ! fort bien ! dit le major en resserrant à chaque exclamation les brandebourgs de sa polonaise.
— Mon cher monsieur, dit Monte-Cristo, je comprends toute votre émotion, il faut vous donner le temps de vous remettre ; je veux aussi préparer le jeune homme à cette entrevue tant désirée, car je présume qu’il n’est pas moins impatient que vous.
— Je le crois, dit Cavalcanti.
— Eh bien, dans un petit quart d’heure nous sommes à vous.
— Vous me l’amenez donc ? vous poussez donc la bonté jusqu’à me le présenter vous-même ?
— Non, je ne veux point me placer entre un père et son fils, vous serez seuls, monsieur le major ; mais soyez tranquille, au cas même où la voix du sang resterait muette, il n’y aurait pas à vous tromper : il entrera par cette porte. C’est un beau jeune homme blond, un peu trop blond peut-être, de manières toutes prévenantes ; vous verrez.
— À propos, dit le major, vous savez que je n’ai emporté avec moi que les deux mille francs que ce bon abbé Busoni m’avait fait passer. Là-dessus j’ai fait le voyage, et…
— Et vous avez besoin d’argent… c’est trop juste, cher monsieur Cavalcanti. Tenez, voici pour faire un compte, huit billets de mille francs.
Les yeux du major brillèrent comme des escarboucles.
— C’est quarante mille francs que je vous redois, dit Monte-Cristo.
— Votre Excellence veut-elle un reçu ? dit le major en glissant les billets dans la poche intérieure de sa polonaise.
— À quoi bon ? dit le comte.
— Mais pour vous décharger vis-à-vis de l’abbé Busoni.
— Eh bien, vous me donnerez un reçu général en touchant les quarante derniers mille francs. Entre honnêtes gens, de pareilles précautions sont inutiles.
— Ah ! oui, c’est vrai, dit le major, entre honnêtes gens.
— Maintenant, un dernier mot, marquis.
— Dites.
— Vous permettez une petite recommandation, n’est-ce pas ?
— Comment donc ! Je la demande.
— Il n’y aurait pas de mal que vous quittassiez cette polonaise.
— Vraiment ! dit le major en regardant le vêtement avec une certaine complaisance.
— Oui, cela se porte encore à Via-Reggio, mais à Paris il y a déjà longtemps que ce costume, quelque élégant qu’il soit, a passé de mode.
— C’est fâcheux, dit le Lucquois.
— Oh ! si vous y tenez, vous le reprendrez en vous en allant.
— Mais que mettrai-je ?
— Ce que vous trouverez dans vos malles.
— Comment, dans mes malles ! je n’ai qu’un portemanteau.
— Avec vous sans doute. À quoi bon s’embarrasser ? D’ailleurs, un vieux soldat aime à marcher en leste équipage.
— Voilà justement pourquoi…
— Mais vous êtes homme de précaution, et vous avez envoyé vos malles en avant. Elles sont arrivées hier à l’hôtel des Princes, rue Richelieu. C’est là que vous avez retenu votre logement.
— Alors dans ces malles ?
— Je présume que vous avez eu la précaution de faire enfermer par votre valet de chambre tout ce qu’il vous faut : habits de ville, habits d’uniforme. Dans les grandes circonstances, vous mettrez l’habit d’uniforme, cela fait bien. N’oubliez pas votre croix. On s’en moque encore en France, mais on en porte toujours.
— Très bien, très bien, très bien ! dit le major qui marchait d’éblouissements en éblouissements.
— Et maintenant, dit Monte-Cristo, que votre cœur est affermi contre les émotions trop vives, préparez-vous, cher monsieur Cavalcanti, à revoir votre fils Andrea.
Et faisant un charmant salut au Lucquois, ravi, en extase, Monte-Cristo disparut derrière la tapisserie.
ANDREA CAVALCANTI.
Le comte de Monte-Cristo entra dans le salon voisin que Baptistin avait désigné sous le nom de salon bleu, et où venait de le précéder un jeune homme de tournure dégagée, assez élégamment vêtu, et qu’un cabriolet de place avait, une demi-heure auparavant, jeté à la porte de l’hôtel. Baptistin n’avait pas eu de peine à le reconnaître ; c’était bien ce grand jeune homme aux cheveux blonds, à la moustache rousse, aux yeux noirs, dont le teint vermeil et la peau éblouissante de blancheur lui avaient été signalés par son maître.
Quand le comte entra dans le salon, le jeune homme était négligemment étendu sur un sofa, fouettant avec distraction sa botte d’un petit jonc à pomme d’or.
En apercevant Monte-Cristo, il se leva vivement.
— Monsieur est le comte de Monte-Cristo ? dit-il.
— Oui, monsieur, répondit celui-ci, et j’ai l’honneur de parler, je crois, à monsieur le vicomte Andrea Cavalcanti ?
— Le vicomte Andrea Cavalcanti, répéta le jeune homme en accompagnant ces mots d’un salut plein de désinvolture.
— Vous devez avoir une lettre qui vous accrédite près de moi ? dit Monte-Cristo.
— Je ne vous en parlais pas à cause de la signature, qui m’a paru étrange.
— Simbad le marin, n’est-ce pas ?
— Justement. Or, comme je n’ai jamais connu d’autre Simbad le marin que celui des Mille et une Nuits…
— Eh bien, c’est un de ses descendants, un de mes amis fort riche, un Anglais plus qu’original, presque fou, dont le véritable nom est Lord Wilmore.
— Ah ! voilà qui m’explique tout, dit Andrea. Alors cela va à merveille. C’est ce même Anglais que j’ai connu… à… oui, très bien !… Monsieur le comte, je suis votre serviteur.
— Si ce que vous me faites l’honneur de me dire est vrai, répliqua en souriant le comte, j’espère que vous serez assez bon pour me donner quelques détails sur vous et votre famille.
— Volontiers, monsieur le comte, répondit le jeune homme avec une volubilité qui prouvait la solidité de sa mémoire. Je suis, comme vous l’avez dit, le vicomte Andrea Cavalcanti, fils du major Bartolomeo Cavalcanti descendant des Cavalcanti inscrits au livre d’or de Florence. Notre famille, quoique très riche encore puisque mon père possède un demi-million de rente, a éprouvé bien des malheurs, et moi-même, monsieur, j’ai été à l’âge de cinq ou six ans enlevé par un gouverneur infidèle ; de sorte que depuis quinze ans je n’ai point revu l’auteur de mes jours. Depuis que j’ai l’âge de raison, depuis que je suis libre et maître de moi, je le cherche, mais inutilement. Enfin cette lettre de votre ami Simbad m’annonce qu’il est à Paris, et m’autorise à m’adresser à vous pour en obtenir des nouvelles.
— En vérité, monsieur, tout ce que vous me racontez là est fort intéressant, dit le comte, regardant avec une sombre satisfaction cette mine dégagée, empreinte d’une beauté pareille à celle du mauvais ange, et vous avez fort bien fait de vous conformer en toutes choses à l’invitation de mon ami Simbad, car votre père est en effet ici et vous cherche.
Le comte, depuis son entrée au salon, n’avait pas perdu de vue le jeune homme ; il avait admiré l’assurance de son regard et la sûreté de sa voix ; mais à ces mots si naturels : Votre père est en effet ici et vous cherche, le jeune Andrea fit un bond et s’écria :
— Mon père ! mon père ici ?
— Sans doute, répondit Monte-Cristo, votre père, le major Bartolomeo Cavalcanti.
L’impression de terreur répandue sur les traits du jeune homme s’effaça presque aussitôt.
— Ah ! oui, c’est vrai, dit-il, le major Bartolomeo Cavalcanti. Et vous dites, monsieur le comte, qu’il est ici, ce cher père.
— Oui, monsieur. J’ajouterai même que je le quitte à l’instant, que l’histoire qu’il m’a contée de ce fils chéri, perdu autrefois, m’a fort touché ; en vérité, ses douleurs, ses craintes, ses espérances à ce sujet composeraient un poème attendrissant. Enfin il reçut un jour des nouvelles qui lui annonçaient que les ravisseurs de son fils offraient de le rendre, ou d’indiquer où il était, moyennant une somme assez forte.
Mais rien ne retint ce bon père ; cette somme fut envoyée à la frontière du Piémont, avec un passeport tout visé pour l’Italie. Vous étiez dans le Midi de la France, je crois ?
— Oui, monsieur, répondit Andrea d’un air assez embarrassé ; oui, j’étais dans le Midi de la France.
— Une voiture devait vous attendre à Nice ?
— C’est bien cela, monsieur ; elle m’a conduit de Nice à Gênes, de Gênes à Turin, de Turin à Chambéry, de Chambéry à Pont-de-Beauvoisin, et de Pont-de-Beauvoisin à Paris.
— À merveille ! Il espérait toujours vous rencontrer en chemin, car c’était la route qu’il suivait lui-même ; voilà pourquoi votre itinéraire avait été tracé ainsi.
— Mais, dit Andrea, s’il m’eût rencontré, ce cher père, je doute qu’il m’eût reconnu ; je suis quelque peu changé depuis que je l’ai perdu de vue.
— Oh ! la voix du sang, dit Monte-Cristo.
— Ah ! oui, c’est vrai, reprit le jeune homme, je n’y songeais pas à la voix du sang.
— Maintenant, reprit Monte-Cristo, une seule chose inquiète le marquis Cavalcanti, c’est ce que vous avez fait pendant que vous avez été éloigné de lui ; c’est de quelle façon vous avez été traité par vos persécuteurs ; c’est si l’on a conservé pour votre naissance tous les égards qui lui étaient dus ; c’est enfin s’il ne vous est pas resté de cette souffrance morale à laquelle vous avez été exposé, souffrance pire cent fois que la souffrance physique, quelque affaiblissement des facultés dont la nature vous a si largement doué, et si vous croyez vous-même pouvoir reprendre et soutenir dignement dans le monde le rang qui vous appartient.
— Monsieur, balbutia le jeune homme étourdi, j’espère qu’aucun faux rapport…
— Moi ! J’ai entendu parler de vous pour la première fois par mon ami lord Wilmore, le philanthrope. J’ai su qu’il vous avait trouvé dans une position fâcheuse, j’ignore laquelle, et ne lui ai fait aucune question : je ne suis pas curieux. Vos malheurs l’ont intéressé, donc vous étiez intéressant. Il m’a dit qu’il voulait vous rendre dans le monde la position que vous aviez perdue, qu’il chercherait votre père, qu’il le trouverait ; il l’a cherché, il l’a trouvé, à ce qu’il paraît, puisqu’il est là ; enfin il m’a prévenu hier de votre arrivée, en me donnant encore quelques autres instructions relatives à votre fortune ; voilà tout. Je sais que c’est un original, mon ami Wilmore, mais en même temps, comme c’est un homme sûr, riche comme une mine d’or, et qui, par conséquent, peut se passer ses originalités sans qu’elles le ruinent, j’ai promis de suivre ses instructions. Maintenant, monsieur, ne vous blessez pas de ma question : comme je serai obligé de vous patronner quelque peu, je désirerais savoir si les malheurs qui vous sont arrivés, malheurs indépendants de votre volonté et qui ne diminuent en aucune façon la considération que je vous porte, ne vous ont pas rendu quelque peu étranger à ce monde dans lequel votre fortune et votre nom vous appelaient à faire si bonne figure.
— Monsieur, répondit le jeune homme reprenant son aplomb au fur et à mesure que le comte parlait, rassurez-vous sur ce point : les ravisseurs qui m’ont éloigné de mon père, et qui, sans doute, avaient pour but de me vendre plus tard à lui comme ils l’ont fait, ont calculé que, pour tirer un bon parti de moi, il fallait me laisser toute ma valeur personnelle, et même l’augmenter encore, s’il était possible ; j’ai donc reçu une assez bonne éducation, et j’ai été traité par les larrons d’enfants à peu près comme l’étaient dans l’Asie Mineure les esclaves dont leurs maîtres faisaient des grammairiens, des médecins et des philosophes, pour les vendre plus cher au marché de Rome.
Monte-Cristo sourit avec satisfaction ; il n’avait pas tant espéré, à ce qu’il paraît, de M. Andrea Cavalcanti.
— D’ailleurs, reprit le jeune homme, s’il y avait en moi quelque défaut d’éducation ou plutôt d’habitude du monde, on aurait, je suppose, l’indulgence de les excuser, en considération des malheurs qui ont accompagné ma naissance et poursuivi ma jeunesse.
— Eh bien, dit négligemment Monte-Cristo, vous en ferez ce que vous voudrez, vicomte, car vous êtes le maître, et cela vous regarde ; mais, ma parole, au contraire, je ne dirais pas un mot de toutes ces aventures, c’est un roman que votre histoire, et le monde, qui adore les romans serrés entre deux couvertures de papier jaune, se défie étrangement de ceux qu’il voit reliés en vélin vivant, fussent-ils dorés comme vous pouvez l’être. Voilà la difficulté que je me permettrai de vous signaler, monsieur le vicomte ; à peine aurez-vous raconté à quelqu’un votre touchante histoire, qu’elle courra dans le monde complètement dénaturée. Vous serez obligé de vous poser en Antony, et le temps des Antony est un peu passé. Peut-être aurez-vous un succès de curiosité, mais tout le monde n’aime pas à se faire centre d’observations et cible à commentaires. Cela vous fatiguera peut-être.
— Je crois que vous avez raison, monsieur le comte, dit le jeune homme en pâlissant malgré lui, sous l’inflexible regard de Monte-Cristo ; c’est là un grave inconvénient.
— Oh ! il ne faut pas non plus se l’exagérer, dit Monte-Cristo ; car, pour éviter une faute, on tomberait dans une folie. Non, c’est un simple plan de conduite à arrêter ; et, pour un homme intelligent comme vous, ce plan est d’autant plus facile à adopter, qu’il est conforme à vos intérêts ; il faudra combattre, par des témoignages et par d’honorables amitiés, tout ce que votre passé peut avoir d’obscur.
Andrea perdit visiblement contenance.
— Je m’offrirais bien à vous comme répondant et caution, dit Monte-Cristo ; mais c’est chez moi une habitude morale de douter de mes meilleurs amis, et un besoin de chercher à faire douter les autres ; aussi jouerais-je là un rôle hors de mon emploi, comme disent les tragédiens, et je risquerais de me faire siffler, ce qui est inutile.
— Cependant, monsieur le comte, dit Andrea avec audace, en considération de lord Wilmore qui m’a recommandé à vous…
— Oui, certainement, reprit Monte-Cristo ; mais lord Wilmore ne m’a pas laissé ignorer, cher monsieur Andrea, que vous aviez eu une jeunesse quelque peu orageuse. Oh ! dit le comte en voyant le mouvement que faisait Andrea, je ne vous demande pas de confession ; d’ailleurs, c’est pour que vous n’ayez besoin de personne que l’on a fait venir de Lucques M. le marquis Cavalcanti, votre père. Vous allez le voir, il est un peu raide, un peu guindé ; mais c’est une question d’uniforme, et quand on saura que depuis dix-huit ans il est au service de l’Autriche, tout s’excusera ; nous ne sommes pas, en général, exigeants pour les Autrichiens. En somme, c’est un père fort suffisant, je vous assure.
— Ah ! vous me rassurez, monsieur ; je l’avais quitté depuis si longtemps, que je n’avais de lui aucun souvenir.
— Et puis, vous savez, une grande fortune fait passer sur bien des choses.
— Mon père est donc réellement riche, monsieur ?
— Millionnaire… cinq cent mille livres de rente.
— Alors, demanda le jeune homme avec anxiété, je vais me trouver dans une position… agréable ?
— Des plus agréables, mon cher monsieur ; il vous fait cinquante mille livres de rente par an pendant tout le temps que vous resterez à Paris.
— Mais j’y resterai toujours, en ce cas.
— Heu ! qui peut répondre des circonstances, mon cher monsieur ? l’homme propose et Dieu dispose…
Andrea poussa un soupir.
— Mais enfin, dit-il, tout le temps que je resterai à Paris, et… qu’aucune circonstance ne me forcera pas de m’éloigner, cet argent dont vous me parliez tout à l’heure m’est-il assuré ?
— Oh ! Parfaitement.
— Par mon père ? demanda Andrea avec inquiétude.
— Oui, mais garanti par lord Wilmore, qui vous a, sur la demande de votre père, ouvert un crédit de cinq mille francs par mois chez M. Danglars, un des plus sûrs banquiers de Paris.
— Et mon père compte rester longtemps à Paris ? demanda Andrea avec inquiétude.
— Quelque jours seulement, répondit Monte-Cristo, son service ne lui permet pas de s’absenter plus de deux ou trois semaines.
— Oh ! ce cher père ! dit Andrea visiblement enchanté de ce prompt départ.
— Aussi, dit Monte-Cristo, faisant semblant de se tromper à l’accent de ces paroles ; aussi, je ne veux pas retarder d’un instant l’heure de votre réunion. Êtes-vous préparé à embrasser ce digne M. Cavalcanti ?
— Vous n’en doutez pas, je l’espère ?
— Eh bien, entrez donc dans le salon, mon cher ami, et vous trouverez votre père, qui vous attend.
Andrea fit un profond salut au comte et entra dans le salon.
Le comte le suivit des yeux, et, l’ayant vu disparaître, poussa un ressort correspondant à un tableau, lequel, en s’écartant du cadre, laissait, par un interstice habilement ménagé, pénétrer la vue dans le salon.
Andrea referma la porte derrière lui et s’avança vers le major, qui se leva dès qu’il entendit le bruit des pas qui s’approchaient.
— Ah ! monsieur et cher père, dit Andrea à haute voix et de manière que le comte l’entendît à travers la porte fermée, est-ce bien vous ?
— Bonjour, mon cher fils, fit gravement le major.
— Après tant d’années de séparation, dit Andrea en continuant de regarder du côté de la porte, quel bonheur de nous revoir !
— En effet, la séparation a été longue.
— Ne nous embrassons-nous pas, monsieur ? reprit Andrea.
— Comme vous voudrez, mon fils, dit le major.
Et les deux hommes s’embrassèrent comme on s’embrasse au Théâtre-Français, c’est-à-dire en se passant la tête par-dessus l’épaule.
— Ainsi donc nous voici réunis ! dit Andrea.
— Nous voici réunis, reprit le major.
— Pour ne plus nous séparer ?
— Si fait ; je crois, mon cher fils, que vous regardez maintenant la France comme une seconde patrie ?
— Le fait est, dit le jeune homme, que je serais désespéré de quitter Paris.
— Et moi, vous comprenez, je ne saurais vivre hors de Lucques. Je retournerai donc en Italie aussitôt que je pourrai.
— Mais avant de partir, très cher père, vous me remettrez sans doute des papiers à l’aide desquels il me sera facile de constater le sang dont je sors.
— Sans aucun doute, car je viens exprès pour cela, et j’ai eu trop de peine à vous rencontrer, afin de vous les remettre, pour que nous recommencions encore à nous chercher ; cela prendrait la dernière partie de ma vie.
— Et ces papiers ?
— Les voici.
Andrea saisit avidement l’acte de mariage de son père, son certificat de baptême à lui, et, après avoir ouvert le tout avec une avidité naturelle à un bon fils, il parcourut les deux pièces avec une rapidité et une habitude qui dénotaient le coup d’œil le plus exercé en même temps que l’intérêt le plus vif.
Lorsqu’il eut fini, une indéfinissable expression de joie brilla sur son front ; et regardant le major avec un étrange sourire :
— Ah çà ! dit-il en excellent toscan, il n’y a donc pas de galère en Italie ?…
Le major se redressa.
— Et pourquoi cela ? dit-il.
— Qu’on y fabrique impunément de pareilles pièces ? Pour la moitié de cela, mon très cher père, en France on nous enverrait prendre l’air à Toulon pour cinq ans.
— Plaît-il ? dit le Lucquois en essayant de conquérir un air majestueux.
— Mon cher monsieur Cavalcanti, dit Andrea en pressant le bras du major, combien vous donne-t-on pour être mon père ?
Le major voulut parler.
— Chut ! dit Andrea en baissant la voix, je vais vous donner l’exemple de la confiance ; on me donne cinquante mille francs par an pour être votre fils : par conséquent, vous comprenez bien que ce n’est pas moi qui serai disposé à nier que vous soyez mon père.
Le major regarda avec inquiétude autour de lui.
— Eh ! soyez tranquille, nous sommes seuls, dit Andrea ; d’ailleurs nous parlons italien.
— Eh bien, à moi, dit le Lucquois, on me donne cinquante mille francs une fois payés.
— Monsieur Cavalcanti, dit Andrea, avez-vous foi aux contes de fées ?
— Non, pas autrefois, mais maintenant il faut bien que j’y croie.
— Vous avez donc eu des preuves ?
Le major tira de son gousset une poignée d’or.
— Palpables, comme vous voyez.
— Vous pensez donc que je puis croire aux promesses qu’on m’a faites ?
— Je le crois.
— Et que ce brave homme de comte les tiendra ?
— De point en point ; mais, vous comprenez, pour arriver à ce but, il faut jouer notre rôle.
— Comment donc ?…
— Moi de tendre père…
— Moi de fils respectueux.
— Puisqu’ils désirent que vous descendiez de moi…
— Qui, ils ?
— Dame, je n’en sais rien, ceux qui vous ont écrit ; n’avez-vous pas reçu une lettre ?
— Si fait.
— De qui ?
— D’un certain abbé Busoni.
— Que vous ne connaissez pas ?
— Que je n’ai jamais vu.
— Que vous disait cette lettre ?
— Vous ne me trahirez pas ?
— Je m’en garderai bien, nos intérêts sont les mêmes.
— Alors lisez.
Et le major passa une lettre au jeune homme.
Andrea lut à voix basse :
« Vous êtes pauvre, une vieillesse malheureuse vous attend. Voulez-vous devenir sinon riche, du moins indépendant ?
« Partez pour Paris à l’instant même, et allez réclamer à M. le comte de Monte-Cristo, avenue des Champs-Élysées, n° 30, le fils que vous avez eu de la marquise de Corsinari, et qui vous a été enlevé à l’âge de cinq ans.
« Ce fils se nomme Andrea Cavalcanti.
« Pour que vous ne révoquiez pas en doute l’attention qu’a le soussigné de vous être agréable, vous trouverez ci-joint :
« 1° Un bon de deux mille quatre cents livres toscanes, payable chez M. Gozzi, à Florence ;
« 2° Une lettre d’introduction près de M. le comte de Monte-Cristo sur lequel je vous crédite d’une somme de quarante-huit mille francs.
« Soyez chez le comte le 26 mai, à sept heures du soir.
« Signé abbé Busoni. »
— C’est cela.
— Comment, c’est cela ? Que voulez-vous dire ? demanda le major.
— Je dis que j’ai reçu la pareille à peu près.
— Vous ?
— Oui, moi.
— De l’abbé Busoni ?
— Non.
— De qui donc ?
— D’un Anglais, d’un certain lord Wilmore, qui prend le nom de Simbad le marin.
— Et que vous ne connaissez pas plus que je ne connais l’abbé Busoni ?
— Si fait ; moi, je suis plus avancé que vous.
— Vous l’avez vu ?
— Oui, une fois.
— Où cela ?
— Ah ! justement voici ce que je ne puis pas vous dire ; vous seriez aussi savant que moi, et c’est inutile.
— Et cette lettre vous disait ?…
— Lisez.
« Vous êtes pauvre, et vous n’avez qu’un avenir misérable : voulez-vous avoir un nom, être libre, être riche ? »
— Parbleu ! fit le jeune homme en se balançant sur ses talons, comme si une pareille question se faisait !
« Prenez la chaise de poste que vous trouverez tout attelée en sortant de Nice par la porte de Gênes. Passez par Turin, Chambéry et Pont-de-Beauvoisin. Présentez-vous chez M. le comte de Monte-Cristo, avenue des Champs-Élysées, le 26 mai, à sept heures du soir, et demandez-lui votre père.
« Vous êtes le fils du marquis Bartolomeo Cavalcanti et de la marquise Olivia Corsinari, ainsi que le constateront les papiers qui vous seront remis par le marquis, et qui vous permettront de vous présenter sous ce nom dans le monde parisien.
« Quant à votre rang, un revenu de cinquante mille livres par an vous mettra à même de le soutenir.
« Ci-joint un bon de cinq mille livres payable sur M. Ferrea, banquier à Nice, et une lettre d’introduction près du comte de Monte-Cristo, chargé par moi de pourvoir à vos besoins.
« Simbad le Marin. »
— Hum ! fit le major, c’est fort beau !
— N’est-ce pas ?
— Vous avez vu le comte ?
— Je le quitte.
— Et il a ratifié ?
— Tout.
— Y comprenez-vous quelque chose ?
— Ma foi non.
— Il y a une dupe dans tout cela.
— En tout cas, ce n’est ni vous ni moi ?
— Non, certainement.
— Et bien, alors ! …
— Peu nous importe, n’est-ce pas ?
— Justement, c’est ce que je voulais dire ; allons jusqu’au bout et jouons serré.
— Soit ; vous verrez que je suis digne de faire votre partie.
— Je n’en ai pas douté un seul instant, mon cher père.
— Vous me faites honneur, mon cher fils.
Monte-Cristo choisit ce moment pour rentrer dans le salon. En entendant le bruit de ses pas, les deux hommes se jetèrent dans les bras l’un de l’autre ; le comte les trouva embrassés.
— Eh bien, monsieur le marquis, dit Monte-Cristo, il paraît que vous avez retrouvé un fils selon votre cœur ?
— Ah ! monsieur le comte, je suffoque de joie.
— Et vous, jeune homme ?
— Ah ! monsieur le comte, j’étouffe de bonheur.
— Heureux père ! heureux enfant ! dit le comte.
— Une seule chose m’attriste, dit le major ; c’est la nécessité où je suis de quitter Paris si vite.
— Oh ! cher monsieur Cavalcanti, dit Monte-Cristo, vous ne partirez pas, je l’espère, que je ne vous aie présenté à quelques amis.
— Je suis aux ordres de monsieur le comte, dit le major.
— Maintenant, voyons, jeune homme, confessez-vous.
— À qui ?
— Mais à monsieur votre père ; dites-lui quelques mots de l’état de vos finances.
— Ah ! diable, fit Andrea, vous touchez la corde sensible.
— Entendez-vous, major ? dit Monte-Cristo.
— Sans doute que je l’entends.
— Oui, mais comprenez-vous ?
— À merveille.
— Il dit qu’il a besoin d’argent, ce cher enfant.
— Que voulez-vous que j’y fasse ?
— Que vous lui en donniez, parbleu !
— Moi ?
— Oui, vous.
Monte-Cristo passa entre les deux hommes.
— Tenez ! dit-il à Andrea en lui glissant un paquet de billets de banque à la main.
— Qu’est-ce que cela ?
— La réponse de votre père.
— De mon père ?
— Oui. Ne venez-vous pas de laisser entendre que vous aviez besoin d’argent ?
— Oui. Eh bien ?
— Eh bien, il me charge de vous remettre cela.
— À compte sur mes revenus ?
— Non, pour vos frais d’installation.
— Oh ! cher père !
— Silence, dit Monte-Cristo, vous voyez bien qu’il ne veut pas que je dise que cela vient de lui.
— J’apprécie cette délicatesse, dit Andrea, en enfonçant ses billets de banque dans le gousset de son pantalon.
— C’est bien, dit Monte-Cristo, maintenant, allez !
— Et quand aurons-nous l’honneur de revoir M. le comte ? demanda Cavalcanti.
— Ah ! oui, demanda Andrea, quand aurons-nous cet honneur ?
— Samedi, si vous voulez… oui… tenez… samedi. J’ai à dîner à ma maison d’Auteuil, rue de la Fontaine, n° 28, plusieurs personnes, et entre autres M. Danglars, votre banquier, je vous présenterai à lui, il faut bien qu’il vous connaisse tous les deux pour vous compter votre argent.
— Grande tenue ? demanda à demi-voix le major.
— Grande tenue : uniforme, croix, culotte courte.
— Et moi ? demanda Andrea.
— Oh ! vous, très simplement : pantalon noir, bottes vernies, gilet blanc, habit noir ou bleu de Prusse, cravate longue ; prenez Blin ou Véronique pour vous habiller. Si vous ne connaissez pas leurs adresses, Baptistin vous les donnera. Moins vous affecterez de prétention dans votre mise, étant riche comme vous l’êtes, meilleur effet cela fera. Si vous achetez des chevaux, prenez-les chez Devedeux ; si vous achetez un phaéton, allez chez Baptiste.
— À quelle heure pourrons-nous nous présenter ? demanda le jeune homme.
— Mais vers six heures et demie.
— C’est bien, on y sera, dit le major en portant la main à son chapeau.
Les deux Cavalcanti saluèrent le comte et sortirent.
Le comte s’approcha de la fenêtre, et les vit qui traversaient la cour, bras dessus, bras dessous.
— En vérité, dit-il, voilà deux grands misérables ! Quel malheur que ce ne soit pas véritablement le père et le fils !
Puis après un instant de sombre réflexion :
— Allons chez les Morrel, dit-il ; je crois que le dégoût m’écœure encore plus que la haine.
LE PROGRÈS DE CAVALCANTI FILS.
Cependant M. Cavalcanti père était parti pour aller reprendre son service, non pas dans l’armée de S. M. l’empereur d’Autriche, mais à la roulette des bains de Lucques, dont il était un des plus assidus courtisans.
Il va sans dire qu’il avait emporté avec la plus scrupuleuse exactitude jusqu’au dernier paul de la somme qui lui avait été allouée pour son voyage, et pour la récompense de la façon majestueuse et solennelle avec laquelle il avait joué son rôle de père.
M. Andrea avait hérité à ce départ de tous les papiers qui constataient qu’il avait bien l’honneur d’être le fils du marquis Bartolomeo et de la marquise Leonora Corsinari.
Il était donc à peu près ancré dans cette société parisienne, si facile à recevoir les étrangers, et à les traiter, non pas d’après ce qu’ils sont, mais d’après ce qu’ils veulent être.
D’ailleurs, que demande-t-on à un jeune homme à Paris ? De parler à peu près sa langue, d’être habillé convenablement, d’être beau joueur et de payer en or.
Il va sans dire qu’on est moins difficile encore pour un étranger que pour un Parisien.
Andrea avait donc pris en une quinzaine de jours une assez belle position : on l’appelait M. le comte, on disait qu’il avait cinquante mille livres de rentes, et on parlait des trésors immenses de monsieur son père, enfouis, disait-on, dans les carrières de Saravezza.
Un savant, devant qui on mentionnait cette dernière circonstance comme un fait, déclara avoir vu les carrières dont il était question, ce qui donna un grand poids à des assertions jusqu’alors flottantes à l’état de doute, et qui dès lors prirent la consistance de la réalité.
On en était là dans ce cercle de la société parisienne où nous avons introduit nos lecteurs, lorsque Monte-Cristo vint un soir faire visite à M. Danglars. M. Danglars était sorti, mais on proposa au comte de l’introduire près de la baronne, qui était visible, ce qu’il accepta.
Ce n’était jamais sans une espèce de tressaillement nerveux que, depuis le dîner d’Auteuil et les événements qui en avaient été la suite, madame Danglars entendait prononcer le nom de Monte-Cristo. Si la présence du comte ne suivait pas le bruit de son nom, la sensation douloureuse devenait plus intense ; si au contraire le comte paraissait, sa figure ouverte, ses yeux brillants, son amabilité, sa galanterie même pour madame Danglars chassaient bientôt jusqu’à la dernière impression de crainte ; il paraissait à la baronne impossible qu’un homme si charmant à la surface pût nourrir contre elle de mauvais desseins ; d’ailleurs, les cœurs les plus corrompus ne peuvent croire au mal qu’en le faisant reposer sur un intérêt quelconque : le mal inutile et sans cause répugne comme une anomalie.
Lorsque Monte-Cristo entra dans le boudoir où nous avons déjà une fois introduit nos lecteurs, et où la baronne suivait d’un œil assez inquiet des dessins que lui passait sa fille après les avoir regardés avec M. Cavalcanti fils, sa présence produisit son effet ordinaire, et ce fut en souriant qu’après avoir été quelque peu bouleversée par son nom la baronne reçut le comte.
Celui-ci, de son côté, embrassa toute la scène d’un coup d’œil.
Près de la baronne, à peu près couchée sur une causeuse, Eugénie se tenait assise, et Cavalcanti debout.
Cavalcanti, habillé de noir comme un héros de Goethe en souliers vernis et en bas de soie blancs à jour, passait une main assez blanche et assez soignée dans ses cheveux blonds, au milieu desquels scintillait un diamant que, malgré les conseils de Monte-Cristo, le vaniteux jeune homme n’avait pu résister au désir de se passer au petit doigt.
Ce mouvement était accompagné de regards assassins lancés sur mademoiselle Danglars, et de soupirs envoyés à la même adresse que les regards.
Mademoiselle Danglars était toujours la même, c’est-à-dire belle, froide et railleuse. Pas un de ces regards, pas un de ces soupirs d’Andrea ne lui échappaient ; on eût dit qu’ils glissaient sur la cuirasse de Minerve, cuirasse que quelques philosophes prétendent recouvrir parfois la poitrine de Sapho.
Eugénie salua froidement le comte, et profita des premières préoccupations de la conversation pour se retirer dans son salon d’études, d’où bientôt deux voix s’exhalant rieuses et bruyantes, mêlées aux premiers accords d’un piano, firent savoir à Monte-Cristo que mademoiselle Danglars venait de préférer, à la sienne et à celle de M. Cavalcanti, la société de mademoiselle Louise d’Armilly, sa maîtresse de chant.
Ce fut alors surtout que, tout en causant avec madame Danglars et en paraissant absorbé par le charme de la conversation, le comte remarqua la sollicitude de M. Andrea Cavalcanti, sa manière d’aller écouter la musique à la porte qu’il n’osait franchir, et de manifester son admiration.
Bientôt le banquier rentra. Son premier regard fut pour Monte-Cristo, c’est vrai, mais le second fut pour Andrea.
Quant à sa femme, il la salua à la façon dont certains maris saluent leur femme, et dont les célibataires ne pourront se faire une idée que lorsqu’on aura publié un code très étendu de la conjugalité.
— Est-ce que ces demoiselles ne vous ont pas invité à faire de la musique avec elles ? demanda Danglars à Andrea.
— Hélas ! non, monsieur, répondit Andrea avec un soupir plus remarquable encore que les autres.
Danglars s’avança aussitôt vers la porte de communication et l’ouvrit.
On vit alors les deux jeunes filles assises sur le même siège, devant le même piano. Elles accompagnaient chacune d’une main, exercice auquel elles s’étaient habituées par fantaisie, et où elles étaient devenues d’une force remarquable.
Mademoiselle d’Armilly, qu’on apercevait alors, formant avec Eugénie, grâce au cadre de la porte, un de ces tableaux vivants comme on en fait souvent en Allemagne, était d’une beauté assez remarquable, ou plutôt d’une gentillesse exquise. C’était une petite femme mince et blonde comme une fée, avec de grands cheveux bouclés tombant sur son cou un peu trop long, comme Pérugin en donne parfois à ses vierges, et des yeux voilés par la fatigue. On disait qu’elle avait la poitrine faible, et que, comme Antonia du Violon de Crémone, elle mourrait un jour en chantant.
Monte-Cristo plongea dans ce gynécée un regard rapide et curieux ; c’était la première fois qu’il voyait mademoiselle d’Armilly, dont si souvent il avait entendu parler dans la maison.
— Eh bien ! demanda le banquier à sa fille, nous sommes donc exclus, nous autres ?
Alors il mena le jeune homme dans le petit salon, et, soit hasard, soit adresse, derrière Andrea la porte fut repoussée de manière à ce que de l’endroit où ils étaient assis, Monte-Cristo et la baronne ne pussent plus rien voir ; mais, comme le banquier avait suivi Andrea, madame Danglars ne parut pas même remarquer cette circonstance.
Bientôt après, le comte entendit la voix d’Andrea résonner aux accords du piano, accompagnant une chanson corse.
Pendant que le comte écoutait en souriant cette chanson qui lui faisait oublier Andrea pour lui rappeler Benedetto, madame Danglars vantait à Monte-Cristo la force d’âme de son mari, qui, le matin encore, avait, dans une faillite milanaise, perdu trois ou quatre cent mille francs.
Et, en effet, l’éloge était mérité ; car, si le comte ne l’eût su par la baronne ou peut-être par un des moyens qu’il avait de tout savoir, la figure du baron ne lui en eût pas dit un mot.
— Bon ! pensa Monte-Cristo, il en est déjà à cacher ce qu’il perd : il y a un mois il s’en vantait.
Puis tout haut :
— Oh ! madame, dit le comte, M. Danglars connaît si bien la Bourse, qu’il rattrapera toujours là ce qu’il pourra perdre ailleurs.
— Je vois que vous partagez l’erreur commune, dit madame Danglars.
— Et quelle est cette erreur ? dit Monte-Cristo.
— C’est que M. Danglars joue, tandis qu’au contraire il ne joue jamais.
— Ah ! oui, c’est vrai, madame, je me rappelle que M. Debray m’a dit… À propos, mais que devient donc M. Debray ? Il y a trois ou quatre jours que je ne l’ai aperçu.
— Et moi aussi, dit madame Danglars avec un aplomb miraculeux. Mais vous avez commencé une phrase qui est restée inachevée.
— Laquelle ?
— M. Debray vous a dit, prétendiez-vous…
— Ah ! c’est vrai ; M. Debray m’a dit que c’était vous qui sacrifiiez au démon du jeu.
— J’ai eu ce goût pendant quelque temps, je l’avoue, dit madame Danglars, mais je ne l’ai plus.
— Et vous avez tort, madame. Eh ! mon Dieu ! les chances de la fortune sont précaires, et si j’étais femme, et que le hasard eût fait de cette femme celle d’un banquier, quelque confiance que j’aie dans le bonheur de mon mari, car en spéculation, vous le savez, tout est bonheur et malheur ; eh bien ! dis-je, quelque confiance que j’aie dans le bonheur de mon mari, je commencerais toujours par m’assurer une fortune indépendante, dussé-je acquérir cette fortune en mettant mes intérêts dans des mains qui lui seraient inconnues.
Madame Danglars rougit malgré elle.
— Tenez, dit Monte-Cristo, comme s’il n’avait rien vu, on parle d’un beau coup qui a été fait hier sur les bons de Naples.
— Je n’en ai pas, dit vivement la baronne, et je n’en ai même jamais eu ; mais, en vérité, c’est assez parler Bourse comme cela, monsieur le comte, nous avons l’air de deux agents de change ; parlons un peu de ces pauvres Villefort, si tourmentés en ce moment par la fatalité.
— Que leur arrive-t-il donc ? demanda Monte-Cristo avec une parfaite naïveté.
— Mais, vous le savez ; après avoir perdu M. de Saint-Méran trois ou quatre jours après son départ, ils viennent de perdre la marquise trois ou quatre jours après son arrivée.
— Ah ! c’est vrai, dit Monte-Cristo, j’ai appris cela ; mais, comme dit Clodius à Hamlet, c’est une loi de la nature : leurs pères étaient morts avant eux, et ils les avaient pleurés ; ils mourront avant leurs fils, et leurs fils les pleureront.
— Mais ce n’est pas le tout.
— Comment ce n’est pas le tout !
— Non ; vous saviez qu’ils allaient marier leur fille…
— À M. Franz d’Épinay… Est-ce que le mariage est manqué ?
— Hier matin, à ce qu’il paraît, Franz leur a rendu leur parole.
— Ah ! vraiment… Et connaît-on les causes de cette rupture ?
— Non.
— Que m’annoncez-vous là, bon Dieu ! madame… et monsieur de Villefort, comment accepte-t-il tous ces malheurs ?
— Comme toujours, en philosophe.
En ce moment, Danglars rentra seul.
— Eh bien ! dit la baronne, vous laissez M. Cavalcanti avec votre fille ?
— Et mademoiselle d’Armilly, dit le banquier, pour qui la prenez-vous donc ?
Puis se retournant vers Monte-Cristo :
— Charmant jeune homme, n’est-ce pas, monsieur le comte, que le prince Cavalcanti ?… Seulement, est-il bien prince ?
— Je n’en réponds pas, dit Monte-Cristo. On m’a présenté son père comme marquis, il serait comte, mais je crois que lui-même n’a pas grande prétention à ce titre.
— Pourquoi ? dit le banquier. S’il est prince, il a tort de ne pas se vanter. Chacun son droit. Je n’aime pas qu’on renie son origine, moi.
— Oh ! vous êtes un démocrate pur, dit Monte-Cristo en souriant.
— Mais, voyez, dit la baronne, à quoi vous vous exposez ; si M. de Morcerf venait par hasard, il trouverait M. Cavalcanti dans une chambre où lui, fiancé d’Eugénie, n’a jamais eu la permission d’entrer.
— Vous faites bien de dire par hasard, reprit le banquier, car, en vérité, on dirait, tant on le voit rarement, que c’est effectivement le hasard qui nous l’amène.
— Enfin, s’il venait, et qu’il trouvât ce jeune homme près de votre fille, il pourrait être mécontent.
— Lui ? oh ! mon Dieu ! vous vous trompez ; M. Albert ne nous fait pas l’honneur d’être jaloux de sa fiancée, il ne l’aime point assez pour cela. D’ailleurs, que m’importe qu’il soit mécontent ou non !
— Cependant, au point où nous en sommes…
— Oui, au point où nous en sommes : voulez-vous le savoir, le point où nous en sommes ? c’est qu’au bal de sa mère, il a dansé une seule fois avec ma fille, que M. Cavalcanti a dansé trois fois avec elle, et qu’il ne l’a même pas remarqué.
— M. le vicomte Albert de Morcerf ! annonça le valet de chambre.
La baronne se leva vivement. Elle allait passer au salon d’étude pour avertir sa fille, quand Danglars l’arrêta par le bras.
— Laissez, dit-il.
Elle le regarda étonnée.
Monte-Cristo feignit de ne pas avoir vu ce jeu de scène.
Albert entra, il était fort beau et fort gai. Il salua la baronne avec aisance, Danglars avec familiarité, Monte-Cristo avec affection ; puis se retournant vers la baronne :
— Voulez-vous me permettre, madame, lui dit-il, de vous demander comment se porte mademoiselle Danglars ?
— Fort bien, monsieur, répondit vivement Danglars ; elle fait en ce moment de la musique dans son petit salon avec M. Cavalcanti.
Albert conserva son air calme et indifférent : peut-être éprouvait-il quelque dépit intérieur ; mais il sentait le regard de Monte-Cristo fixé sur lui.
— M. Cavalcanti a une très belle voix de ténor, dit-il, et mademoiselle Eugénie un magnifique soprano, sans compter qu’elle joue du piano comme Thalberg. Ce doit être un charmant concert.
— Le fait est, dit Danglars, qu’ils s’accordent à merveille.
Albert parut n’avoir pas remarqué cette équivoque, si grossière, cependant, que madame Danglars en rougit.
— Moi aussi, continua le jeune homme, je suis musicien, à ce que disent mes maîtres, du moins ; eh bien ! chose étrange, je n’ai jamais pu encore accorder ma voix avec aucune voix, et avec les voix de soprano surtout encore moins qu’avec les autres.
Danglars eut un petit sourire qui signifiait :
— Mais fâche-toi donc ! Aussi, dit-il, espérant sans doute arriver au but qu’il désirait, le prince et ma fille ont-ils fait hier l’admiration générale. N’étiez-vous pas là hier, monsieur de Morcerf ?
— Quel prince ? demanda Albert.
— Le prince Cavalcanti, reprit Danglars, qui s’obstinait toujours à donner ce titre au jeune homme.
— Ah ! pardon, dit Albert, j’ignorais qu’il fût prince. Ah ! le prince Cavalcanti a chanté hier avec mademoiselle Eugénie ? En vérité, ce devait être ravissant, et je regrette bien vivement de ne pas avoir entendu cela. Mais je n’ai pu me rendre à votre invitation, j’étais forcé d’accompagner madame de Morcerf chez la baronne de Château-Renaud, la mère, où chantaient les Allemands.
Puis, après un silence, et comme s’il n’eût été question de rien :
— Me sera-t-il permis, répéta Morcerf, de présenter mes hommages à mademoiselle Danglars ?
— Oh ! attendez, attendez, je vous en supplie, dit le banquier, en arrêtant le jeune homme ; entendez-vous la délicieuse cavatine, ta, ta, ta, ti, ta, ti, ta, ta ; c’est ravissant, cela va être fini… une seule seconde : parfait ! Bravo ! bravi ! brava !
Et le banquier se mit à applaudir avec frénésie.
— En effet, dit Albert, c’est exquis, et il est impossible de mieux comprendre la musique de son pays que ne le fait le prince Cavalcanti. Vous avez dit prince, n’est-ce pas ? D’ailleurs, s’il n’est pas prince, on le fera prince, c’est facile en Italie. Mais, pour en revenir à nos adorables chanteurs, vous devriez nous faire un plaisir, monsieur Danglars : sans la prévenir qu’il y a là un étranger, vous devriez prier mademoiselle Danglars et M. Cavalcanti de commencer un autre morceau. C’est une chose si délicieuse que de jouir de la musique d’un peu loin, dans une pénombre, sans être vu, sans voir, et, par conséquent, sans gêner le musicien, qui peut ainsi se livrer à tout l’instinct de son génie ou à tout l’élan de son cœur.
Cette fois, Danglars fut démonté par le flegme du jeune homme.
Il prit Monte-Cristo à part.
— Eh bien ! lui dit-il, que dites-vous de notre amoureux ?
— Dame ! il me paraît froid, c’est incontestable ; mais que voulez-vous ? vous êtes engagé !
— Sans doute, je suis engagé, mais de donner ma fille à un homme qui l’aime et non à un homme qui ne l’aime pas. Voyez celui-ci, froid comme un marbre, orgueilleux comme son père ; s’il était riche encore, s’il avait la fortune des Cavalcanti, on passerait par là-dessus. Ma foi, je n’ai pas consulté ma fille ; mais si elle avait bon goût…
— Oh ! dit Monte-Cristo, je ne sais si c’est mon amitié pour lui qui m’aveugle, mais je vous assure, moi, que M. de Morcerf est un jeune homme charmant, là, qui rendra votre fille heureuse et qui arrivera tôt ou tard à quelque chose ; car enfin la position de son père est excellente.
— Hum ! fit Danglars.
— Pourquoi ce doute ?
— Il y a toujours le passé… ce passé obscur.
— Mais le passé du père ne regarde pas le fils.
— Si fait, si fait !
— Voyons, ne vous montez pas la tête ; il y a un mois, vous trouviez excellent de faire ce mariage… Vous comprenez, moi je suis désespéré : c’est chez moi que vous avez vu ce jeune Cavalcanti, que je ne connais pas, je vous le répète.
— Je le connais, moi, dit Danglars, cela suffit.
— Vous le connaissez ? Avez-vous donc pris des renseignements sur lui ? demanda Monte-Cristo.
— Est-il besoin de cela, et à la première vue ne sait-on pas à qui on a affaire ? Il est riche d’abord.
— Je ne l’assure pas.
— Vous répondez pour lui, cependant ?
— De cinquante mille livres, d’une misère.
— Il a une éducation distinguée.
— Hum ! fit à son tour Monte-Cristo.
— Il est musicien.
— Tous les Italiens le sont.
— Tenez, comte, vous n’êtes pas juste pour ce jeune homme.
— Eh bien ! oui, je l’avoue, je vois avec peine que, connaissant vos engagements avec les Morcerf, il vienne ainsi se jeter en travers et abuser de sa fortune.
Danglars se mit à rire.
— Oh ! que vous êtes puritain ! dit-il, mais cela se fait tous les jours dans le monde.
— Vous ne pouvez cependant rompre ainsi, mon cher monsieur Danglars : les Morcerf comptent sur ce mariage.
— Y comptent ils ?
— Positivement.
— Alors qu’ils s’expliquent. Vous devriez glisser deux mots de cela au père, mon cher comte, vous qui êtes si bien dans la maison.
— Moi ! et où diable avez-vous vu cela ?
— Mais à leur bal, ce me semble. Comment ! la comtesse, la fière Mercédès, la dédaigneuse Catalane, qui daigne à peine ouvrir la bouche à ses plus vieilles connaissances, vous a pris par le bras, est sortie avec vous dans le jardin, a pris les petites allées, et n’a reparu qu’une demi-heure après.
— Ah ! baron, baron, dit Albert, vous nous empêchez d’entendre : pour un mélomane comme vous, quelle barbarie !
— C’est bien, c’est bien, monsieur le railleur, dit Danglars.
Puis se retournant vers Monte-Cristo :
— Vous chargez-vous de lui dire cela, au père ?
— Volontiers, si vous le désirez.
— Mais que pour cette fois cela se fasse d’une manière explicite et définitive ; surtout qu’il me demande ma fille, qu’il fixe une époque, qu’il déclare ses conditions d’argent, enfin que l’on s’entende ou qu’on se brouille ; mais, vous comprenez, plus de délais.
— Eh bien ! la démarche sera faite.
— Je ne vous dirai pas que je l’attends avec plaisir mais enfin je l’attends : un banquier, vous le savez, doit être esclave de sa parole.
Et Danglars poussa un de ces soupirs que poussait Cavalcanti fils une demi-heure auparavant.
— Bravi ! bravo ! brava ! cria Morcerf, parodiant le banquier et applaudissant la fin du morceau.
Danglars commençait à regarder Albert de travers, lorsqu’on vint lui dire deux mots tout bas.
— Je reviens, dit le banquier à Monte-Cristo, attendez-moi, j’aurai peut-être quelque chose à vous dire tout à l’heure.
Et il sortit.
La baronne profita de l’absence de son mari pour repousser la porte du salon d’étude de sa fille, et l’on vit se dresser, comme un ressort, M. Andrea, qui était assis devant le piano avec mademoiselle Eugénie.
Albert salua en souriant mademoiselle Danglars, qui, sans paraître aucunement troublée, lui rendit un salut aussi froid que d’habitude.
Cavalcanti parut évidemment embarrassé ; il salua Morcerf, qui lui rendit son salut de l’air le plus impertinent du monde.
Alors Albert commença de se confondre en éloges sur la voix de mademoiselle Danglars, et sur le regret qu’il éprouvait, d’après ce qu’il venait d’entendre, de n’avoir pas assisté à la soirée de la veille…
Cavalcanti, laissé à lui-même, prit à part Monte-Cristo.
— Voyons, dit madame Danglars, assez de musique et de compliments comme cela, venez prendre le thé.
— Viens, Louise, dit mademoiselle Danglars à son amie.
On passa dans le salon voisin, où effectivement le thé était préparé.
Au moment où l’on commençait à laisser, à la manière anglaise, les cuillers dans les tasses, la porte se rouvrit, et Danglars reparut visiblement fort agité.
Monte-Cristo surtout remarqua cette agitation et interrogea le banquier du regard.
— Eh bien ! dit Danglars, je viens de recevoir mon courrier de Grèce.
— Ah ! ah ! fit le comte, c’est pour cela qu’on vous avait appelé ?
— Oui.
— Comment se porte le roi Othon ? demanda Albert du ton le plus enjoué.
Danglars le regarda de travers sans lui répondre, et Monte-Cristo se détourna pour cacher l’expression de pitié qui venait de paraître sur son visage et qui s’effaça presque aussitôt.
— Nous nous en irons ensemble, n’est-ce pas ? dit Albert au comte.
— Oui, si vous voulez, répondit celui-ci.
Albert ne pouvait rien comprendre à ce regard du banquier ; aussi, se retournant vers Monte-Cristo, qui avait parfaitement compris :
— Avez-vous vu, dit-il, comme il m’a regardé ?
— Oui, répondit le comte ; mais trouvez-vous quelque chose de particulier dans son regard ?
— Je le crois bien ; mais que veut-il dire avec ses nouvelles de Grèce ?
— Comment voulez-vous que je sache cela ?
— Parce qu’à ce que je présume, vous avez des intelligences dans le pays.
Monte-Cristo sourit comme on sourit toujours quand on veut se dispenser de répondre.
— Tenez, dit Albert, le voilà qui s’approche de vous, je vais faire compliment à mademoiselle Danglars sur son camée ; pendant ce temps, le père aura le temps de vous parler.
— Si vous lui faites compliment, faites-lui compliment sur sa voix, au moins, dit Monte-Cristo.
— Non pas, c’est ce que ferait tout le monde.
— Mon cher vicomte, dit Monte-Cristo, vous avez la fatuité de l’impertinence.
Albert s’avança vers Eugénie le sourire sur les lèvres.
Pendant ce temps, Danglars se pencha à l’oreille du comte.
— Vous m’avez donné un excellent conseil, dit-il, et il y a toute une histoire horrible sur ces deux mots : Fernand et Janina.
— Ah ! bah ! fit Monte-Cristo.
— Oui, je vous conterai cela ; mais emmenez le jeune homme : je serais trop embarrassé de rester maintenant avec lui.
— C’est ce que je fais, il m’accompagne ; maintenant, faut-il toujours que je vous envoie le père ?
— Plus que jamais.
— Bien.
Le comte fit un signe à Albert.
Tous deux saluèrent les dames et sortirent : Albert avec un air parfaitement indifférent pour les mépris de mademoiselle Danglars ; Monte-Cristo, en réitérant à madame Danglars ses conseils sur la prudence que doit avoir une femme de banquier d’assurer son avenir.
M. Cavalcanti demeura maître du champ de bataille.
Valentine, que nous avons, entraîné par la rapidité du récit, présentée à nos lecteurs sans la faire connaître, était une grande et svelte jeune fille de dix-neuf ans, aux cheveux châtain clair, aux yeux bleu foncé, à la démarche languissante et empreinte de cette exquise distinction qui caractérisait sa mère, la défunte Renée de Villefort ; ses mains blanches et effilées, son cou nacré, ses joues marbrées de fugitives couleurs, lui donnaient au premier aspect l’air d’une de ces belles Anglaises qu’on a comparées assez poétiquement dans leurs allures à des cygnes qui se mirent.
Elle entra donc, et, voyant près de sa marâtre l’étranger dont elle avait tant entendu parler déjà, elle salua sans aucune minauderie de jeune fille et sans baisser les yeux, avec une grâce qui redoubla l’attention du comte.
Celui-ci se leva.
— Mademoiselle de Villefort, ma belle-fille, dit madame de Villefort à Monte-Cristo, en se penchant sur son sofa et en montrant de la main Valentine.
C’étaient, en effet, madame Danglars et sa fille que Valentine avait vues ; on les avait conduites à la chambre de madame Héloïse de Villefort, qui avait dit qu’elle recevrait chez elle ; voilà pourquoi Valentine avait passé par son appartement, sa chambre étant de plain-pied avec celle de sa marâtre.
Les deux femmes entrèrent au salon avec cette espèce de roideur officielle qui fait présager une communication.
Entre gens du même monde, une nuance est bientôt saisie. Madame de Villefort répondit à cette solennité par de la solennité.
En ce moment, Valentine entra, et les révérences recommencèrent.
— Chère amie, dit la baronne, tandis que les deux jeunes filles se prenaient les mains, je venais avec Eugénie vous annoncer la première le très prochain mariage de ma fille avec le prince Cavalcanti.
Danglars avait maintenu le titre de prince. Le banquier populaire avait trouvé que cela faisait mieux que comte.
— Alors, permettez que je vous fasse mes sincères compliments, répondit madame de Villefort. M. le prince Cavalcanti paraît un jeune homme plein de rares qualités.
— Écoutez, dit la baronne en souriant ; si nous parlons comme deux amies, je dois vous dire que le prince ne nous paraît pas encore être ce qu’il sera. Il a en lui un peu de cette étrangeté qui nous fait, à nous autres Français, reconnaître du premier coup d’œil un gentilhomme italien ou allemand. Cependant il annonce un fort bon cœur, beaucoup de finesse d’esprit, et, quant aux convenances, M. Danglars prétend que la fortune est majestueuse : c’est son mot.
— Et puis, dit Eugénie en feuilletant l’album de madame de Villefort, ajoutez, madame, que vous avez une inclination toute particulière pour ce jeune homme.
— Et, dit madame de Villefort, je n’ai pas besoin de vous demander si vous partagez cette inclination ?
— Moi ! répondit Eugénie avec son aplomb ordinaire, oh ! pas le moins du monde, madame ; ma vocation, à moi, n’était pas de m’enchaîner aux soins d’un ménage ou aux caprices d’un homme, quel qu’il fût. Ma vocation était d’être artiste et libre par conséquent de mon cœur, de ma personne et de ma pensée.
Eugénie prononça ces paroles avec un accent si vibrant et si ferme, que le rouge en monta au visage de Valentine. La craintive jeune fille ne pouvait comprendre cette nature vigoureuse qui semblait n’avoir aucune des timidités de la femme.
— Au reste, continua-t-elle, puisque je suis destinée à être mariée, bon gré, mal gré, je dois remercier la Providence qui m’a du moins procuré les dédains de M. Albert de Morcerf ; sans cette Providence, je serais aujourd’hui la femme d’un homme perdu d’honneur.
— C’est pourtant vrai, dit la baronne avec cette étrange naïveté que l’on trouve quelquefois chez les grandes dames, et que les fréquentations roturières ne peuvent leur faire perdre tout à fait, c’est pourtant vrai ; sans cette hésitation des Morcerf, ma fille épousait ce M. Albert : le général y tenait beaucoup, il était même venu pour forcer la main à M. Danglars ; nous l’avons échappée belle.
— Mais, dit timidement Valentine, est-ce que toute cette honte du père rejaillit sur le fils ? M. Albert me semble bien innocent de toutes ces trahisons du général.
— Pardon, chère amie, dit l’implacable jeune fille ; M. Albert en réclame et en mérite sa part : il paraît qu’après avoir provoqué hier M. de Monte-Cristo à l’Opéra, il lui a fait aujourd’hui des excuses sur le terrain.
— Impossible ! dit madame de Villefort.
— Ah ! chère amie, dit madame Danglars avec cette même naïveté que nous avons déjà signalée, la chose est certaine ; je le sais de M. Debray, qui était présent à l’explication.
Valentine aussi savait la vérité, mais elle ne répondait pas. Repoussée par un mot dans ses souvenirs, elle se retrouvait en pensée dans la chambre de Noirtier, où l’attendait Morrel.
Plongée dans cette espèce de contemplation intérieure, Valentine avait depuis un instant cessé de prendre part à la conversation ; il lui eût même été impossible de répéter ce qui avait été dit depuis quelques minutes, quand tout à coup la main de madame Danglars, en s’appuyant sur son bras, la tira de sa rêverie.
— Qu’y a-t-il, madame ? dit Valentine en tressaillant au contact des doigts de madame Danglars, comme elle eût tressailli à un contact électrique.
— Il y a, ma chère Valentine, dit la baronne, que vous souffrez sans doute ?
— Moi ? fit la jeune fille en passant sa main sur son front brûlant.
— Oui ; regardez-vous dans cette glace ; vous avez rougi et pâli successivement trois ou quatre fois dans l’espace d’une minute.
— En effet, s’écria Eugénie, tu es bien pâle !
— Oh ! ne t’inquiète pas, Eugénie ; je suis comme cela depuis quelques jours.
Et si peu rusée qu’elle fût, la jeune fille comprit que c’était une occasion de sortir. D’ailleurs, madame de Villefort vint à son aide.
— Retirez-vous, Valentine, dit-elle ; vous souffrez réellement, et ces dames voudront bien vous pardonner ; buvez un verre d’eau pure et cela vous remettra.
Valentine embrassa Eugénie, salua madame Danglars, déjà levée pour se retirer, et sortit.
Cette pauvre enfant, dit madame de Villefort quand Valentine eut disparu, elle m’inquiète sérieusement, et je ne serais pas étonnée quand il lui arriverait quelque accident grave.
Cependant Valentine, dans un espèce d’exaltation dont elle ne se rendait pas compte, avait atteint le petit escalier. Elle en avait franchi tous les degrés, moins les trois derniers. Elle entendait déjà la voix de Morrel, lorsque tout à coup un nuage passa devant ses yeux, son pied roidi manqua la marche, ses mains n’eurent plus de force pour la retenir à la rampe, et, froissant la cloison, elle roula du haut des trois derniers degrés plutôt qu’elle ne les descendit.
Morrel ne fit qu’un bond ; il ouvrit la porte, et trouva Valentine étendue sur le palier.
Rapide comme l’éclair, il l’enleva entre ses bras et l’assit dans un fauteuil. Valentine rouvrit les yeux.
— Oh ! maladroite que je suis, dit-elle avec une fiévreuse volubilité ; je ne sais donc plus me tenir ! j’oublie qu’il y a trois marches avant le palier.
— Vous vous êtes blessée peut-être, Valentine ? s’écria Morrel. Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !
Valentine regarda autour d’elle : elle vit le plus profond effroi peint dans les yeux de Noirtier.
— Rassure-toi, bon père, dit-elle en essayant de sourire ; ce n’est rien, ce n’est rien… la tête m’a tourné, voilà tout.
— Encore un étourdissement ! dit Morrel joignant les mains. Oh ! faites-y attention, Valentine, je vous supplie.
— Mais non, dit Valentine, mais non, je vous dis que tout est passé et que ce n’était rien. Maintenant, laissez-moi vous apprendre une nouvelle : dans huit jours, Eugénie se marie, et dans trois jours il y a une espèce de grand festin, un repas de fiançailles. Nous sommes tous invités, mon père, madame de Villefort et moi… à ce que j’ai cru comprendre, du moins.
— Quand sera-ce donc notre tour de nous occuper de ces détails ? Oh ! Valentine, vous qui pouvez tant de choses sur notre bon-papa, tâchez qu’il vous réponde : bientôt !
— Ainsi, demanda Valentine, vous comptez sur moi pour stimuler la lenteur et réveiller la mémoire de bon-papa ?
— Oui, s’écria Morrel. Mon Dieu ! mon Dieu ! faites vite. Tant que vous ne serez pas à moi, Valentine, il me semblera toujours que vous allez m’échapper.
— Oh ! répondit Valentine avec un mouvement convulsif, oh ! en vérité, Maximilien, vous êtes trop craintif, pour un officier, pour un soldat qui, dit-on, n’a jamais connu la peur. Ha ! ha ! ha !
Et elle éclata d’un rire strident et douloureux ; ses bras se roidirent et se tournèrent, sa tête se renversa sur son fauteuil, et elle demeura sans mouvement.
Le cri de terreur enchaîné aux lèvres de Noirtier jaillit de son regard.
Morrel comprit : il s’agissait d’appeler du secours.
Le jeune homme se pendit à la sonnette ; la femme de chambre qui était dans l’appartement de Valentine et le domestique accoururent simultanément.
Valentine était si pâle, si froide, si inanimée, que, sans écouter ce qu’on leur disait, la peur qui veillait sans cesse dans cette maison maudite les prit, et qu’ils s’élancèrent par les corridors en criant au secours.
Madame Danglars et Eugénie sortaient en ce moment même ; elles purent encore apprendre la cause de toute cette rumeur.
— Je vous l’avais bien dit ! s’écria madame de Villefort, pauvre petite !
Madame Danglars et Eugénie sortaient en ce moment même ; elles purent encore apprendre la cause de toute cette rumeur.
Cette annonce officielle, qui indiquait ou semblait indiquer une résolution prise par tous les intéressés à cette grande affaire, avait cependant été précédée d’une scène dont nous devons compte à nos lecteurs.
Nous les prions donc de faire un pas en arrière et de se transporter, le matin même de cette journée aux grandes catastrophes, dans ce beau salon si bien doré que nous leur avons fait connaître, et qui faisait l’orgueil de son propriétaire, M. le baron Danglars.
Dans ce salon en effet, vers les dix heures du matin, se promenait depuis quelques minutes, tout pensif et visiblement inquiet, le baron lui-même, regardant à chaque porte et s’arrêtant à chaque bruit.
Lorsque sa somme de patience fut épuisée, il appela le valet de chambre.
— Étienne, lui dit-il, voyez donc pourquoi mademoiselle Eugénie m’a prié de l’attendre au salon, et informez-vous pourquoi elle m’y fait attendre si longtemps.
Cette bouffée de mauvaise humeur exhalée, le baron reprit un peu de calme.
En effet, mademoiselle Danglars, après son réveil, avait fait demander une audience à son père, et avait désigné le salon doré comme le lieu de cette audience. La singularité de cette démarche, son caractère officiel surtout, n’avaient pas médiocrement surpris le banquier, qui avait immédiatement obtempéré au désir de sa fille en se rendant le premier au salon.
Étienne revint bientôt de son ambassade.
— La femme de chambre de mademoiselle, dit-il, m’a annoncé que mademoiselle achevait sa toilette et ne tarderait pas à venir.
Danglars fit un signe de tête indiquant qu’il était satisfait. Danglars, vis-à-vis du monde et même vis-à-vis de ses gens, affectait le bonhomme et le père faible : c’était une face du rôle qu’il s’était imposé dans la comédie populaire qu’il jouait ; c’était une physionomie qu’il avait adoptée et qui lui semblait convenir comme il convenait aux profils droits des masques des pères du théâtre antique d’avoir la lèvre retroussée et riante, tandis que le côté gauche avait la lèvre abaissée et pleurnicheuse.
Hâtons-nous de dire que, dans l’intimité, la lèvre retroussée et riante descendait au niveau de la lèvre attristée et pleurnicheuse ; de sorte que, pour la plupart du temps, le bonhomme disparaissait pour faire place au mari brutal et au père absolu.
— Pourquoi diable cette folle qui veut me parler, à ce qu’elle prétend, murmurait Danglars, ne vient-elle pas simplement dans mon cabinet, pensait-il ; et pourquoi veut-elle me parler ?
Il roulait pour la vingtième fois cette pensée inquiétante dans son cerveau, lorsque la porte s’ouvrit et qu’Eugénie parut, vêtue d’une robe de satin noir brochée de fleurs mates de la même couleur, coiffée en cheveux et gantée, comme s’il se fût agi d’aller s’asseoir dans son fauteuil du Théâtre-Italien.
— Eh bien ! Eugénie, qu’y a-t-il donc ? s’écria le père, et pourquoi le salon solennel, tandis qu’on est si bien dans mon cabinet particulier ?
— Vous avez parfaitement raison, monsieur, répondit Eugénie en faisant signe à son père qu’il pouvait s’asseoir, et vous venez de poser là deux questions qui résument d’avance toute la conversation que nous allons avoir. Je vais donc répondre à toutes deux ; et, contre les lois de l’habitude, à la seconde d’abord, comme étant la moins complexe. J’ai choisi le salon, monsieur, pour lieu de rendez-vous, afin d’éviter les impressions désagréables et les influences du cabinet d’un banquier. Ces livres de caisse, si bien dorés qu’ils soient, ces tiroirs fermés comme des portes de forteresses, ces masses de billets de banque qui viennent on ne sait d’où, et ces quantités de lettres qui viennent d’Angleterre, de Hollande, d’Espagne...
agissent en général étrangement sur l’esprit d’un père et lui font oublier qu’il est dans le monde un intérêt plus grand et plus sacré que celui de la position sociale et de l’opinion de ses commettants. J’ai donc choisi ce salon où vous voyez, souriant et heureux, dans leurs cadres magnifiques, votre portrait, le mien, celui de ma mère et toutes sortes de paysages pastoraux et de bergeries attendrissantes. Je me fie beaucoup à la puissance des impressions extérieures. Peut-être, vis-à-vis de vous surtout, est-ce une erreur ; mais, que voulez-vous ! je ne serais pas artiste s’il ne me restait pas quelques illusions.
— Très bien, répondit M. Danglars, qui avait écouté la tirade avec un imperturbable sang-froid, mais sans en comprendre une parole, absorbé qu’il était comme tout homme plein d’arrière-pensées, à chercher le fil de sa propre idée dans les idées de l’interlocuteur.
— Voilà donc le second point éclairci ou à peu près, dit Eugénie sans le moindre trouble et avec cet aplomb tout masculin qui caractérisait son geste et sa parole, et vous me paraissez satisfait de l’explication. Maintenant revenons au premier. Vous me demandiez pourquoi j’avais sollicité cette audience ; je vais vous le dire en deux mots, monsieur, le voici. Je ne veux pas épouser M. le comte Andrea Cavalcanti.
Danglars fit un bond sur son fauteuil, et, de la secousse, leva à la fois les yeux et les bras au ciel.
— Mon Dieu, oui, monsieur, continua Eugénie toujours aussi calme. Vous êtes étonné, je le vois bien, car depuis que toute cette petite affaire est en train, je n’ai point manifesté la plus petite opposition, certaine que je suis toujours, le moment venu, d’opposer franchement aux gens qui ne m’ont point consultée et aux choses qui me déplaisent une volonté franche et absolue. Cependant cette fois cette tranquillité, cette passivité, comme disent les philosophes, venait d’une autre source ; elle venait de ce que, fille soumise et dévouée… (un léger sourire se dessina sur les lèvres empourprées de la jeune fille), je m’essayais à l’obéissance.
— Eh bien ? demanda Danglars.
— Eh bien ! monsieur, reprit Eugénie, j’ai essayé jusqu’au bout de mes forces, et maintenant que le moment est arrivé, malgré tous les efforts que j’ai tentés sur moi-même, je me sens incapable d’obéir.
— Mais enfin, dit Danglars, qui esprit secondaire, semblait d’abord tout abasourdi du poids de cette impitoyable logique, dont le flegme accusait tant de préméditation et de force de volonté, la raison de ce refus, Eugénie ? la raison ?
— La raison, répliqua la jeune fille, oh ! mon Dieu ! ce n’est point que l’homme soit plus laid, soit plus sot ou soit plus désagréable qu’un autre, non ; M. Andrea Cavalcanti peut même passer, près de ceux qui regardent les hommes au visage et à la taille, pour être d’un assez beau modèle ; ce n’est pas non plus parce que mon cœur est moins touché de celui-là que de tout autre : ceci serait une raison de pensionnaire que je regarde comme tout à fait au-dessous de moi ; je n’aime absolument personne, monsieur, vous le savez bien, n’est-ce pas ? Je ne vois donc pas pourquoi, sans nécessité absolue, j’irai embarrasser ma vie d’un éternel compagnon. Est-ce que le sage n’a point dit quelque part : — « Rien de trop ; » et ailleurs : « Portez tout avec vous-même ? » On m’a même appris ces deux aphorismes en latin et en grec ; l’un est, je crois, de Phèdre, et l’autre de Bias. Eh bien ! mon cher père, dans le naufrage de la vie, car la vie est un naufrage éternel de nos espérances, je jette à la mer mon bagage inutile, voilà tout, et je reste avec ma volonté, disposée à vivre parfaitement seule et par conséquent parfaitement libre.
— Malheureuse, malheureuse ! murmura Danglars pâlissant, car il connaissait par une longue expérience la solidité de l’obstacle qu’il rencontrait si soudainement.
— Malheureuse, reprit Eugénie, malheureuse ! dites-vous, monsieur ? Mais non pas, en vérité, et l’exclamation me paraît tout à fait théâtrale et affectée. Heureuse, au contraire, car, je vous le demande, que me manque-t-il ? Le monde me trouve belle, c’est quelque chose pour être accueillie favorablement. J’aime les bons accueils, moi : ils épanouissent les visages, et ceux qui m’entourent me paraissent alors moins laids. Je suis douée de quelque esprit et d’une certaine sensibilité relative qui me permet de tirer de l’existence générale, pour la faire entrer dans la mienne, ce que j’y trouve de bon, comme fait le singe lorsqu’il casse la noix verte pour en tirer ce qu’elle contient. Je suis riche, car vous avez une des belles fortunes de France, car je suis votre fille unique, et vous n’êtes point tenace au degré où le sont les pères de la porte Saint-Martin et de la Gaîté, qui déshéritent leurs filles parce qu’elles ne veulent pas leur donner de petits-enfants. D’ailleurs, la loi prévoyante vous a ôté le droit de me déshériter, du moins tout à fait, comme elle vous a ôté le pouvoir de me contraindre à épouser M. tel ou tel. Ainsi, belle, spirituelle, ornée de quelque talent comme on dit dans les opéras-comiques, et riche ! Mais c’est le bonheur cela, monsieur ! Pourquoi donc m’appelez-vous malheureuse ?
Danglars, voyant sa fille souriante et fière jusqu’à l’insolence, ne put réprimer un mouvement de brutalité qui se trahit par un éclat de voix, mais ce fut le seul. Sous le regard interrogateur de sa fille, en face de ce beau sourcil noir, froncé par l’interrogation, il se retourna avec prudence et se calma aussitôt, dompté par la main de fer de la circonspection.
— En effet, ma fille, répondit-il avec un sourire, vous êtes tout ce que vous vous vantez d’être, hormis une seule chose, ma fille ; je ne veux pas trop brusquement vous dire laquelle : j’aime mieux vous la laisser deviner.
Eugénie regarda Danglars, fort surprise qu’on lui contestât l’un des fleurons de la couronne d’orgueil qu’elle venait de poser si superbement sur sa tête.
— Ma fille, continua le banquier, vous m’avez parfaitement expliqué quels étaient les sentiments qui présidaient aux résolutions d’une fille comme vous quand elle a décidé qu’elle ne se mariera point. Maintenant c’est à moi de vous dire quels sont les motifs d’un père comme moi quand il a décidé que sa fille se mariera.
Eugénie s’inclina, non pas en fille soumise qui écoute, mais en adversaire prêt à discuter, qui attend.
— Ma fille, continua Danglars, quand un père demande à sa fille de prendre un époux, il a toujours une raison quelconque pour désirer son mariage. Les uns sont atteints de la manie que vous disiez tout à l’heure, c’est-à-dire de se voir revivre dans leurs petits-fils. Je n’ai pas cette faiblesse, je commence par vous le dire : les joies de la famille me sont à peu près indifférentes, à moi. Je puis avouer cela à une fille que je sais assez philosophe pour comprendre cette indifférence et pour ne pas m’en faire un crime.
— À la bonne heure, dit Eugénie ; parlons franc, monsieur, j’aime cela.
— Oh ! dit Danglars, vous voyez que sans partager, en thèse générale, votre sympathie pour la franchise, je m’y soumets, quand je crois que la circonstance m’y invite. Je continuerai donc. Je vous ai proposé un mari, non pas pour vous, car en vérité je ne pensais pas le moins du monde à vous en ce moment. Vous aimez la franchise, en voilà, j’espère ; mais parce que j’avais besoin que vous prissiez cet époux le plus tôt possible, pour certaines combinaisons commerciales que je suis en train d’établir en ce moment.
Eugénie fit un mouvement.
— C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, ma fille et il ne faut pas m’en vouloir, car c’est vous qui m’y forcez ; c’est malgré moi, vous le comprenez bien, que j’entre dans ces explications arithmétiques, avec une artiste comme vous, qui craint d’entrer dans le cabinet d’un banquier pour y percevoir, les philosophes disent aussi cela, je crois, pour y percevoir des impressions ou des sensations désagréables et antipoétiques.
Mais dans ce cabinet de banquier, dans lequel cependant vous avez bien voulu entrer avant-hier pour me demander les mille francs que je vous accorde chaque mois pour vos fantaisies, sachez, ma chère demoiselle, qu’on apprend beaucoup de choses à l’usage même des jeunes personnes qui ne veulent pas se marier. On y apprend, par exemple, et par égard pour votre susceptibilité nerveuse je vous l’apprendrai dans ce salon, on y apprend que le crédit d’un banquier est sa vie physique et morale, que le crédit soutient l’homme comme le souffle anime le corps, et M. de Monte-Cristo m’a fait un jour là-dessus un discours que je n’ai jamais oublié. On y apprend qu’à mesure que le crédit se retire, le corps devient cadavre, et que cela doit arriver dans fort peu de temps au banquier qui s’honore d’être le père d’une fille si bonne logicienne.
Mais Eugénie, au lieu de se courber, se redressa sous le coup.
— Ruiné ! dit-elle.
— Vous avez trouvé l’expression juste, ma fille, la bonne expression, dit Danglars en fouillant sa poitrine avec ses ongles, tout en conservant sur sa rude figure le sourire de l’homme sans cœur, mais non sans esprit, ruiné ! c’est cela.
— Ah ! fit Eugénie.
— Oui, ruiné ! Eh bien ! le voilà donc connu, ce secret plein d’horreur, comme dit le poète tragique.
Maintenant, ma fille, apprenez de ma bouche comment ce malheur peut, par vous, devenir moindre ; je ne dirai pas pour moi, mais pour vous.
— Oh ! s’écria Eugénie, vous êtes mauvais physionomiste, monsieur, si vous vous figurez que c’est pour moi que je déplore la catastrophe que vous m’exposez.
Moi ruinée ! Et que m’importe ? Ne me reste-t-il pas mon talent ? Ne puis-je pas, comme la Malibran, comme la Grisi, me faire ce que vous ne m’eussiez jamais donné, quelle que fût votre fortune, cent ou cent cinquante mille livres de rente que je ne devrai qu’à moi seule, et qui, au lieu de m’arriver comme m’arrivaient ces pauvres douze mille francs que vous me donniez avec des regards rechignés et des paroles de reproche sur ma prodigalité, me viendront accompagnées d’acclamations, de bravos et de fleurs. Et quand je n’aurais pas ce talent dont votre sourire me prouve que vous doutez, ne me resterait-il pas encore ce furieux amour de l’indépendance, qui me tiendra toujours lieu de tous les trésors, et qui domine en moi jusqu’à l’instinct de la conservation.
Non, ce n’est pas pour moi que je m’attriste, je saurai toujours bien me tirer d’affaire, moi ; mes livres, mes crayons, mon piano, toutes choses qui ne coûtent pas cher et que je pourrai toujours me procurer, me resteront toujours. Vous pensez peut-être que je m’afflige pour madame Danglars, détrompez-vous encore : ou je me trompe grossièrement, ou ma mère a pris toutes ses précautions contre la catastrophe qui vous menace et qui passera sans l’atteindre ; elle s’est mise à l’abri, je l’espère, et ce n’est pas en veillant sur moi qu’elle a pu se distraire de ses préoccupations de fortune ; car, Dieu merci, elle m’a laissé toute mon indépendance sous le prétexte que j’aimais ma liberté.
Oh ! non, monsieur, depuis mon enfance j’ai vu se passer trop de choses autour de moi ; je les ai toutes trop bien comprises, pour que le malheur fasse sur moi plus d’impression qu’il ne mérite de le faire ; depuis que je me connais, je n’ai été aimée de personne ; tant pis ! cela m’a conduite tout naturellement à n’aimer personne ; tant mieux ! Maintenant vous avez ma profession de foi.
— Alors, dit Danglars, pâle d’un courroux qui ne prenait point sa source dans l’amour paternel offensé ; alors, mademoiselle, vous persistez à vouloir consommer ma ruine ?
— Votre ruine ? Moi, dit Eugénie, consommer votre ruine ! que voulez-vous dire ? je ne comprends pas.
— Tant mieux cela me laisse un rayon d’espoir ; écoutez.
— J’écoute, dit Eugénie en regardant si fixement son père, qu’il fallut à celui-ci un effort pour qu’il ne baissât point les yeux sous le regard puissant de la jeune fille.
— M. Cavalcanti, continua Danglars, vous épouse, et en vous épousant vous apporte trois millions de dot qu’il place chez moi.
— Ah ! fort bien, fit avec un souverain mépris Eugénie, tout en lissant ses gants l’un sur l’autre.
— Vous pensez que je vous ferai tort de ces trois millions ? dit Danglars ; pas du tout, ces trois millions sont destinés à en produire au moins dix. J’ai obtenu avec un banquier, mon confrère, la concession d’un chemin de fer, seule industrie qui de nos jours présente ces chances fabuleuses de succès immédiat qu’autrefois Law appliqua pour les bons Parisiens, ces éternels badauds de la spéculation, à un Mississippi fantastique. Par mon calcul on doit posséder un millionième de rail comme on possédait autrefois un arpent de terre en friche sur les bords de l’Ohio. C’est un placement hypothécaire, ce qui est un progrès, comme vous voyez, puisqu’on aura au moins dix, quinze, vingt, cent livres de fer en échange de son argent. Eh bien ! je dois d’ici à huit jours déposer pour mon compte quatre millions ! Ces quatre millions, je vous le dis, en produiront dix ou douze.
— Mais pendant cette visite que je vous ai faite avant-hier, monsieur, et dont vous voulez bien vous souvenir, reprit Eugénie, je vous ai vu encaisser, c’est le terme, n’est-ce pas ? cinq millions et demi ; vous m’avez même montré la chose en deux bons sur le trésor, et vous vous étonniez qu’un papier ayant une si grande valeur n’éblouît pas mes yeux comme ferait un éclair.
— Oui, mais ces cinq millions et demi ne sont point à moi et sont seulement une preuve de la confiance que l’on a en moi ; mon titre de banquier populaire m’a valu la confiance des hôpitaux, et les cinq millions et demi sont aux hôpitaux ; dans tout autre temps je n’hésiterais pas à m’en servir, mais aujourd’hui l’on sait les grandes pertes que j’ai faites, et, comme je vous l’ai dit, le crédit commence à se retirer de moi. D’un moment à l’autre, l’administration peut réclamer le dépôt, et si je l’ai employé à autre chose, je suis forcé de faire une banqueroute honteuse. Je ne méprise pas les banqueroutes, croyez-le bien, mais les banqueroutes qui enrichissent et non celles qui ruinent. Ou que vous épousiez M. Cavalcanti, que je touche les trois millions de la dot, ou même que l’on croie que je vais les toucher, mon crédit se raffermit, et ma fortune, qui depuis un mois ou deux s’est engouffrée dans des abîmes creusés sous mes pas par une fatalité inconcevable, se rétablit. Me comprenez-vous ?
— Parfaitement ; vous me mettez en gage pour trois millions, n’est-ce pas ?
— Plus la somme est forte, plus elle est flatteuse ; elle vous donne une idée de votre valeur.
— Merci. Un dernier mot, monsieur ; me promettez-vous de vous servir tant que vous le voudrez du chiffre de cette dot que doit apporter M. Cavalcanti, mais de ne pas toucher à la somme ? Ceci n’est point une affaire d’égoïsme, c’est une affaire de délicatesse. Je veux bien servir à réédifier votre fortune, mais je ne veux pas être votre complice dans la ruine des autres.
— Mais puisque je vous dis, s’écria Danglars, qu’avec ces trois millions…
— Croyez-vous vous tirer d’affaire, monsieur, sans avoir besoin de toucher à ces trois millions ?
— Je l’espère, mais à condition toujours que le mariage, en se faisant, consolidera mon crédit.
— Pourrez-vous payer à M. Cavalcanti les cinq cent mille francs que vous me donnez pour mon contrat.
— En revenant de la mairie, il les touchera.
— Bien !
— Comment bien ? Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire qu’en me demandant ma signature, n’est-ce pas, vous me laissez absolument libre de ma personne ?
— Absolument.
— Alors, bien ; comme je vous disais, monsieur, je suis prête à épouser M. Cavalcanti.
— Mais quels sont vos projets ?
— Ah ! c’est mon secret. Où serait ma supériorité sur vous si, ayant le vôtre, je vous livrais le mien ?
Danglars se mordit les lèvres.
— Ainsi, dit-il, vous êtes prête à faire les quelques visites officielles qui sont absolument indispensables ?
— Oui, répondit Eugénie.
— Et à signer le contrat dans trois jours ?
— Oui.
— Alors, à mon tour, c’est moi qui vous dis : Bien !
Et Danglars prit la main de sa fille et la serra entre les siennes.
Mais, chose extraordinaire, pendant ce serrement de main, le père n’osa pas dire : Merci, mon enfant ; la fille n’eut pas un sourire pour son père.
— La conférence est finie ? demanda Eugénie en se levant.
Danglars fit signe de la tête qu’il n’avait plus rien à dire.
Cinq minutes après, le piano retentissait sous les doigts de mademoiselle d’Armilly, et mademoiselle Danglars chantait la malédiction de Brabantio sur Desdemona.
À la fin du morceau, Étienne entra et annonça à Eugénie que les chevaux étaient à la voiture et que la baronne l’attendait pour faire ses visites.
Nous avons vu les deux femmes passer chez Villefort, d’où elles sortirent pour continuer leurs courses.
Trois jours après la scène que nous venons de raconter, c’est-à-dire vers les cinq heures de l’après midi du jour fixé pour la signature du contrat de mademoiselle Eugénie Danglars et d’Andrea Cavalcanti, que le banquier s’était obstiné à maintenir prince, comme une brise fraîche faisait frissonner toutes les feuilles du petit jardin situé en avant de la maison du comte de Monte-Cristo, au moment où celui-ci se préparait à sortir, et tandis que ses chevaux l’attendaient en frappant du pied, maintenus par la main du cocher assis déjà depuis un quart d’heure sur le siège, l’élégant phaéton avec lequel nous avons déjà plusieurs fois fait connaissance, et notamment pendant la soirée d’Auteuil, vint tourner rapidement l’angle de la porte d’entrée, et lança plutôt qu’il ne déposa sur les degrés du perron M. Andrea Cavalcanti, aussi doré, aussi rayonnant que si lui, de son côté, eût été sur le point d’épouser une princesse.
Il s’informa de la santé du comte avec cette familiarité qui lui était habituelle, et, escaladant légèrement le premier étage, le rencontra lui-même au haut de l’escalier.
À la vue du jeune homme, le comte s’arrêta. Quant à Andrea Cavalcanti, il était lancé, et quand il était lancé, rien ne l’arrêtait.
— Eh ! bonjour, cher monsieur de Monte-Cristo, dit-il au comte.
— Ah ! monsieur Andrea ! fit celui-ci avec sa voix demi-railleuse, comment vous portez-vous ?
— À merveille, comme vous voyez. Je viens causer avec vous de mille choses ; mais d’abord sortiez-vous ou rentriez-vous ?
— Je sortais, monsieur.
— Alors, pour ne point vous retarder, je monterai, si vous le voulez bien, dans votre calèche, et Tom nous suivra, conduisant mon phaéton à la remorque.
— Non, dit avec un imperceptible sourire de mépris le comte, qui ne se souciait pas d’être en compagnie du jeune homme ; non, je préfère vous donner audience ici, cher monsieur Andrea ; on cause mieux dans une chambre, et l’on n’a pas de cocher qui surprenne vos paroles au vol.
Le comte rentra donc dans un petit salon faisant partie du premier étage, s’assit, et fit, en croisant ses jambes l’une sur l’autre, signe au jeune homme de s’asseoir à son tour.
Andrea prit son air le plus riant.
— Vous savez, cher comte, dit-il, que la cérémonie a lieu ce soir ; à neuf heures on signe le contrat chez le beau-père.
— Ah ! vraiment ? dit Monte-Cristo.
— Comment ! est-ce une nouvelle que je vous apprends ? et n’étiez-vous pas prévenu de cette solennité par M. Danglars ?
— Si fait, dit le comte, j’ai reçu une lettre de lui hier ; mais je ne crois pas que l’heure y fût indiquée.
— C’est possible ; le beau-père aura compté sur la notoriété publique.
— Eh bien ! dit Monte-Cristo, vous voilà heureux, monsieur Cavalcanti : c’est une alliance des plus sortables que vous contractez là ; et puis, mademoiselle Danglars est jolie.
— Mais oui, répondit Cavalcanti avec un accent plein de modestie.
— Elle est surtout fort riche, à ce que je crois, du moins, dit Monte-Cristo.
— Fort riche, vous croyez ? répéta le jeune homme.
— Sans doute ; on dit que M. Danglars cache pour le moins la moitié de sa fortune.
— Et il avoue quinze ou vingt millions, dit Andrea avec un regard étincelant de joie.
— Sans compter, ajouta Monte-Cristo, qu’il est à la veille d’entrer dans un genre de spéculation déjà un peu usé aux États-Unis et en Angleterre, mais tout à fait neuf en France.
— Oui, oui, je sais ce dont vous voulez parler : le chemin de fer dont il vient d’obtenir l’adjudication, n’est-ce pas ?
— Justement ! il gagnera au moins, c’est l’avis général, au moins dix millions dans cette affaire.
— Dix millions ! vous croyez ? c’est magnifique, dit Cavalcanti, qui se grisait à ce bruit métallique de paroles dorées.
— Sans compter, reprit Monte-Cristo, que toute cette fortune vous reviendra, et que c’est justice, puisque mademoiselle Danglars est fille unique. D’ailleurs, votre fortune à vous, votre père me l’a dit du moins, est presque égale à celle de votre fiancée. Mais laissons là un peu les affaires d’argent. Savez-vous, monsieur Andrea, que vous avez un peu lestement et habilement mené toute cette affaire !
— Mais pas mal, pas mal, dit le jeune homme ; j’étais né pour être diplomate.
— Eh bien ! on vous fera entrer dans la diplomatie ; la diplomatie, vous le savez, ne s’apprend pas : c’est une chose d’instinct… Le cœur est donc pris ?
— En vérité, j’en ai peur, répondit Andrea du ton dont il avait vu au Théâtre-Français Dorante ou Valère répondre à Alceste.
— Vous aime-t-on un peu ?
— Il le faut bien, dit Andrea avec un sourire vainqueur, puisqu’on m’épouse. Mais cependant, n’oublions pas un grand point.
— Lequel ?
— C’est que j’ai été singulièrement aidé dans tout ceci.
— Bah !
— Certainement.
— Par les circonstances ?
— Non, par vous.
— Par moi ? laissez donc, prince, dit Monte-Cristo en appuyant avec affectation sur le titre. Qu’ai-je pu faire pour vous ? Est-ce que votre nom, votre position sociale et votre mérite ne suffisaient point ?
— Non, dit Andrea, non ; et vous avez beau dire, monsieur le comte, je maintiens, moi, que la position d’un homme tel que vous a plus fait que mon nom, ma position sociale et mon mérite.
— Vous vous abusez complètement, monsieur, dit Monte-Cristo, qui sentit l’adresse perfide du jeune homme, et qui comprit la portée de ses paroles ; ma protection ne vous a été acquise qu’après connaissance prise de l’influence et de la fortune de monsieur votre père ; car enfin qui m’a procuré, à moi qui ne vous avais jamais vu, ni vous ni l’illustre auteur de vos jours, le bonheur de votre connaissance ? Ce sont deux de mes bons amis, lord Wilmore et l’abbé Busoni. Qui m’a encouragé, non pas à vous servir de garantie, mais à vous patronner ? C’est le nom de votre père, si connu et si honoré en Italie ; personnellement, moi je ne vous connais pas.
Ce calme, cette parfaite aisance firent comprendre à Andrea qu’il était pour le moment étreint par une main plus musculeuse que la sienne, et que l’étreinte n’en pouvait être facilement brisée.
— Ah çà ! mais, dit-il, mon père a donc vraiment une bien grande fortune, monsieur le comte ?
— Il paraît que oui, monsieur, répondit Monte-Cristo.
— Savez-vous si la dot qu’il m’a promise est arrivée ?
— J’en ai reçu la lettre d’avis.
— Mais les trois millions ?
— Les trois millions sont en route, selon toute probabilité.
— Je les toucherai donc réellement ?
— Mais, dame ! reprit le comte, il me semble que jusqu’à présent, monsieur, l’argent ne vous a pas fait faute !
Andrea fut tellement surpris, qu’il ne put s’empêcher de rêver un moment.
— Alors, dit-il en sortant de sa rêverie, il me reste, monsieur, à vous adresser une demande, et celle-là vous la comprendrez, même quand elle devrait vous être désagréable.
— Parlez, dit Monte-Cristo.
— Je me suis mis en relation, grâce à ma fortune, avec beaucoup de gens distingués, et j’ai même, pour le moment du moins, une foule d’amis. Mais en me mariant comme je le fais, en face de toute la société parisienne, je dois être soutenu par un nom illustre, et à défaut de la main paternelle, c’est une main puissante qui doit me conduire à l’autel ; or, mon père ne vient point à Paris, n’est-ce pas ?
— Il est vieux, couvert de blessures, et il souffre, dit-il, à en mourir, chaque fois qu’il voyage.
— Je comprends. Eh bien ! je viens vous faire une demande.
— À moi ?
— Oui, à vous.
— Et laquelle ? mon Dieu !
— Eh bien ! c’est de le remplacer.
— Ah ! mon cher monsieur ! quoi ! après les nombreuses relations que j’ai eu le bonheur d’avoir avec vous, vous me connaissez si mal que de me faire une pareille demande ?
Demandez-moi un demi-million à emprunter, et, quoiqu’un pareil prêt soit assez rare, parole d’honneur ! vous me serez moins gênant. Sachez donc, je croyais vous l’avoir déjà dit, que dans sa participation, morale surtout, aux choses de ce monde, jamais le comte de Monte-Cristo n’a cessé d’apporter les scrupules, je dirai plus, les superstitions d’un homme de l’Orient.
Moi qui ai un sérail au Caire, un à Smyrne et un à Constantinople, présider à un mariage ! jamais.
— Ainsi, vous me refusez ?
— Net ; et fussiez-vous mon fils, fussiez-vous mon frère, je vous refuserais de même.
— Ah ! par exemple ! s’écria Andrea désappointé, mais comment faire alors ?
— Vous avez cent amis, vous l’avez dit vous-même.
— D’accord, mais c’est vous qui m’avez présenté chez M. Danglars.
— Point ! Rétablissons les faits dans toute la vérité : c’est moi qui vous ai fait dîner avec lui à Auteuil, et c’est vous qui vous êtes présenté vous-même ; diable ! c’est tout différent.
— Oui, mais mon mariage : vous avez aidé…
— Moi ! en aucune chose, je vous prie de le croire ; mais rappelez-vous donc ce que je vous ai répondu quand vous êtes venu me prier de faire la demande : Oh ! je ne fais jamais de mariage, moi, mon cher prince, c’est un principe arrêté chez moi.
Andrea se mordit les lèvres.
— Mais enfin, dit-il, vous serez là au moins ?
— Tout Paris y sera ?
— Oh ! certainement.
— Eh bien, j’y serai comme tout Paris, dit le comte.
— Vous signerez au contrat ?
— Oh ! je n’y vois aucun inconvénient, et mes scrupules ne vont point jusque-là.
— Enfin, puisque vous ne voulez pas m’accorder davantage, je dois me contenter de ce que vous me donnez. Mais un dernier mot, comte.
— Comment donc ?
— Un conseil.
— Prenez garde ; un conseil, c’est pis qu’un service.
— Oh ! celui-ci, vous pouvez me le donner sans vous compromettre.
— Dites.
— La dot de ma femme est de cinq cent mille livres.
— C’est le chiffre que M. Danglars m’a annoncé à moi-même.
— Faut-il que je la reçoive ou que je la laisse aux mains du notaire ?
— Voici, en général, comment les choses se passent quand on veut qu’elles se passent galamment : Vos deux notaires prennent rendez-vous au contrat pour le lendemain ou le surlendemain ; le lendemain ou le surlendemain, ils échangent les deux dots, dont ils se donnent mutuellement reçu ; puis, le mariage célébré, ils mettent les millions à votre disposition, comme chef de la communauté.
— C’est que, dit Andrea avec une certaine inquiétude mal dissimulée, je croyais avoir entendu dire à mon beau-père qu’il avait l’intention de placer nos fonds dans cette fameuse affaire de chemin de fer dont vous me parliez tout à l’heure.
— Eh bien ! mais, reprit Monte-Cristo, c’est, à ce que tout le monde assure, un moyen que vos capitaux soient triplés dans l’année. M. le baron Danglars est bon père et sait compter.
— Allons donc, dit Andrea, tout va bien, sauf votre refus, toutefois, qui me perce le cœur.
— Ne l’attribuez qu’à des scrupules fort naturels en pareille circonstance.
— Allons, dit Andrea, qu’il soit donc fait comme vous le voulez ; à ce soir, neuf heures.
— À ce soir.
Et malgré une légère résistance de Monte-Cristo, dont les lèvres pâlirent, mais qui cependant conserva son sourire de cérémonie, Andrea saisit la main du comte, la serra, sauta dans son phaéton et disparut.
Les quatre ou cinq heures qui lui restaient jusqu’à neuf heures, Andrea les employa en courses, en visites destinées à intéresser ces amis, dont il avait parlé, à paraître chez le banquier avec tout le luxe de leurs équipages, les éblouissant par ces promesses d’actions qui, depuis, ont fait tourner toutes les têtes, et dont Danglars, en ce moment-là, avait l’initiative.
En effet, à huit heures et demie du soir, le grand salon de Danglars, la galerie attenante à ce salon et les trois autres salons de l’étage, étaient pleins d’une foule parfumée qu’attirait fort peu la sympathie, mais beaucoup cet irrésistible besoin d’être là où l’on sait qu’il y a du nouveau.
Un académicien dirait que les soirées du monde sont des collections de fleurs qui attirent papillons inconstants, abeilles affamées et frelons bourdonnants.
Il va sans dire que les salons étaient resplendissants de bougies, la lumière roulait à flots des moulures d’or sur les tentures de soie, et tout le mauvais goût de cet ameublement, qui n’avait pour lui que la richesse, resplendissait de tout son éclat.
Mademoiselle Eugénie était venue avec la simplicité la plus élégante : une robe de soie blanche brochée de blanc, une rose blanche à moitié perdue dans ses cheveux d’un noir de jais, composaient toute sa parure, que ne venait pas enrichir le plus petit bijou.
Seulement on pouvait lire dans ses yeux cette assurance parfaite destinée à démentir ce que cette candide toilette avait de vulgairement virginal à ses propres yeux.
Madame Danglars, à trente pas d’elle, causait avec Debray, Beauchamp et Château-Renaud. Debray avait fait sa rentrée dans cette maison pour cette grande solennité, mais comme tout le monde et sans aucun privilège particulier.
M. Danglars, entouré de députés, d’hommes de finance, expliquait une théorie de contributions nouvelles qu’il comptait mettre en exercice quand la force des choses aurait contraint le gouvernement à l’appeler au ministère.
Andrea, tenant sous son bras un des plus fringants dandys de l’Opéra, lui expliquait assez impertinemment attendu qu’il avait besoin d’être hardi pour paraître à l’aise, ses projets de vie à venir, et les progrès de luxe qu’il comptait faire faire avec ses cent soixante-quinze mille livres de rente au fashion parisien.
La foule générale roulait dans ces salons comme un flux et un reflux de turquoises, de rubis, d’émeraudes, d’opales et de diamants.
Comme partout, on remarquait que c’étaient les plus vieilles femmes qui étaient les plus parées, et les plus laides qui se montraient avec le plus d’obstination.
S’il y avait quelque beau lis blanc, quelque rose suave et parfumée, il fallait la chercher et la découvrir, cachée dans quelque coin par une mère à turban, ou par une tante à oiseau de paradis.
À chaque instant, au milieu de cette cohue, de ce bourdonnement, de ces rires, la voix des huissiers lançait un nom connu dans les finances, respecté dans l’armée ou illustre dans les lettres ; alors un faible mouvement des groupes accueillait ce nom.
Mais pour un qui avait le privilège de faire frémir cet océan de vagues humaines, combien passaient accueillis par l’indifférence ou le ricanement du dédain.
Au moment où l’aiguille de la pendule massive, de la pendule représentant Endymion endormi, marquait neuf heures sur un cadran d’or, et où le timbre, fidèle reproducteur de la pensée machinale, retentissait neuf fois, le nom du comte de Monte-Cristo retentit à son tour, et, comme poussée par la flamme électrique, toute l’assemblée se tourna vers la porte.
Le comte était vêtu de noir et avec sa simplicité habituelle ; son gilet blanc dessinait sa vaste et noble poitrine ; son col noir paraissait d’une fraîcheur singulière, tant il ressortait sur la mâle pâleur de son teint ; pour tout bijou, il portait une chaîne de gilet si fine qu’à peine le mince filet d’or tranchait sur le piqué blanc.
Il se fit à l’instant même un cercle autour de la porte.
Le comte, d’un seul coup d’œil, aperçut madame Danglars à un bout du salon, M. Danglars à l’autre, et mademoiselle Eugénie devant lui.
Il s’approcha d’abord de la baronne, qui causait avec madame de Villefort, qui était venue seule, Valentine étant toujours souffrante ; et sans dévier, tant le chemin se frayait devant lui, il passa de la baronne à Eugénie, qu’il complimenta en termes si rapides et si réservés, que la fière artiste en fut frappée.
Près d’elle était mademoiselle Louise d’Armilly, qui remercia le comte des lettres de recommandation qu’il lui avait si gracieusement données pour l’Italie, et dont elle comptait, lui dit-elle, faire incessamment usage.
En quittant ces dames, il se retourna et se trouva près de Danglars, qui s’était approché pour lui donner la main.
Ces trois devoirs sociaux accomplis, Monte-Cristo s’arrêta, promenant autour de lui ce regard assuré empreint de cette expression particulière aux gens d’un certain monde et surtout d’une certaine portée, regard qui semble dire :
« J’ai fait ce que j’ai dû ; maintenant que les autres fassent ce qu’ils me doivent. »
Andrea, qui était dans un salon contigu, sentit cette espèce de frémissement que Monte-Cristo avait imprimé à la foule, et il accourut saluer le comte.
Il le trouva complètement entouré ; on se disputait ses paroles, comme il arrive toujours pour les gens qui parlent peu et qui ne disent jamais un mot sans valeur.
Les notaires firent leur entrée en ce moment, et vinrent installer leurs pancartes griffonnées sur le velours brodé d’or qui couvrait la table préparée pour la signature, table en bois doré.
Un des notaires s’assit, l’autre resta debout.
On allait procéder à la lecture du contrat que la moitié de Paris, présente à cette solennité, devait signer.
Chacun prit place, ou plutôt les femmes firent cercle, tandis que les hommes, plus indifférents à l’endroit du style énergique, comme dit Boileau, firent leurs commentaires sur l’agitation fébrile d’Andrea, sur l’attention de M. Danglars, sur l’impassibilité d’Eugénie et sur la façon leste et enjouée dont la baronne traitait cette importante affaire.
Le contrat fut lu au milieu d’un profond silence. Mais, aussitôt la lecture achevée, la rumeur recommença dans les salons, double de ce qu’elle était auparavant : ces sommes brillantes, ces millions roulant dans l’avenir des deux jeunes gens et qui venaient compléter l’exposition qu’on avait faite, dans une chambre exclusivement consacrée à cet objet, du trousseau de la mariée et des diamants de la jeune femme, avaient retenti avec tout leur prestige dans la jalouse assemblée.
Les charmes de mademoiselle Danglars en étaient doubles aux yeux des jeunes gens, et pour le moment ils effaçaient l’éclat du soleil.
Quant aux femmes, il va sans dire que, tout en jalousant ces millions, elles ne croyaient pas en avoir besoin pour être belles.
Andrea, serré par ses amis, complimenté, adulé, commençant à croire à la réalité du rêve qu’il faisait, Andrea était sur le point de perdre la tête.
Le notaire prit solennellement la plume, l’éleva au-dessus de sa tête et dit :
— Messieurs, on va signer le contrat.
Le baron devait signer le premier, puis le fondé de pouvoirs de M. Cavalcanti père, puis la baronne, puis les futurs conjoints, comme on dit dans cet abominable style qui a cours sur papier timbré.
Le baron prit la plume et signa, puis le chargé de pouvoirs.
La baronne s’approcha au bras de madame de Villefort.
— Mon amie, dit-elle en prenant la plume, n’est-ce pas une chose désespérante ? Un incident inattendu, arrivé dans cette affaire d’assassinat et de vol dont M. le comte de Monte-Cristo a failli être victime, nous prive d’avoir M. de Villefort.
— Oh ! mon Dieu ! fit Danglars, du même ton dont il aurait dit : Ma foi, la chose m’est bien indifférente !
— Mon Dieu ! dit Monte-Cristo en s’approchant, j’ai bien peur d’être la cause involontaire de cette absence.
— Comment ! vous, comte ? dit madame Danglars en signant. S’il en est ainsi, prenez garde, je ne vous le pardonnerai jamais.
Andrea dressait les oreilles.
— Il n’y aurait cependant point de ma faute, dit le comte ; aussi je tiens à le constater.
On écoutait avidement : Monte-Cristo, qui desserrait si rarement les lèvres, allait parler.
— Vous vous rappelez, dit le comte au milieu du plus profond silence, que c’est chez moi qu’est mort ce malheureux qui était venu pour me voler, et qui, en sortant de chez moi, a été tué, à ce que l’on croit, par son complice ?
— Oui, dit Danglars.
— Eh bien ! pour lui porter secours, on l’avait déshabillé et l’on avait jeté ses habits dans un coin où la justice les a ramassés ; mais la justice, en prenant l’habit et le pantalon pour les déposer au greffe, avait oublié le gilet.
Andrea pâlit visiblement et tira tout doucement du côté de la porte ; il voyait paraître un nuage à l’horizon, et ce nuage lui semblait renfermer la tempête dans ses flancs.
— Eh bien ! ce malheureux gilet, on l’a trouvé aujourd’hui tout couvert de sang et troué à l’endroit du cœur.
Les dames poussèrent un cri, et deux ou trois se préparèrent à s’évanouir.
— On me l’a apporté. Personne ne pouvait deviner d’où venait cette guenille ; moi seul songeai que c’était probablement le gilet de la victime. Tout à coup mon valet de chambre, en fouillant avec dégoût et précaution cette funèbre relique, a senti un papier dans la poche et l’en a tiré : c’était une lettre adressée à qui ? à vous, baron.
— À moi ? s’écria Danglars.
— Oh ! mon Dieu ! oui, à vous ; je suis parvenu à lire votre nom sous le sang dont le billet était maculé, répondit Monte-Cristo au milieu des éclats de surprise générale.
— Mais, demanda madame Danglars regardant son mari avec inquiétude, comment cela empêche-t-il M. de Villefort ?
— C’est tout simple, madame, répondit Monte-Cristo ; ce gilet et cette lettre étaient ce qu’on appelle des pièces de conviction ; lettre et gilet, j’ai tout envoyé à M. le procureur du roi. Vous comprenez, mon cher baron, la voie légale est la plus sûre en matière criminelle : c’était peut-être quelque machination contre vous.
Andrea regarda fixement Monte-Cristo et disparut dans le deuxième salon.
— C’est possible, dit Danglars ; cet homme assassiné n’était-il point un ancien forçat ?
— Oui, répondit le comte, un ancien forçat nommé Caderousse.
Danglars pâlit légèrement ; Andrea quitta le second salon et gagna l’antichambre.
— Mais signez donc, signez donc ! dit Monte-Cristo je m’aperçois que mon récit a mis tout le monde en émoi et j’en demande bien humblement pardon à vous, madame la baronne, et à mademoiselle Danglars.
La baronne, qui venait de signer, remit la plume au notaire.
— Monsieur le prince Cavalcanti, dit le tabellion, monsieur le prince Cavalcanti, où êtes-vous ?
— Andrea ! Andrea ! répétèrent plusieurs voix de jeunes gens qui en étaient déjà arrivés avec le noble Italien à ce degré d’intimité de l’appeler par son nom de baptême.
— Appelez donc le prince, prévenez-le donc que c’est à lui de signer ! cria Danglars à un huissier.
Mais au même instant la foule des assistants reflua, terrifiée, dans le salon principal, comme si quelque monstre effroyable fût entré dans les appartements, quœrens quem devoret.
Il y avait en effet de quoi reculer, s’effrayer, crier.
Un officier de gendarmerie plaçait deux gendarmes à la porte de chaque salon, et s’avançait vers Danglars, précédé d’un commissaire de police ceint de son écharpe.
Madame Danglars poussa un cri et s’évanouit.
Danglars, qui se croyait menacé (certaines consciences ne sont jamais calmes), Danglars offrit aux yeux de ses conviés un visage décomposé par la terreur.
— Qu’y a-t-il donc, monsieur ? demanda Monte-Cristo s’avançant au-devant du commissaire.
— Lequel de vous, messieurs, demanda le magistrat sans répondre au comte, s’appelle Andrea Cavalcanti ?
Un cri de stupeur partit de tous les coins du salon.
On chercha ; on interrogea.
— Mais quel est donc cet Andrea Cavalcanti ? demanda Danglars presque égaré.
— Un ancien forçat échappé du bagne de Toulon.
— Et quel crime a-t-il commis ?
— Il est prévenu, dit le commissaire de sa voix impassible, d’avoir assassiné le nommé Caderousse, son ancien compagnon de chaîne, au moment où il sortait de chez le comte de Monte-Cristo.
Monte-Cristo jeta un regard rapide autour de lui.
Andrea avait disparu.
Quelques instants après la scène de confusion produite dans les salons de M. Danglars par l’apparition inattendue du brigadier de gendarmerie, et par la révélation qui en avait été la suite, le vaste hôtel s’était vidé avec une rapidité pareille à celle qu’eût amenée l’annonce d’un cas de peste ou de choléra-morbus arrivé parmi les conviés : en quelques minutes par toutes les portes, par tous les escaliers, par toutes les sorties, chacun s’était empressé de se retirer, ou plutôt de fuir ; car c’était là une de ces circonstances dans lesquelles il ne faut pas même essayer de donner ces banales consolations qui rendent dans les grandes catastrophes les meilleurs amis si importuns.
Il n’était resté dans l’hôtel du banquier que M. Danglars enfermé dans son cabinet, et faisant sa déposition entre les mains de l’officier de gendarmerie ; madame Danglars, terrifiée, dans le boudoir que nous connaissons, et Eugénie qui, l’œil hautain et la lèvre dédaigneuse, s’était retirée dans sa chambre avec son inséparable compagne, mademoiselle Louise d’Armilly.
Quant aux nombreux domestiques, plus nombreux encore ce soir-là que de coutume, car on leur avait adjoint, à propos de la fête, les glaciers, les cuisiniers et les maîtres d’hôtel du Café de Paris, tournant contre leurs maîtres la colère de ce qu’ils appelaient leur affront, ils stationnaient par groupes à l’office, aux cuisines, dans leurs chambres, s’inquiétant fort peu du service, qui d’ailleurs se trouvait tout naturellement interrompu.
Au milieu de ces différents personnages, frémissant d'intérêts divers, deux seulement méritent que nous nous occupions d'eux : c'est Mlle Eugénie Danglars et Mlle Louise d'Armilly.
La jeune fiancée, nous l'avons dit, s'était retirée l'air hautain, la lèvre dédaigneuse, et avec la démarche d'une reine outragée, suivie de sa compagne, plus pâle et plus émue qu'elle.
En arrivant dans sa chambre, Eugénie ferma sa porte en dedans, pendant que Louise tombait sur une chaise.
« Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! l'horrible chose, dit la jeune musicienne ; et qui pouvait se douter de cela ? M. Andrea Cavalcanti un assassin... un échappé du bagne... un forçat ! »
Un sourire ironique crispa les lèvres d'Eugénie.
« En vérité, j'étais prédestinée, dit elle. Je n'échappe au Morcerf que pour tomber dans le Cavalcanti !
- Oh ! ne confonds pas l'un avec l'autre, Eugénie.
- Tais-toi, tous les hommes sont des infâmes, et je suis heureuse de pouvoir faire plus que de les détester ; maintenant, je les méprise.
- Qu'allons-nous faire ? demanda Louise.
- Ce que nous allons faire ?
- Oui.
- Mais ce que nous devions faire dans trois jours... partir.
- Ainsi, quoique tu ne te maries plus, tu veux toujours ?
- Ecoute, Louise, j'ai en horreur cette vie du monde ordonnée, compassée, réglée comme notre papier de musique. Ce que j'ai toujours désiré, ambitionné, voulu, c'est la vie d'artiste, la vie libre, indépendante, où l'on ne relève que de soi, où l'on ne doit de compte qu'à soi. Rester, pour quoi faire ? pour qu'on essaie, d'ici à un mois, de me marier encore ; à qui ? à M. Debray, peut-être, comme il en avait été un instant question. Non, Louise ; non, l'aventure de ce soir me sera une excuse : je n'en cherchais pas, je n'en dermandais pas ; Dieu m'envoie celle-ci, elle est la bienvenue.
- Comme tu es forte et courageuse ! dit la blonde et frêle jeune fille à sa brune compagne.
- Ne me connaissais-tu point encore ? Allons, voyons, Louise, causons de toutes nos affaires. La voiture de poste...
- Est achetée heureusement depuis trois jours.
- L'as-tu fait conduire où nous devions la prendre ?
- Oui.
- Notre passeport ?
- Le voilà ! »
Et Eugénie, avec son aplomb habituel, déplia un papier et lut :
« M. Léon d'Armilly, âgé de vingt ans, profession d'artiste, cheveux noirs, yeux noirs, voyageant avec sa soeur. »
« A merveille ! Par qui t'es-tu procuré ce passeport ?
- En allant demander à M. de Monte-Cristo des lettres pour les directeurs des théâtres de Rome et de Naples, je lui ai exprimé mes craintes de voyager en femme ; il les a parfaitement comprises, s'est mis à ma disposition pour me procurer un passeport d'homme ; et, deux jours après, j'ai reçu celui-ci, auquel j'ai ajouté de ma main : Voyageant avec sa soeur.
- Eh bien, dit gaiement Eugénie, il ne s'agit plus que de faire nos malles : nous partirons le soir de la signature du contrat, au lieu de partir le soir des noces : voilà tout.
- Réfléchis bien, Eugénie.
- Oh ! toutes mes réflexions sont faites ; je suis lasse de n'entendre parler que de reports, de fins de mois, de hausse, de baisse, de fonds espagnols, de papier haïtien. Au lieu de cela, Louise, comprends-tu, l'air, la liberté, le chant des oiseaux, les plaines de la Lombardie, les canaux de Venise, les palais de Rome, la plage de Naples. Combien possédons-nous, Louise ? »
La jeune fille qu'on interrogeait tira d'un secrétaire incrusté un petit portefeuille à serrure qu'elle ouvrit, et dans lequel elle compta vingt-trois billets de banque.
« Vingt-trois mille francs, dit-elle.
- Et pour autant au moins de perles, de diamants et bijoux, dit Eugénie. Nous sommes riches. Avec quarante-cinq mille francs, nous avons de quoi vivre en princesses pendant deux ans ou convenablement pendant quatre.
« Mais avant six mois, toi avec ta musique, moi avec ma voix, nous aurons doublé notre capital. Allons, charge-toi de l'argent, moi, je me charge du coffret aux pierreries ; de sorte que si l'une de nous avait le malheur de perdre son trésor, l'autre aurait toujours le sien. Maintenant, la valise : hâtons-nous, la valise !
- Attends, dit Louise, allant écouter à la porte de Mme Danglars.
- Que crains-tu ?
- Qu'on ne nous surprenne.
- La porte est fermée.
- Qu'on ne nous dise d'ouvrir.
- Qu'on le dise si l'on veut, nous n'ouvrirons pas.
- Tu es une véritable amazone, Eugénie ! »
Et les deux jeunes filles se mirent, avec une prodigieuse activité, à entasser dans une malle tous les objets de voyage dont elles croyaient avoir besoin.
« Là, maintenant, dit Eugénie, tandis que je vais changer de costume, ferme la valise, toi. »
Louise appuya de toute la force de ses petites mains blanches sur le couvercle de la malle.
« Mais je ne puis pas, dit-elle, je ne suis pas assez forte ; ferme-la, toi.
- Ah ! c'est juste, dit en riant Eugénie, j'oubliais que je suis Hercule, moi, et que tu n'es, toi, que la pâle Omphale. »
Et la jeune fille, appuyant le genou sur la malle, raidit ses bras blancs et musculeux jusqu'à ce que les deux compartiments de la valise fussent joints, et que Mlle d'Armilly eût passé le crochet du cadenas entre les deux pitons.
Cette opération terminée, Eugénie ouvrit une commode dont elle avait la clef sur elle, et en tira une mante de voyage en soie violette ouatée.
« Tiens, dit-elle, tu vois que j'ai pensé à tout ; avec cette mante tu n'auras point froid.
- Mais toi ?
- Oh ! moi, je n'ai jamais froid, tu le sais bien ; d'ailleurs avec ces habits d'homme...
- Tu vas t'habiller ici ?
- Sans doute.
- Mais auras-tu le temps ?
- N'aie donc pas la moindre inquiétude, poltronne ; tous nos gens sont occupés de la grande affaire. D'ailleurs, qu'y a-t-il d'étonnant, quand on songe au désespoir dans lequel je dois être, que je me sois enfermée, dis ?
- Non, c'est vrai, tu me rassures.
- Viens, aide-moi. »
Et du même tiroir dont elle avait fait sortir la mante qu'elle venait de donner à Mlle d'Armilly, et dont celle-ci avait déjà couvert ses épaules, elle tira un costume d'homme complet, depuis les bottines jusqu'à la redingote, avec une provision de linge où il n'y avait rien de superflu, mais où se trouvait le nécessaire.
Alors, avec une promptitude qui indiquait que ce n'était pas sans doute la première fois qu'en se jouant elle avait revêtu les habits d'un autre sexe, Eugénie chaussa ses bottines, passa un pantalon, chiffonna sa cravate, boutonna jusqu'à son cou un gilet montant, et endossa une redingote qui dessinait sa taille fine et cambrée.
« Oh ! c'est très bien ! en vérité, c'est très bien, dit Louise en la regardant avec admiration ; mais ces beaux cheveux noirs, ces nattes magnifiques qui faisaient soupirer d'envie toutes les femmes, tiendront-ils sous un chapeau d'homme comme celui que j'aperçois là ?
- Tu vas voir », dit Eugénie.
Et saisissant avec sa main gauche la tresse épaisse sur laquelle ses longs doigts ne se refermaient qu'à peine, elle saisit de sa main droite une paire de longs ciseaux, et bientôt l'acier cria au milieu de la riche et splendide chevelure, qui tomba tout entière aux pieds de la jeune fille, renversée en arrière pour l'isoler de sa redingote.
Puis, la natte supérieure abattue, Eugénie passa à celles de ses tempes, qu'elle abattit successivement, sans laisser échapper le moindre regret : au contraire, ses yeux brillèrent, plus pétillants et plus joyeux encore que de coutume, sous ses sourcils noirs comme l'ébène.
« Oh ! les magnifiques cheveux ! dit Louise, avec regret.
- Eh ! ne suis-je pas cent fois mieux ainsi ? s'écria Eugénie en lissant les boucles éparses de sa coiffure devenue toute masculine, et ne me trouves-tu donc pas plus belle ainsi ?
- Oh ! tu es belle, belle toujours ! s'écria Louise. Maintenant, où allons nous ?
- Mais, à Bruxelles, si tu veux ; c'est la frontière la plus proche Nous gagnerons Bruxelles, Liège, Aix-la-Chapelle ; nous remonterons le Rhin jusqu'à Strasbourg, nous traverserons la Suisse et nous descendrons en Italie par le Saint-Gothard. Cela te va-t-il ?
- Mais, oui.
- Que regardes-tu ?
- Je te regarde. En vérité, tu es adorable ainsi ; on dirait que tu m'enlèves.
- Eh pardieu ! on aurait raison.
- Oh ! je crois que tu as juré, Eugénie ! »
Et les deux jeunes filles, que chacun eût pu croire plongées dans les larmes, l'une pour son propre compte, l'autre par dévouement à son amie, éclatèrent de rire, tout en faisant disparaître les traces les plus visibles du désordre qui naturellement avait accompagné les apprêts de leur évasion.
Puis, ayant soufflé leurs lumières, l'oeil interrogateur, l'oreille au guet, le cou tendu, les deux fugitives ouvrirent la porte d'un cabinet de toilette qui donnait sur un escalier de service descendant jusqu'à la cour. Eugénie marchant la première, et soutenant d'un bras la valise que, par l'anse opposée, Mlle d'Armilly soulevait à peine de ses deux mains.
La cour était vide. Minuit sonnait.
Le concierge veillait encore.
Eugénie s'approcha tout doucement et vit le digne suisse qui dormait au fond de sa loge, étendu dans son fauteuil.
Elle retourna vers Louise, reprit la malle qu'elle avait un instant posée à terre, et toutes deux, suivant l'ombre projetée par la muraille, gagnèrent la voûte.
Eugénie fit cacher Louise dans l'angle de la porte, de manière que le concierge, s'il lui plaisait par hasard de se réveiller, ne vît qu'une personne.
Puis, s'offrant elle-même au plein rayonnement de la lampe qui éclairait la cour :
« La porte ! » cria-t-elle de sa plus belle voix de contralto, en frappant à la vitre.
Le concierge se leva comme l'avait prévu Eugénie, et fit même quelques pas pour reconnaître la personne qui sortait ; mais voyant un jeune homme qui fouettait impatiemment son pantalon de sa badine, il ouvrit sur-le-champ.
Aussitôt Louise se glissa comme une couleuvre par la porte entrebâillée, et bondit légèrement dehors. Eugénie, calme en apparence, quoique, selon toute probabilité, son coeur comptât plus de pulsations que dans l'état habituel, sortit à son tour.
Un commissionnaire passait, on le chargea de la malle, puis les deux jeunes filles lui ayant indiqué comme le but de leur course la rue de la Victoire et le numéro 36 de cette rue, elles marchèrent derrière cet homme, dont la présence rassurait Louise ; quant à Eugénie, elle était forte comme une Judith ou une Dalila.
On arriva au numéro indiqué. Eugénie ordonna au commissionnaire de déposer la malle, lui donna quelques pièces de monnaie, et, après avoir frappé au volet, le renvoya.
Ce volet auquel avait frappé Eugénie était celui d'une petite lingère prévenue à l'avance : elle n'était point encore couchée, elle ouvrit.
« Mademoiselle, dit Eugénie, faites tirer par le concierge la calèche de la remise, et envoyez-le chercher des chevaux à l'hôtel des Postes. Voici cinq francs pour la peine que nous lui donnons.
- En vérité, dit Louise, je t'admire, et je dirai presque que je te respecte. »
La lingère regardait avec étonnement ; mais comme il était convenu qu'il y aurait vingt louis pour elle, elle ne fit pas la moindre observation.
Un quart d'heure après, le concierge revenait ramenant le postillon et les chevaux, qui, en un tour de main, furent attelés à la voiture, sur laquelle le concierge assura la malle à l'aide d'une corde et d'un tourniquet.
« Voici le passeport, dit le postillon ; quelle route prenons-nous, notre jeune bourgeois ?
- La route de Fontainebleau, répondit Eugénie avec une voix presque masculine.
- Eh bien, que dis-tu donc ? demanda Louise.
- Je donne le change, dit Eugénie ; cette femme à qui nous donnons vingt louis peut nous trahir pour quarante : sur le boulevard nous prendrons une autre direction. »
Et la jeune fille s'élança dans le briska établi en excellente dormeuse, sans presque toucher le marchepied.
« Tu as toujours raison, Eugénie », dit la maîtresse de chant en prenant place près de son amie.
Un quart d'heure après, le postillon, remis dans le droit chemin, franchissait, en faisant claquer son fouet, la grille de la barrière Saint-Martin.
« Ah ! dit Louise en respirant, nous voilà donc sorties de Paris !
- Oui, ma chère, et le rapt est bel et bien consommé, répondit Eugénie.
- Oui, mais sans violence, dit Louise.
- Je ferai valoir cela comme circonstance atténuante », répondit Eugénie.
Ces paroles se perdirent dans le bruit que faisait la voiture en roulant sur le pavé de la Villette.
M. Danglars n'avait plus sa fille.
L'auberge de la cloche et de la bouteille
Et maintenant, laissons Mlle Danglars et son amie rouler sur la route de Bruxelles, et revenons au pauvre Andrea Cavalcanti, si malencontreusement arrêté dans l'essor de sa fortune.
C'était, malgré son âge encore peu avancé, un garçon fort adroit et fort intelligent que M. Andrea Cavalcanti.
Aussi, aux premières rumeurs qui pénétrèrent dans le salon, l'avons-nous vu par degrés se rapprocher de la porte, traverser une ou deux chambres, et enfin disparaître.
Une circonstance que nous avons oublié de mentionner, et qui cependant ne doit pas être omise, c'est que dans l'une de ces deux chambres que traversa Cavalcanti était exposé le trousseau de la mariée, écrins de diamants châles de cachemire, dentelles de Valenciennes, voiles d'Angleterre, tout ce qui compose enfin ce monde d'objets tentateurs dont le nom seul fait bondir de joie le coeur des jeunes filles et que l'on appelle la corbeille.
Or, en passant par cette chambre, ce qui prouve que non seulement Andrea était un garçon fort intelligent et fort adroit, mais encore prévoyant, c'est qu'il se saisit de la plus riche de toutes les parures exposées.
Muni de ce viatique, Andrea s'était senti de moitié plus léger pour sauter par la fenêtre et glisser entre les mains des gendarmes.
Grand et découplé comme le lutteur antique, musculeux comme un Spartiate, Andrea avait fourni une course d'un quart d'heure, sans savoir où il allait, et dans le but seul de s'éloigner du lieu où il avait failli être pris.
Parti de la rue du Mont-Blanc, il s'était retrouvé, avec cet instinct des barrières que les voleurs possèdent, comme le lièvre celui du gîte, au bout de la rue Lafayette.
Là, suffoqué, haletant, il s'arrêta.
Il était parfaitement seul, et avait à gauche le clos Saint-Lazare, vaste désert, et, à sa droite, Paris dans toute sa profondeur.
« Suis-je perdu ? se demanda-t-il. Non, si je puis fournir une somme d'activité supérieure à celle de mes ennemis. Mon salut est donc devenu tout simplement une question de myriamètres. »
En ce moment il aperçut, montant du haut du faubourg Poissonnière, un cabriolet de régie dont le cocher, morne et fumant sa pipe, semblait vouloir regagner les extrémités du faubourg Saint-Denis où, sans doute, il faisait son séjour ordinaire.
« Hé ! l'ami ! dit Benedetto.
- Qu'y a-t-il, notre bourgeois ? demanda le cocher.
- Votre cheval est-il fatigué ?
- Fatigué ! ah ! bien oui ! il n'a rien fait de toute la sainte journée. Quatre méchantes courses et vingt sous de pourboire, sept francs en tout, je dois en rendre dix au patron !
- Voulez-vous à ces sept francs en ajouter vingt que voici, hein ?
- Avec plaisir, bourgeois ; ce n'est pas à mépriser, vingt francs. Que faut-il faire pour cela ? voyons.
- Une chose bien facile, si votre cheval n'est pas fatigué toutefois.
- Je vous dis qu'il ira comme un zéphyr ; le tout est de dire de quel côté il faut qu'il aille.
- Du côté de Louvres.
- Ah ! ah ! connu : pays du ratafia ?
- Justement. Il s'agit tout simplement de rattraper un de mes amis avec lequel je dois chasser demain à La Chapelle-en-Serval. Il devait m'attendre ici avec son cabriolet jusqu'à onze heures et demie : il est minuit ; il se sera fatigué de m'attendre et sera parti tout seul.
- C'est probable.
- Eh bien, voulez-vous essayer de le rattraper ?
- Je ne demande pas mieux.
- Mais si nous ne le rattrapons pas d'ici au Bourget vous aurez vingt francs ; si nous ne le rattrapons pas d'ici à Louvres, trente.
- Et si nous le rattrapons ?
- Quarante ! dit Andrea qui avait eu un moment d'hésitation, mais qui avait réfléchi qu'il ne risquait rien de promettre.
- 0a va ! dit le cocher. Montez, et en route. Prroum !... »
Andrea monta dans le cabriolet qui, d'une course rapide, traversa le faubourg Saint-Denis, longea le faubourg Saint-Martin, traversa la barrière, et enfila l'interminable Villette.
On n'avait garde de rejoindre cet ami chimérique ; cependant de temps en temps, aux passants attardés ou aux cabarets qui veillaient encore, Cavalcanti s'informait d'un cabriolet vert attelé d'un cheval bai-brun ; et, comme sur la route des Pays-Bas il circule bon nombre de cabriolets, que les neuf dixièmes des cabriolets sont verts, les renseignements pleuvaient à chaque pas.
On venait toujours de le voir passer ; il n'avait pas plus de cinq cents, de deux cents, de cent pas d'avance ; enfin, on le dépassait, ce n'était pas lui.
Une fois le cabriolet fut dépassé à son tour ; c'était par une calèche rapidement emportée au galop de deux chevaux de poste.
« Ah ! se dit Cavalcanti, si j'avais cette calèche, ces deux bons chevaux, et surtout le passeport qu'il a fallu pour les prendre ! »
Et il soupira profondément.
Cette calèche était celle qui emportait Mlle Danglars et Mlle d'Armilly.
« En route ! en route ! dit Andrea, nous ne pouvons pas tarder à le rejoindre. »
Et le pauvre cheval reprit le trot enragé qu'il avait suivi depuis la barrière, et arriva tout fumant à Louvres.
« Décidément, dit Andrea, je vois bien que je ne rejoindrai pas mon ami et que je tuerai votre cheval. Ainsi donc, mieux vaut que je m'arrête. Voilà vos trente francs, je m'en vais coucher au Cheval-Rouge, et la première voiture dans laquelle je trouverai une place, je la prendrai. Bonsoir, mon ami. »
Et Andrea, après avoir mis six pièces de cinq francs dans la main du cocher, sauta lestement sur le pavé de la route.
Le cocher empocha joyeusement la somme et reprit au pas le chemin de Paris ; Andrea feignit de gagner l'hôtel du Cheval-Rouge ; mais après s'être arrêté un instant contre la porte, entendant le bruit du cabriolet qui allait se perdant à l'horizon, il reprit sa course, et, d'un pas gymnastique fort relevé, il fournit une course de deux lieues.
Là, il se reposa ; il devait être tout près de La Chapelle-en-Serval, où il avait dit qu'il allait.
Ce n'était pas la fatigue qui arrêtait Andrea Cavalcanti : c'était le besoin de prendre une résolution, c'était la nécessité d'adopter un plan.
Monter en diligence, c'était impossible ; prendre la poste, c'était également impossible. Pour voyager de l'une ou de l'autre façon un passeport est de toute nécessité.
Demeurer dans le département de l'Oise, c’est-à-dire dans un des départements les plus découverts et les plus surveillés de France, c'était chose impossible encore, impossible surtout pour un homme expert comme Andrea en matière criminelle.
Andrea s'assit sur les revers du fossé, laissa tomber sa tête entre ses deux mains et réfléchit.
Dix minutes après, il releva la tête ; sa résolution était arrêtée.
Il couvrit de poussière tout un côté du paletot qu'il avait eu le temps de décrocher dans l'antichambre et de boutonner par-dessus sa toilette de bal, et, gagnant La Chapelle-en-Serval, il alla frapper hardiment à la porte de la seule auberge du pays.
L'hôte vint ouvrir.
« Mon ami, dit Andrea, j'allais de Mortefontaine à Senlis quand mon cheval, qui est un animal difficile, a fait un écart et m'a envoyé à dix pas. Il faut que j'arrive cette nuit à Compiègne sous peine de causer les plus graves inquiétudes à ma famille ; avez-vous un cheval à louer ? »
Bon ou mauvais, un aubergiste a toujours un cheval.
L'aubergiste de La Chapelle-en-Serval appela le garçon d'écurie, lui ordonna de seller le Blanc, et réveilla son fils, enfant de sept ans, lequel devait monter en croupe du monsieur et ramener le quadrupède.
Andrea donna vingt francs à l'aubergiste, et, en les tirant de sa poche, laissa tomber une carte de visite.
Cette carte de visite était celle d'un de ses amis du Café de Paris ; de sorte que l'aubergiste, lorsque Andrea fut parti et qu'il eut ramassé la carte tombée de sa poche, fut convaincu qu'il avait loué son cheval à M. le comte de Mauléon, rue Saint-Dominique, 25 : c'était le nom et l'adresse qui se trouvaient sur la carte.
Le Blanc n'allait pas vite, mais il allait d'un pas égal et assidu : en trois heures et demie Andrea fit les neuf lieues qui le séparaient de Compiègne ; quatre heures sonnaient à l'horloge de l'hôtel de ville lorsqu'il arriva sur la place où s'arrêtent les diligences.
Il y a à Compiègne un excellent hôtel, dont se souviennent ceux-là même qui n'y ont logé qu'une fois.
Andrea, qui y avait fait une halte dans une de ses courses aux environs de Paris, se souvint de l'hôtel de la Cloche et de la Bouteille : il s'orienta, vit à la lueur d'un réverbère l'enseigne indicatrice, et, ayant congédié l'enfant, auquel il donna tout ce qu'il avait sur lui de petite monnaie, il alla frapper à la porte, réfléchissant avec beaucoup de justesse qu'il avait trois ou quatre heures devant lui, et que le mieux était de se prémunir, par un bon somme et un bon souper, contre les fatigues à venir.
Ce fut un garçon qui vint ouvrir.
« Mon ami, dit Andrea, je viens de Saint-Jean-au-Bois, où j'ai dîné ; je comptais prendre la voiture qui passe à minuit ; mais je me suis perdu comme un sot, et voilà quatre heures que je me promène dans la forêt. Donnez-moi donc une de ces jolies petites chambres qui donnent sur la cour, et faites-moi monter un poulet froid et une bouteille de vin de Bordeaux. »
Le garçon n'eut aucun soupçon : Andrea parlait avec la plus parfaite tranquillité, il avait le cigare à la bouche et les mains dans les poches de son paletot ; ses habits étaient élégants, sa barbe fraîche, ses bottes irréprochables ; il avait l'air d'un voisin attardé, voilà tout.
Pendant que le garçon préparait sa chambre, l'hôtesse se leva : Andrea l'accueillit avec son plus charmant sourire, et lui demanda s'il ne pourrait pas avoir le numéro 3, qu'il avait déjà eu à son dernier passage à Compiègne ; malheureusement le numéro 3 était pris par un jeune homme qui voyageait avec sa soeur.
Andrea parut désespéré ; il ne se consola que lorsque l'hôtesse lui eut assuré que le numéro 7, qu'on lui préparait, avait absolument la même disposition que le numéro 3 ; et, tout en se chauffant les pieds et en causant des dernières courses de Chantilly, il attendit qu'on vînt lui annoncer que sa chambre était prête.
Ce n'était pas sans raison qu'Andrea avait parlé de ces jolis appartements donnant sur la cour ; la cour de l'hôtel de la Cloche, avec son triple rang de galeries qui lui donnait l'air d'une salle de spectacle, avec ses jasmins et ses clématites qui montent le long de ses colonnades, légères comme une décoration naturelle, est une des plus charmantes entrées d'auberge qui existent au monde.
Le poulet était frais, le vin était vieux, le feu clair et pétillant : Andrea se surprit soupant d'aussi bon appétit que s'il ne lui était rien arrivé.
Puis il se coucha, et s'endormit presque aussitôt de ce sommeil implacable que l'homme trouve toujours à vingt ans, même lorsqu'il a des remords.
Or, nous sommes forcés d'avouer qu'Andrea aurait pu avoir des remords, mais qu'il n'en avait pas.
Voici quel était le plan d'Andrea, plan qui lui avait donné la meilleure partie de sa sécurité.
Avec le jour il se levait, sortait de l'hôtel après avoir rigoureusement payé ses comptes ; gagnait la forêt, achetait, sous prétexte de faire des études de peinture, l'hospitalité d'un paysan ; se procurait un costume de bûcheron et une cognée, dépouillait l'enveloppe du lion pour prendre celle de l'ouvrier ; puis, les mains terreuses, les cheveux brunis par un peigne de plomb, le teint hâlé par une préparation dont ses anciens camarades lui avaient donné la recette, il gagnait, de forêt en forêt, la frontière la plus prochaine, marchant la nuit, dormant le jour dans les forêts ou dans les carrières, et ne s'approchant des endroits habités que pour acheter de temps en temps un pain.
Une fois la frontière dépassée, Andrea faisait argent de ses diamants, réunissait le prix qu'il en tirait à une dizaine de billets de banque qu'il portait toujours sur lui en cas d'accident, et il se retrouvait encore à la tête d'une cinquantaine de mille livres, ce qui ne semblait pas à sa philosophie un pis aller par trop rigoureux.
D'ailleurs, il comptait beaucoup sur l'intérêt que les Danglars avaient à éteindre le bruit de leur mésaventure.
Voilà pourquoi, outre la fatigue, Andrea dormit si vite et si bien.
D'ailleurs, pour être réveillé plus matin, Andrea n'avait point fermé ses volets et s'était seulement contenté de pousser les verrous de sa porte et de tenir tout ouvert, sur sa table de nuit, certain couteau fort pointu dont il connaissait la trempe excellente et qui ne le quittait jamais.
A sept heures du matin environ, Andrea fut éveillé par un rayon de soleil qui venait, tiède et brillant, se jouer sur son visage.
Dans tout cerveau bien organisé, l'idée dominante, et il y en a toujours une, l'idée dominante, disons-nous, est celle qui, après s'être endormie la dernière, illumine la première encore le réveil de la pensée.
Andrea n'avait pas entièrement ouvert les yeux que la pensée dominante le tenait déjà et lui soufflait à l'oreille qu'il avait dormi trop longtemps.
Il sauta en bas de son lit et courut à sa fenêtre.
Un gendarme traversait la cour.
Le gendarme est un des objets les plus frappants qui existent au monde, même pour l'oeil d'un homme sans inquiétude : mais pour une conscience timorée et qui a quelque motif de l'être, le jaune, le bleu et le blanc dont se compose son uniforme prennent des teintes effrayantes.
« Pourquoi un gendarme ? » se demanda Andrea.
Tout à coup il se répondit à lui-même, avec cette logique que le lecteur a déjà dû remarquer en lui :
« Un gendarme n'a rien qui doive étonner dans une hôtellerie ; mais habillons-nous. »
Et le jeune homme s'habilla avec une rapidité que n'avait pu lui faire perdre son valet de chambre, pendant les quelques mois de la vie fashionable qu'il avait menée à Paris.
« Bon, dit Andrea tout en s'habillant, j'attendrai qu'il soit parti, et quand il sera parti je m'esquiverai. »
Et tout en disant ces mots, Andrea, rebotté et recravaté, gagna doucement sa fenêtre et souleva une seconde fois le rideau de mousseline.
Non seulement le premier gendarme n'était point parti, mais encore le jeune homme aperçut un second uniforme bleu, jaune et blanc, au bas de l'escalier, le seul par lequel il pût descendre, tandis qu'un troisième, à cheval et le mousqueton au poing, se tenait en sentinelle à la grande porte de la rue, la seule par laquelle il pût sortir.
Ce troisième gendarme était significatif au dernier point ; car au-devant de lui s'étendait un demi-cercle de curieux qui bloquaient hermétiquement la porte de l'hôtel.
« On me cherche ! fut la première pensée d'Andrea. Diable ! »
La pâleur envahit le front du jeune homme ; il regarda autour de lui avec anxiété.
Sa chambre, comme toutes celles de cet étage, n'avait d'issue que sur la galerie extérieure, ouverte à tous les regards.
« Je suis perdu ! » fut sa seconde pensée.
En effet, pour un homme dans la situation d'Andrea, l'arrestation signifiait : les assises, le jugement, la mort, la mort sans miséricorde et sans délai.
Un instant il comprima convulsivement sa tête entre ses deux mains.
Pendant cet instant il faillit devenir fou de peur.
Mais bientôt, de ce monde de pensées s'entrechoquant dans sa tête, une pensée d'espérance jaillit : un pâle sourire se dessina sur ses lèvres blêmies et sur ses joues contractées.
Il regarda autour de lui ; les objets qu'il cherchait se trouvaient réunis sur le marbre d'un secrétaire : c'étaient une plume, de l'encre et du papier.
Il trempa la plume dans l'encre et écrivit d'une main à laquelle il commanda d'être ferme les lignes suivantes, sur la première feuille du cahier :
« Je n'ai point d'argent pour payer, mais je ne suis pas un malhonnête homme ; je laisse en nantissement cette épingle qui vaut dix fois la dépense que j'ai faite. On me pardonnera de m'être échappé au point du jour ; j'étais honteux ! »
Il tira son épingle de sa cravate et la posa sur le papier.
Cela fait, au lieu de laisser ses verrous poussés, il les tira, entrebâilla même sa porte, comme s'il fût sorti de sa chambre en oubliant de la refermer, et se glissant dans la cheminée en homme accoutumé à ces sortes de gymnastiques, il attira à lui la devanture de papier représentant Achille chez Deidamie, effaça avec ses pieds même la trace de ses pas dans les cendres, et commença d'escalader le tuyau cambré qui lui offrait la seule voie de salut dans laquelle il espérât encore.
En ce moment même, le premier gendarme qui avait frappé la vue d'Andrea montait l'escalier, précédé du commissaire de police, et soutenu par le second gendarme qui gardait le bas de l'escalier, lequel pouvait attendre lui même du renfort de celui qui stationnait à la porte.
Voici à quelle circonstance Andrea devait cette visite, qu'avec tant de peine il se disposait à recevoir.
Au point du jour, les télégraphes avaient joué dans toutes les directions, et chaque localité, prévenue presque immédiatement, avait réveillé les autorités et lancé la force publique à la recherche du meurtrier de Caderousse.
Compiègne, résidence royale ; Compiègne, ville de chasse ; Compiègne, ville de garnison, est abondamment pourvue d'autorités, de gendarmes et de commissaires de police ; les visites avaient donc commencé aussitôt l'arrivée de l'ordre télégraphique, et l'hôtel de la Cloche et de la Bouteille étant le premier hôtel de la ville, on avait tout naturellement commencé par lui.
D'ailleurs, d'après le rapport des sentinelles qui avaient pendant cette nuit été de garde à l'hôtel de ville l'hôtel de ville est attenant à l'auberge de la Cloche, d'après le rapport des sentinelles, disons-nous, il avait été constaté que plusieurs voyageurs étaient descendus pendant la nuit à l'hôtel.
La sentinelle qu'on avait relevée à six heures du matin se rappelait même, au moment où elle venait d'être placée, c'est-à-dire à quatre heures et quelques rninutes, avoir vu un jeune homme monté sur un cheval blanc ayant un petit paysan en croupe, lequel jeune homme était descendu sur la place, avait congédié paysan et cheval, et était allé frapper à l'hôtel de la Cloche, qui s'était ouvert devant lui et s'était refermé sur lui.
C'était sur ce jeune homme si singulièrement attardé que s'étaient arrêtés les soupçons.
Or, ce jeune homme n'était autre qu'Andrea.
C'était forts de ces données, que le commissaire de police et le gendarme, qui était le brigadier, s'acheminaient vers la porte d'Andrea ; cette porte était entrebaillée.
« Oh ! oh ! dit le brigadier, vieux renard nourri dans les ruses de l'état, mauvais indice qu'une porte ouverte ! je l'aimerais mieux verrouillée à triple verrou ! »
En effet, la petite lettre et l'épingle laissées par Andrea sur la table confirmèrent ou plutôt appuyèrent la triste vérité. Andrea s'était enfui.
Nous disons appuyèrent, parce que le brigadier n'était pas homme à se rendre sur une seule preuve.
Il regarda autour de lui, plongea son oeil sous le lit, dédoubla les rideaux, ouvrit les armoires, et enfin s'arrêta à la cheminée.
Grâce aux précautions d'Andrea, aucune trace de son passage n'était demeurée dans les cendres.
Cependant c'était une issue, et dans les circonstances où l'on se trouvait, toute issue devait être l'objet d'une sérieuse investigation.
Le brigadier se fit donc apporter un fagot et de la paille ; bourra la cheminée comme il eût fait d'un mortier, et y mit le feu.
Le feu fit craquer les parois de brique ; une colonne opaque de fumée s'élança par les conduits et monta vers le ciel comme le sombre jet d'un volcan, mais il ne vit point tomber le prisonnier, comme il s'y attendait.
C'est qu'Andrea, dès sa jeunesse en lutte avec la société, valait bien un gendarme, ce gendarme fût-il élevé au grade respectable de brigadier ; prévoyant donc l'incendie, il avait gagné le toit et se tenait blotti contre le tuyau.
Un instant il eut quelque espoir d'être sauvé, car il entendit le brigadier appelant les deux gendarmes et leur criant tout haut :
« Il n'y est plus. »
Mais en allongeant doucement le cou, il vit que les deux gendarmes, au lieu de se retirer, comme la chose naturelle, sur une première annonce, il vit, disons-nous, qu'au contraire les deux gendarmes redoublaient d'attention.
A son tour il regarda autour de lui : l'hôtel de ville, colossale bâtisse du XVIème siècle, s'élevait comme un rempart sombre, à sa droite, et par les ouvertures du monument, on pouvait plonger dans tous les coins et recoins du toit, comme du haut d'une montagne on plonge dans la vallée.
Andrea comprit qu'il allait incessamment voir paraître la tête du brigadier de gendarmerie à quelqu'une de ces ouvertures.
Découvert, il était perdu ; une chasse sur les toits ne lui présentait aucune chance de succès.
Il résolut donc de redescendre, non point par le même chemin qu'il était venu, mais par un chemin analogue.
Il chercha des yeux celle des cheminées de laquelle il ne voyait sortir aucune fumée, l'atteignit en rampant sur le toit, et disparut par son orifice sans avoir été vu de personne.
Au même instant, une petite fenêtre de l'hôtel de ville s'ouvrait et donnait passage à la tête du brigadier de gendarmerie.
Un instant cette tête demeura immobile comme un de ces reliefs de pierre qui décorent le bâtiment ; puis avec un long soupir de désappointement la tête disparut.
Le brigadier, calme et digne comme la loi dont il était le représentant, passa sans répondre à ces mille questions de la foule amassée sur la place, et rentra dans l'hôtel.
« Eh bien ? demandèrent à leur tour les deux gendarmes.
- Eh bien, mes fils, répondit le brigadier, il faut que le brigand se soit véritablement distancé de nous ce matin à la bonne heure ; mais nous allons envoyer sur la route de Villers-Cotterêts et de Noyon et fouiller la forêt, où nous le rattraperons indubitablement. »
L'honorable fonctionnaire venait à peine, avec l'intonation qui est particulière aux brigadiers de gendarmerie, de donner le jour à cet adverbe sonore, lorsqu'un long cri d'effroi, accompagné du tintement redoublé d'une sonnette, retentit dans la cour de l'hôtel.
« Oh ! oh ! qu'est-ce que cela ? s'écria le brigadier.
- Voilà un voyageur qui semble bien pressé, dit l'hôte. A quel numéro sonne-t-on ?
- Au numéro 3.
- Courez-y, garçon ! »
En ce moment, les cris et le bruit de la sonnette redoublèrent.
Le garçon prit sa course.
« Non pas, dit le brigadier en arrêtant le domestique ; celui qui sonne m'a l'air de demander autre chose que le garçon, et nous allons lui servir un gendarme. Qui loge au numéro 3 ?
- Le petit jeune homme arrivé avec sa soeur cette nuit en chaise de poste, et qui a demandé une chambre à deux lits »
La sonnette retentit une troisième fois avec une intonation pleine d'angoisse.
« A moi ! monsieur le commissaire ! cria le brigadier, suivez-moi et emboîtez le pas.
- Un instant, dit l'hôte, à la chambre numéro 3, il y a deux escaliers : un extérieur, un intérieur.
- Bon ! dit le brigadier, je prendrai l'intérieur, c'est mon département. Les carabines sont-elles chargées ?
- Oui, brigadier.
- Eh bien, veillez à l'extérieur, vous autres, et s'il veut fuir, feu dessus ; c'est un grand criminel, à ce que dit le télégraphe. »
Le brigadier, suivi du commissaire, disparut aussitôt dans l'escalier intérieur, accompagné de la rumeur que ses révélations sur Andrea venaient de faire naître dans la foule.
Voilà ce qui était arrivé :
Andrea était fort adroitement descendu jusqu'aux deux tiers de la cheminée, mais, arrivé là, le pied lui avait manqué, et, malgré l'appui de ses mains, il était descendu avec plus de vitesse et surtout plus de bruit qu'il n'aurait voulu. Ce n'eût été rien si la chambre eût été solitaire ; mais par malheur elle était habitée.
Deux femmes dormaient dans un lit, ce bruit les avait réveillées.
Leurs regards s'étaient fixés vers le point d'où venait le bruit, et par l'ouverture de la cheminée elles avaient vu paraître un homme.
C'était l'une de ces deux femmes, la femme blonde, qui avait poussé ce terrible cri dont toute la maison avait retenti, tandis que l'autre qui était brune, s'élançant au cordon de la sonnette, avait donné l'alarme, en l'agitant de toutes ses forces.
Andrea jouait, comme on le voit, de malheur.
« Par pitié ! cria-t-il, pâle, égaré, sans voir les personnes auxquelles il s'adressait, par pitié ! n'appelez pas, sauvez-moi ! je ne veux pas vous faire de mal.
- Andrea l'assassin ! cria l'une des deux jeunes femmes.
- Eugénie ! mademoiselle Danglars ! murmura Cavalcanti, passant de l'effroi à la stupeur.
- Au secours ! au secours ! cria Mlle d'Armilly, reprenant la sonnette aux mains inertes d'Eugénie, et sonnant avec plus de force encore que sa compagne.
- Sauvez-moi, on me poursuit ! dit Andrea en joignant les mains ; par pitié, par grâce, ne me livrez pas !
- II est trop tard, on monte, répondit Eugénie.
- Eh bien, cachez-moi quelque part, vous direz que vous avez eu peur sans motif d'avoir peur ; vous détournerez les soupçons, et vous m'aurez sauvé la vie »
Les deux femmes, serrées l'une contre l'autre, s'enveloppant dans leurs couvertures, restèrent muettes à cette voix suppliante ; toutes les appréhensions, toutes les répugnances se heurtaient dans leur esprit.
« Eh bien, soit ! dit Eugénie, reprenez le chemin par lequel vous êtes venu, malheureux ; partez, et nous ne dirons rien.
- Le voici ! le voici ! cria une voix sur le palier, le voici, je le vois ! »
En effet, le brigadier avait collé son oeil à la serrure, et avait aperçu Andrea debout et suppliant.
Un violent coup de crosse fit sauter la serrure, deux autres firent sauter les verrous ; la porte brisée tomba en dedans.
Andrea courut à l'autre porte, donnant sur la galerie de la cour, et l'ouvrit, prêt à se précipiter.
Les deux gendarmes étaient là avec leurs carabines et le couchèrent en joue.
Andrea s'était arrêté court ; debout, pâle, le corps un peu renversé en arrière, il tenait son couteau inutile dans sa main crispée.
« Fuyez donc ! cria Mlle d'Armilly, dans le coeur de laquelle rentrait la pitié à mesure que l'effroi en sortait ; fuyez donc !
- Ou tuez-vous ! » dit Eugénie du ton et avec la pose d'une de ces vestales qui, dans le cirque, ordonnaient avec le pouce, au gladiateur victorieux, d'achever son adversaire terrassé.
Andrea frémit et regarda la jeune fille avec un sourire de mépris qui prouva que sa corruption ne comprenait point cette sublime férocité de l'honneur.
« Me tuer ! dit-il en jetant son couteau, pour quoi faire ?
- Mais, vous l'avez dit ! s'écria Mlle Danglars, on vous condamnera à mort, on vous exécutera comme le dernier des criminels !
- Bah ! répliqua Cavalcanti en se croisant les bras, on a des amis. »
Le brigadier s'avança vers lui le sabre au poing.
« Allons, allons, dit Cavalcanti, rengainez, mon brave homme, ce n'est point la peine de faire tant d'esbroufe, puisque je me rends. »
Et il tendit ses mains aux menottes.
Les deux jeunes filles regardaient avec terreur cette hideuse métamorphose qui s'opérait sous leurs yeux, l'homme du monde dépouillant son enveloppe et redevenant l'homme du bagne.
Andrea se retourna vers elles, et avec le sourire de l'impudence :
« Avez-vous quelque commission pour monsieur votre père, mademoiselle Eugénie ? dit-il car, selon toute probabilité, je retourne à Paris. »
Eugénie cacha sa tête dans ses deux mains.
« Oh ! oh ! dit Andrea, il n'y a pas de quoi être honteuse, et je ne vous en veux pas d'avoir pris la poste pour courir après moi... N'étais-je pas presque votre mari ? »
Et sur cette raillerie Andrea sortit, laissant les deux fugitives en proie aux souffrances de la honte et aux commentaires de l'assemblée.
Une heure après, vêtues toutes deux de leurs habits de femmes, elles montaient dans leur calèche de voyage.
On avait fermé la porte de l'hôtel pour les soustraire aux premiers regards ; mais il n'en fallut pas moins, quand cette porte fut ouverte, passer au milieu d'une double haie de curieux, aux yeux flamboyants, aux lèvres murmurantes.
Eugénie baissa les stores ; mais si elle ne voyait plus, elle entendait encore, et le bruit des ricanements arrivait jusqu'à elle.
« Oh ! pourquoi le monde n'est-il pas un désert ? » s'écria-t-elle en se jetant dans les bras de Mlle d'Armilly, les yeux étincelants de cette rage qui faisait désirer à Néron que le monde romain n'eût qu'une seule tête, afin de la trancher d'un seul coup.
Le lendemain, elles descendaient à l'hôtel de Flandre, à Bruxelles.
Depuis la veille, Andrea était écroué à la Conciergerie.
On a vu avec quelle tranquillité Mlle Danglars et Mlle d'Armilly avaient pu accomplir leur transformation et opérer leur fuite : c'est que chacun était trop occupé de ses propres affaires pour s'occuper des leurs.
Nous suivrons la baronne, qui, après être restée un instant écrasée sous la violence du coup qui venait de la frapper, était allée trouver son conseiller ordinaire, Lucien Debray.
C'est qu'en effet la baronne comptait sur ce mariage pour abandonner enfin une tutelle qui, avec une fille du caractère d'Eugénie, ne laissait pas que d'être fort gênante ; c'est que dans ces espèces de contrats tacites qui maintiennent le lien hiérarchique de la famille, la mère n'est réellement maîtresse de sa fille qu'à condition d'être continuellement pour elle un exemple de sagesse et un type de perfection. Or, Mme Danglars redoutait la perspicacité d'Eugénie et les conseils de Mlle d'Armilly, elle avait surpris certains regards dédaigneux lancés par sa fille à Debray, regards qui semblaient signifier que sa fille connaissait tout le mystère de ses relations amoureuses et pécuniaires avec le secrétaire intime, tandis qu'une interprétation plus sagace et plus approfondie eût, au contraire, démontré à la baronne qu'Eugénie détestait Debray, non point parce qu'il était dans la maison paternelle une pierre d'achoppement et de scandale, mais parce qu'elle le rangeait tout bonnement dans la catégorie de ces bipèdes que Diogène essayait de ne plus appeler des hommes, et que Platon désignait par la périphrase d'animaux à deux pieds et sans plumes.
Mme Danglars, à son point de vue, et malheureusement dans ce monde chacun a son point de vue à soi qui l'empêche de voir le point de vue des autres, Mme Danglars, à son point de vue, disons-nous, regrettait donc infiniment que le mariage d'Eugénie fût manqué, non point parce que ce mariage était convenable, bien assorti et devait faire le bonheur de sa fille, mais parce que ce mariage lui rendait sa liberté.
Elle courut donc, comme nous l'avons dit, chez Debray, qui après avoir, comme tout Paris, assisté à la soirée du contrat et au scandale qui en avait été la suite, s'était empressé de se retirer à son club, où, avec quelques amis, il causait de l'événement qui faisait à cette heure la conversation des trois quarts de cette ville éminemment cancanière qu'on appelle la capitale du monde.
Au moment où Mme Danglars, vêtue d'une robe noire et cachée sous un voile, montait l'escalier qui conduisait à l'appartement de Debray, malgré la certitude que lui avait donnée le concierge que le jeune homme n'était point chez lui, Debray s'occupait à repousser les insinuations d'un ami qui essayait de lui prouver qu'après l'éclat terrible qui venait d'avoir lieu, il était de son devoir d'ami de la maison d'épouser Mlle Eugénie Danglars et ses deux millions.
Debray se défendait en homme qui ne demande pas mieux que d'être vaincu ; car souvent cette idée s'était présentée d'elle-même à son esprit ; puis, comme il connaissait Eugénie, son caractère indépendant et altier, il reprenait de temps en temps une attitude complètement défensive, disant que cette union était impossible, en se laissant toutefois sourdement chatouiller par l'idée mauvaise qui, au dire de tous les moralistes, préoccupe incessamment l'homme le plus probe, et le plus pur, veillant au fond de son âme comme Satan veille derrière la croix. Le thé, le jeu, la conversation, intéressante, comme on le voit, puisqu'on y discutait de si graves intérêts, durèrent jusqu'à une heure du matin.
Pendant ce temps, Mme Danglars, introduite par le valet de chambre de Lucien, attendait, voilée et palpitante, dans le petit salon vert entre deux corbeilles de fleurs qu'elle-même avait envoyées le matin, et que Debray, il faut le dire, avait lui-même rangées, étagées, émondées avec un soin qui fit pardonner son absence à la pauvre femme.
A onze heures quarante minutes, Mme Danglars, lassée d'attendre inutilement, remonta en fiacre et se fit reconduire chez elle.
Les femmes d'un certain monde ont cela de commun avec les grisettes en bonne fortune, qu'elles ne rentrent pas d'ordinaire passé minuit. La baronne rentra dans l'hôtel avec autant de précaution qu'Eugénie venait d'en prendre pour sortir ; elle monta légèrement, et le coeur serré, l'escalier de son appartement, contigu, comme on sait, à celui d'Eugénie.
Elle redoutait si fort de provoquer quelque commentaire ; elle croyait si fermement, pauvre femme respectable en ce point du moins, à l'innocence de sa fille et à sa fidélité pour le foyer paternel !
Rentrée chez elle, elle écouta à la porte d'Eugénie, puis, n'entendant aucun bruit, elle essaya d'entrer ; mais les verrous étaient mis.
Mme Danglars crut qu'Eugénie, fatiguée des terribles émotions de la soirée, s'était mise au lit et qu'elle dormait.
Elle appela la femme de chambre et l'interrogea.
« Mlle Eugénie, répondit la femme de chambre, est rentrée dans son appartement avec Mlle d'Armilly ; puis elles ont pris le thé ensemble ; après quoi elles m'ont congédiée, en me disant qu'elles n'avaient plus besoin de moi. »
Depuis ce moment, la femme de chambre était à l'office, et, comme tout le monde, elle croyait les deux jeunes personnes dans l'appartement.
Mme Danglars se coucha donc sans l'ombre d'un soupçon ; mais, tranquille sur les individus, son esprit se reporta sur l'événement.
A mesure que ses idées s'éclaircissaient en sa tête, les proportions de la scène du contrat grandissaient : ce n'était plus un scandale, c'était un vacarme ; ce n'était plus une honte, c'était une ignominie.
Malgré elle alors, la baronne se rappela qu'elle avait été sans pitié pour la pauvre Mercédès, frappée naguère, dans son époux et dans son fils, d'un malheur aussi grand.
« Eugénie, se dit-elle, est perdue, et nous aussi. L'affaire, telle qu'elle va être présentée, nous couvre d'opprobre ; car dans une société comme la nôtre, certains ridicules sont des plaies vives, saignantes, incurables.
« Quel bonheur, murmura-t-elle, que Dieu ait fait à Eugénie ce caractère étrange qui m'a si souvent fait trembler ! »
Et son regard reconnaissant se leva vers le ciel, dont la mystérieuse Providence dispose tout à l'avance selon les événements qui doivent arriver, et d'un défaut, d'un vice même, fait quelquefois un bonheur.
Puis, sa pensée franchit l'espace, comme fait, en étendant ses ailes, d'un abîme, et s'arrêta sur Cavalcanti.
« Cet Andrea était un misérable, un voleur, un assassin ; et cependant cet Andrea possédait des façons qui indiquaient une demi-éducation, sinon une éducation complète ; cet Andrea s'était présenté dans le monde avec l'apparence d'une grande fortune, avec l'appui de noms honorables. »
Comment voir clair dans ce dédale ? A qui s'adresser pour sortir de cette position cruelle ?
Debray, à qui elle avait couru avec le premier élan de la femme qui cherche un secours dans l'homme qu'elle aime et qui parfois la perd, Debray ne pouvait que lui donner un conseil ; c'était à quelque autre plus puissant que lui qu'elle devait s'adresser.
La jeune fiancée, nous l'avons dit, s'était retirée l'air hautain, la lèvre dédaigneuse, et avec la démarche d'une reine outragée, suivie de sa compagne, plus pâle et plus émue qu'elle.
En arrivant dans sa chambre, Eugénie ferma sa porte en dedans, pendant que Louise tombait sur une chaise.
« Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! l'horrible chose, dit la jeune musicienne ; et qui pouvait se douter de cela ? M. Andrea Cavalcanti un assassin... un échappé du bagne... un forçat ! »
Un sourire ironique crispa les lèvres d'Eugénie.
« En vérité, j'étais prédestinée, dit elle. Je n'échappe au Morcerf que pour tomber dans le Cavalcanti !
- Oh ! ne confonds pas l'un avec l'autre, Eugénie.
- Tais-toi, tous les hommes sont des infâmes, et je suis heureuse de pouvoir faire plus que de les détester ; maintenant, je les méprise.
- Qu'allons-nous faire ? demanda Louise.
- Ce que nous allons faire ?
- Oui.
- Mais ce que nous devions faire dans trois jours... partir.
- Ainsi, quoique tu ne te maries plus, tu veux toujours ?
- Ecoute, Louise, j'ai en horreur cette vie du monde ordonnée, compassée, réglée comme notre papier de musique. Ce que j'ai toujours désiré, ambitionné, voulu, c'est la vie d'artiste, la vie libre, indépendante, où l'on ne relève que de soi, où l'on ne doit de compte qu'à soi. Rester, pour quoi faire ? pour qu'on essaie, d'ici à un mois, de me marier encore ; à qui ? à M. Debray, peut-être, comme il en avait été un instant question. Non, Louise ; non, l'aventure de ce soir me sera une excuse : je n'en cherchais pas, je n'en dermandais pas ; Dieu m'envoie celle-ci, elle est la bienvenue.
- Comme tu es forte et courageuse ! dit la blonde et frêle jeune fille à sa brune compagne.
- Ne me connaissais-tu point encore ? Allons, voyons, Louise, causons de toutes nos affaires. La voiture de poste...
- Est achetée heureusement depuis trois jours.
- L'as-tu fait conduire où nous devions la prendre ?
- Oui.
- Notre passeport ?
- Le voilà ! »
Et Eugénie, avec son aplomb habituel, déplia un papier et lut :
« M. Léon d'Armilly, âgé de vingt ans, profession d'artiste, cheveux noirs, yeux noirs, voyageant avec sa soeur. »
« A merveille ! Par qui t'es-tu procuré ce passeport ?
- En allant demander à M. de Monte-Cristo des lettres pour les directeurs des théâtres de Rome et de Naples, je lui ai exprimé mes craintes de voyager en femme ; il les a parfaitement comprises, s'est mis à ma disposition pour me procurer un passeport d'homme ; et, deux jours après, j'ai reçu celui-ci, auquel j'ai ajouté de ma main : Voyageant avec sa soeur.
- Eh bien, dit gaiement Eugénie, il ne s'agit plus que de faire nos malles : nous partirons le soir de la signature du contrat, au lieu de partir le soir des noces : voilà tout.
- Réfléchis bien, Eugénie.
- Oh ! toutes mes réflexions sont faites ; je suis lasse de n'entendre parler que de reports, de fins de mois, de hausse, de baisse, de fonds espagnols, de papier haïtien. Au lieu de cela, Louise, comprends-tu, l'air, la liberté, le chant des oiseaux, les plaines de la Lombardie, les canaux de Venise, les palais de Rome, la plage de Naples. Combien possédons-nous, Louise ? »
La jeune fille qu'on interrogeait tira d'un secrétaire incrusté un petit portefeuille à serrure qu'elle ouvrit, et dans lequel elle compta vingt-trois billets de banque.
« Vingt-trois mille francs, dit-elle.
- Et pour autant au moins de perles, de diamants et bijoux, dit Eugénie. Nous sommes riches. Avec quarante-cinq mille francs, nous avons de quoi vivre en princesses pendant deux ans ou convenablement pendant quatre.
« Mais avant six mois, toi avec ta musique, moi avec ma voix, nous aurons doublé notre capital. Allons, charge-toi de l'argent, moi, je me charge du coffret aux pierreries ; de sorte que si l'une de nous avait le malheur de perdre son trésor, l'autre aurait toujours le sien. Maintenant, la valise : hâtons-nous, la valise !
- Attends, dit Louise, allant écouter à la porte de Mme Danglars.
- Que crains-tu ?
- Qu'on ne nous surprenne.
- La porte est fermée.
- Qu'on ne nous dise d'ouvrir.
- Qu'on le dise si l'on veut, nous n'ouvrirons pas.
- Tu es une véritable amazone, Eugénie ! »
Et les deux jeunes filles se mirent, avec une prodigieuse activité, à entasser dans une malle tous les objets de voyage dont elles croyaient avoir besoin.
« Là, maintenant, dit Eugénie, tandis que je vais changer de costume, ferme la valise, toi. »
Louise appuya de toute la force de ses petites mains blanches sur le couvercle de la malle.
« Mais je ne puis pas, dit-elle, je ne suis pas assez forte ; ferme-la, toi.
- Ah ! c'est juste, dit en riant Eugénie, j'oubliais que je suis Hercule, moi, et que tu n'es, toi, que la pâle Omphale. »
Et la jeune fille, appuyant le genou sur la malle, raidit ses bras blancs et musculeux jusqu'à ce que les deux compartiments de la valise fussent joints, et que Mlle d'Armilly eût passé le crochet du cadenas entre les deux pitons.
Cette opération terminée, Eugénie ouvrit une commode dont elle avait la clef sur elle, et en tira une mante de voyage en soie violette ouatée.
« Tiens, dit-elle, tu vois que j'ai pensé à tout ; avec cette mante tu n'auras point froid.
- Mais toi ?
- Oh ! moi, je n'ai jamais froid, tu le sais bien ; d'ailleurs avec ces habits d'homme...
- Tu vas t'habiller ici ?
- Sans doute.
- Mais auras-tu le temps ?
- N'aie donc pas la moindre inquiétude, poltronne ; tous nos gens sont occupés de la grande affaire. D'ailleurs, qu'y a-t-il d'étonnant, quand on songe au désespoir dans lequel je dois être, que je me sois enfermée, dis ?
- Non, c'est vrai, tu me rassures.
- Viens, aide-moi. »
Et du même tiroir dont elle avait fait sortir la mante qu'elle venait de donner à Mlle d'Armilly, et dont celle-ci avait déjà couvert ses épaules, elle tira un costume d'homme complet, depuis les bottines jusqu'à la redingote, avec une provision de linge où il n'y avait rien de superflu, mais où se trouvait le nécessaire.
Alors, avec une promptitude qui indiquait que ce n'était pas sans doute la première fois qu'en se jouant elle avait revêtu les habits d'un autre sexe, Eugénie chaussa ses bottines, passa un pantalon, chiffonna sa cravate, boutonna jusqu'à son cou un gilet montant, et endossa une redingote qui dessinait sa taille fine et cambrée.
« Oh ! c'est très bien ! en vérité, c'est très bien, dit Louise en la regardant avec admiration ; mais ces beaux cheveux noirs, ces nattes magnifiques qui faisaient soupirer d'envie toutes les femmes, tiendront-ils sous un chapeau d'homme comme celui que j'aperçois là ?
- Tu vas voir », dit Eugénie.
Et saisissant avec sa main gauche la tresse épaisse sur laquelle ses longs doigts ne se refermaient qu'à peine, elle saisit de sa main droite une paire de longs ciseaux, et bientôt l'acier cria au milieu de la riche et splendide chevelure, qui tomba tout entière aux pieds de la jeune fille, renversée en arrière pour l'isoler de sa redingote.
Puis, la natte supérieure abattue, Eugénie passa à celles de ses tempes, qu'elle abattit successivement, sans laisser échapper le moindre regret : au contraire, ses yeux brillèrent, plus pétillants et plus joyeux encore que de coutume, sous ses sourcils noirs comme l'ébène.
« Oh ! les magnifiques cheveux ! dit Louise, avec regret.
- Eh ! ne suis-je pas cent fois mieux ainsi ? s'écria Eugénie en lissant les boucles éparses de sa coiffure devenue toute masculine, et ne me trouves-tu donc pas plus belle ainsi ?
- Oh ! tu es belle, belle toujours ! s'écria Louise. Maintenant, où allons nous ?
- Mais, à Bruxelles, si tu veux ; c'est la frontière la plus proche Nous gagnerons Bruxelles, Liège, Aix-la-Chapelle ; nous remonterons le Rhin jusqu'à Strasbourg, nous traverserons la Suisse et nous descendrons en Italie par le Saint-Gothard. Cela te va-t-il ?
- Mais, oui.
- Que regardes-tu ?
- Je te regarde. En vérité, tu es adorable ainsi ; on dirait que tu m'enlèves.
- Eh pardieu ! on aurait raison.
- Oh ! je crois que tu as juré, Eugénie ! »
Et les deux jeunes filles, que chacun eût pu croire plongées dans les larmes, l'une pour son propre compte, l'autre par dévouement à son amie, éclatèrent de rire, tout en faisant disparaître les traces les plus visibles du désordre qui naturellement avait accompagné les apprêts de leur évasion.
Puis, ayant soufflé leurs lumières, l'oeil interrogateur, l'oreille au guet, le cou tendu, les deux fugitives ouvrirent la porte d'un cabinet de toilette qui donnait sur un escalier de service descendant jusqu'à la cour. Eugénie marchant la première, et soutenant d'un bras la valise que, par l'anse opposée, Mlle d'Armilly soulevait à peine de ses deux mains.
La cour était vide. Minuit sonnait.
Le concierge veillait encore.
Eugénie s'approcha tout doucement et vit le digne suisse qui dormait au fond de sa loge, étendu dans son fauteuil.
Elle retourna vers Louise, reprit la malle qu'elle avait un instant posée à terre, et toutes deux, suivant l'ombre projetée par la muraille, gagnèrent la voûte.
Eugénie fit cacher Louise dans l'angle de la porte, de manière que le concierge, s'il lui plaisait par hasard de se réveiller, ne vît qu'une personne.
Puis, s'offrant elle-même au plein rayonnement de la lampe qui éclairait la cour :
« La porte ! » cria-t-elle de sa plus belle voix de contralto, en frappant à la vitre.
Le concierge se leva comme l'avait prévu Eugénie, et fit même quelques pas pour reconnaître la personne qui sortait ; mais voyant un jeune homme qui fouettait impatiemment son pantalon de sa badine, il ouvrit sur-le-champ.
Aussitôt Louise se glissa comme une couleuvre par la porte entrebâillée, et bondit légèrement dehors. Eugénie, calme en apparence, quoique, selon toute probabilité, son coeur comptât plus de pulsations que dans l'état habituel, sortit à son tour.
Un commissionnaire passait, on le chargea de la malle, puis les deux jeunes filles lui ayant indiqué comme le but de leur course la rue de la Victoire et le numéro 36 de cette rue, elles marchèrent derrière cet homme, dont la présence rassurait Louise ; quant à Eugénie, elle était forte comme une Judith ou une Dalila.
On arriva au numéro indiqué. Eugénie ordonna au commissionnaire de déposer la malle, lui donna quelques pièces de monnaie, et, après avoir frappé au volet, le renvoya.
Ce volet auquel avait frappé Eugénie était celui d'une petite lingère prévenue à l'avance : elle n'était point encore couchée, elle ouvrit.
« Mademoiselle, dit Eugénie, faites tirer par le concierge la calèche de la remise, et envoyez-le chercher des chevaux à l'hôtel des Postes. Voici cinq francs pour la peine que nous lui donnons.
- En vérité, dit Louise, je t'admire, et je dirai presque que je te respecte. »
La lingère regardait avec étonnement ; mais comme il était convenu qu'il y aurait vingt louis pour elle, elle ne fit pas la moindre observation.
Un quart d'heure après, le concierge revenait ramenant le postillon et les chevaux, qui, en un tour de main, furent attelés à la voiture, sur laquelle le concierge assura la malle à l'aide d'une corde et d'un tourniquet.
« Voici le passeport, dit le postillon ; quelle route prenons-nous, notre jeune bourgeois ?
- La route de Fontainebleau, répondit Eugénie avec une voix presque masculine.
- Eh bien, que dis-tu donc ? demanda Louise.
- Je donne le change, dit Eugénie ; cette femme à qui nous donnons vingt louis peut nous trahir pour quarante : sur le boulevard nous prendrons une autre direction. »
Et la jeune fille s'élança dans le briska établi en excellente dormeuse, sans presque toucher le marchepied.
« Tu as toujours raison, Eugénie », dit la maîtresse de chant en prenant place près de son amie.
Un quart d'heure après, le postillon, remis dans le droit chemin, franchissait, en faisant claquer son fouet, la grille de la barrière Saint-Martin.
« Ah ! dit Louise en respirant, nous voilà donc sorties de Paris !
- Oui, ma chère, et le rapt est bel et bien consommé, répondit Eugénie.
- Oui, mais sans violence, dit Louise.
- Je ferai valoir cela comme circonstance atténuante », répondit Eugénie.
Ces paroles se perdirent dans le bruit que faisait la voiture en roulant sur le pavé de la Villette.
M. Danglars n'avait plus sa fille.
L'auberge de la cloche et de la bouteille
Et maintenant, laissons Mlle Danglars et son amie rouler sur la route de Bruxelles, et revenons au pauvre Andrea Cavalcanti, si malencontreusement arrêté dans l'essor de sa fortune.
C'était, malgré son âge encore peu avancé, un garçon fort adroit et fort intelligent que M. Andrea Cavalcanti.
Aussi, aux premières rumeurs qui pénétrèrent dans le salon, l'avons-nous vu par degrés se rapprocher de la porte, traverser une ou deux chambres, et enfin disparaître.
Une circonstance que nous avons oublié de mentionner, et qui cependant ne doit pas être omise, c'est que dans l'une de ces deux chambres que traversa Cavalcanti était exposé le trousseau de la mariée, écrins de diamants châles de cachemire, dentelles de Valenciennes, voiles d'Angleterre, tout ce qui compose enfin ce monde d'objets tentateurs dont le nom seul fait bondir de joie le coeur des jeunes filles et que l'on appelle la corbeille.
Or, en passant par cette chambre, ce qui prouve que non seulement Andrea était un garçon fort intelligent et fort adroit, mais encore prévoyant, c'est qu'il se saisit de la plus riche de toutes les parures exposées.
Muni de ce viatique, Andrea s'était senti de moitié plus léger pour sauter par la fenêtre et glisser entre les mains des gendarmes.
Grand et découplé comme le lutteur antique, musculeux comme un Spartiate, Andrea avait fourni une course d'un quart d'heure, sans savoir où il allait, et dans le but seul de s'éloigner du lieu où il avait failli être pris.
Parti de la rue du Mont-Blanc, il s'était retrouvé, avec cet instinct des barrières que les voleurs possèdent, comme le lièvre celui du gîte, au bout de la rue Lafayette.
Là, suffoqué, haletant, il s'arrêta.
Il était parfaitement seul, et avait à gauche le clos Saint-Lazare, vaste désert, et, à sa droite, Paris dans toute sa profondeur.
« Suis-je perdu ? se demanda-t-il. Non, si je puis fournir une somme d'activité supérieure à celle de mes ennemis. Mon salut est donc devenu tout simplement une question de myriamètres. »
En ce moment il aperçut, montant du haut du faubourg Poissonnière, un cabriolet de régie dont le cocher, morne et fumant sa pipe, semblait vouloir regagner les extrémités du faubourg Saint-Denis où, sans doute, il faisait son séjour ordinaire.
« Hé ! l'ami ! dit Benedetto.
- Qu'y a-t-il, notre bourgeois ? demanda le cocher.
- Votre cheval est-il fatigué ?
- Fatigué ! ah ! bien oui ! il n'a rien fait de toute la sainte journée. Quatre méchantes courses et vingt sous de pourboire, sept francs en tout, je dois en rendre dix au patron !
- Voulez-vous à ces sept francs en ajouter vingt que voici, hein ?
- Avec plaisir, bourgeois ; ce n'est pas à mépriser, vingt francs. Que faut-il faire pour cela ? voyons.
- Une chose bien facile, si votre cheval n'est pas fatigué toutefois.
- Je vous dis qu'il ira comme un zéphyr ; le tout est de dire de quel côté il faut qu'il aille.
- Du côté de Louvres.
- Ah ! ah ! connu : pays du ratafia ?
- Justement. Il s'agit tout simplement de rattraper un de mes amis avec lequel je dois chasser demain à La Chapelle-en-Serval. Il devait m'attendre ici avec son cabriolet jusqu'à onze heures et demie : il est minuit ; il se sera fatigué de m'attendre et sera parti tout seul.
- C'est probable.
- Eh bien, voulez-vous essayer de le rattraper ?
- Je ne demande pas mieux.
- Mais si nous ne le rattrapons pas d'ici au Bourget vous aurez vingt francs ; si nous ne le rattrapons pas d'ici à Louvres, trente.
- Et si nous le rattrapons ?
- Quarante ! dit Andrea qui avait eu un moment d'hésitation, mais qui avait réfléchi qu'il ne risquait rien de promettre.
- 0a va ! dit le cocher. Montez, et en route. Prroum !... »
Andrea monta dans le cabriolet qui, d'une course rapide, traversa le faubourg Saint-Denis, longea le faubourg Saint-Martin, traversa la barrière, et enfila l'interminable Villette.
On n'avait garde de rejoindre cet ami chimérique ; cependant de temps en temps, aux passants attardés ou aux cabarets qui veillaient encore, Cavalcanti s'informait d'un cabriolet vert attelé d'un cheval bai-brun ; et, comme sur la route des Pays-Bas il circule bon nombre de cabriolets, que les neuf dixièmes des cabriolets sont verts, les renseignements pleuvaient à chaque pas.
On venait toujours de le voir passer ; il n'avait pas plus de cinq cents, de deux cents, de cent pas d'avance ; enfin, on le dépassait, ce n'était pas lui.
Une fois le cabriolet fut dépassé à son tour ; c'était par une calèche rapidement emportée au galop de deux chevaux de poste.
« Ah ! se dit Cavalcanti, si j'avais cette calèche, ces deux bons chevaux, et surtout le passeport qu'il a fallu pour les prendre ! »
Et il soupira profondément.
Cette calèche était celle qui emportait Mlle Danglars et Mlle d'Armilly.
« En route ! en route ! dit Andrea, nous ne pouvons pas tarder à le rejoindre. »
Et le pauvre cheval reprit le trot enragé qu'il avait suivi depuis la barrière, et arriva tout fumant à Louvres.
« Décidément, dit Andrea, je vois bien que je ne rejoindrai pas mon ami et que je tuerai votre cheval. Ainsi donc, mieux vaut que je m'arrête. Voilà vos trente francs, je m'en vais coucher au Cheval-Rouge, et la première voiture dans laquelle je trouverai une place, je la prendrai. Bonsoir, mon ami. »
Et Andrea, après avoir mis six pièces de cinq francs dans la main du cocher, sauta lestement sur le pavé de la route.
Le cocher empocha joyeusement la somme et reprit au pas le chemin de Paris ; Andrea feignit de gagner l'hôtel du Cheval-Rouge ; mais après s'être arrêté un instant contre la porte, entendant le bruit du cabriolet qui allait se perdant à l'horizon, il reprit sa course, et, d'un pas gymnastique fort relevé, il fournit une course de deux lieues.
Là, il se reposa ; il devait être tout près de La Chapelle-en-Serval, où il avait dit qu'il allait.
Ce n'était pas la fatigue qui arrêtait Andrea Cavalcanti : c'était le besoin de prendre une résolution, c'était la nécessité d'adopter un plan.
Monter en diligence, c'était impossible ; prendre la poste, c'était également impossible. Pour voyager de l'une ou de l'autre façon un passeport est de toute nécessité.
Demeurer dans le département de l'Oise, c’est-à-dire dans un des départements les plus découverts et les plus surveillés de France, c'était chose impossible encore, impossible surtout pour un homme expert comme Andrea en matière criminelle.
Andrea s'assit sur les revers du fossé, laissa tomber sa tête entre ses deux mains et réfléchit.
Dix minutes après, il releva la tête ; sa résolution était arrêtée.
Il couvrit de poussière tout un côté du paletot qu'il avait eu le temps de décrocher dans l'antichambre et de boutonner par-dessus sa toilette de bal, et, gagnant La Chapelle-en-Serval, il alla frapper hardiment à la porte de la seule auberge du pays.
L'hôte vint ouvrir.
« Mon ami, dit Andrea, j'allais de Mortefontaine à Senlis quand mon cheval, qui est un animal difficile, a fait un écart et m'a envoyé à dix pas. Il faut que j'arrive cette nuit à Compiègne sous peine de causer les plus graves inquiétudes à ma famille ; avez-vous un cheval à louer ? »
Bon ou mauvais, un aubergiste a toujours un cheval.
L'aubergiste de La Chapelle-en-Serval appela le garçon d'écurie, lui ordonna de seller le Blanc, et réveilla son fils, enfant de sept ans, lequel devait monter en croupe du monsieur et ramener le quadrupède.
Andrea donna vingt francs à l'aubergiste, et, en les tirant de sa poche, laissa tomber une carte de visite.
Cette carte de visite était celle d'un de ses amis du Café de Paris ; de sorte que l'aubergiste, lorsque Andrea fut parti et qu'il eut ramassé la carte tombée de sa poche, fut convaincu qu'il avait loué son cheval à M. le comte de Mauléon, rue Saint-Dominique, 25 : c'était le nom et l'adresse qui se trouvaient sur la carte.
Le Blanc n'allait pas vite, mais il allait d'un pas égal et assidu : en trois heures et demie Andrea fit les neuf lieues qui le séparaient de Compiègne ; quatre heures sonnaient à l'horloge de l'hôtel de ville lorsqu'il arriva sur la place où s'arrêtent les diligences.
Il y a à Compiègne un excellent hôtel, dont se souviennent ceux-là même qui n'y ont logé qu'une fois.
Andrea, qui y avait fait une halte dans une de ses courses aux environs de Paris, se souvint de l'hôtel de la Cloche et de la Bouteille : il s'orienta, vit à la lueur d'un réverbère l'enseigne indicatrice, et, ayant congédié l'enfant, auquel il donna tout ce qu'il avait sur lui de petite monnaie, il alla frapper à la porte, réfléchissant avec beaucoup de justesse qu'il avait trois ou quatre heures devant lui, et que le mieux était de se prémunir, par un bon somme et un bon souper, contre les fatigues à venir.
Ce fut un garçon qui vint ouvrir.
« Mon ami, dit Andrea, je viens de Saint-Jean-au-Bois, où j'ai dîné ; je comptais prendre la voiture qui passe à minuit ; mais je me suis perdu comme un sot, et voilà quatre heures que je me promène dans la forêt. Donnez-moi donc une de ces jolies petites chambres qui donnent sur la cour, et faites-moi monter un poulet froid et une bouteille de vin de Bordeaux. »
Le garçon n'eut aucun soupçon : Andrea parlait avec la plus parfaite tranquillité, il avait le cigare à la bouche et les mains dans les poches de son paletot ; ses habits étaient élégants, sa barbe fraîche, ses bottes irréprochables ; il avait l'air d'un voisin attardé, voilà tout.
Pendant que le garçon préparait sa chambre, l'hôtesse se leva : Andrea l'accueillit avec son plus charmant sourire, et lui demanda s'il ne pourrait pas avoir le numéro 3, qu'il avait déjà eu à son dernier passage à Compiègne ; malheureusement le numéro 3 était pris par un jeune homme qui voyageait avec sa soeur.
Andrea parut désespéré ; il ne se consola que lorsque l'hôtesse lui eut assuré que le numéro 7, qu'on lui préparait, avait absolument la même disposition que le numéro 3 ; et, tout en se chauffant les pieds et en causant des dernières courses de Chantilly, il attendit qu'on vînt lui annoncer que sa chambre était prête.
Ce n'était pas sans raison qu'Andrea avait parlé de ces jolis appartements donnant sur la cour ; la cour de l'hôtel de la Cloche, avec son triple rang de galeries qui lui donnait l'air d'une salle de spectacle, avec ses jasmins et ses clématites qui montent le long de ses colonnades, légères comme une décoration naturelle, est une des plus charmantes entrées d'auberge qui existent au monde.
Le poulet était frais, le vin était vieux, le feu clair et pétillant : Andrea se surprit soupant d'aussi bon appétit que s'il ne lui était rien arrivé.
Puis il se coucha, et s'endormit presque aussitôt de ce sommeil implacable que l'homme trouve toujours à vingt ans, même lorsqu'il a des remords.
Or, nous sommes forcés d'avouer qu'Andrea aurait pu avoir des remords, mais qu'il n'en avait pas.
Voici quel était le plan d'Andrea, plan qui lui avait donné la meilleure partie de sa sécurité.
Avec le jour il se levait, sortait de l'hôtel après avoir rigoureusement payé ses comptes ; gagnait la forêt, achetait, sous prétexte de faire des études de peinture, l'hospitalité d'un paysan ; se procurait un costume de bûcheron et une cognée, dépouillait l'enveloppe du lion pour prendre celle de l'ouvrier ; puis, les mains terreuses, les cheveux brunis par un peigne de plomb, le teint hâlé par une préparation dont ses anciens camarades lui avaient donné la recette, il gagnait, de forêt en forêt, la frontière la plus prochaine, marchant la nuit, dormant le jour dans les forêts ou dans les carrières, et ne s'approchant des endroits habités que pour acheter de temps en temps un pain.
Une fois la frontière dépassée, Andrea faisait argent de ses diamants, réunissait le prix qu'il en tirait à une dizaine de billets de banque qu'il portait toujours sur lui en cas d'accident, et il se retrouvait encore à la tête d'une cinquantaine de mille livres, ce qui ne semblait pas à sa philosophie un pis aller par trop rigoureux.
D'ailleurs, il comptait beaucoup sur l'intérêt que les Danglars avaient à éteindre le bruit de leur mésaventure.
Voilà pourquoi, outre la fatigue, Andrea dormit si vite et si bien.
D'ailleurs, pour être réveillé plus matin, Andrea n'avait point fermé ses volets et s'était seulement contenté de pousser les verrous de sa porte et de tenir tout ouvert, sur sa table de nuit, certain couteau fort pointu dont il connaissait la trempe excellente et qui ne le quittait jamais.
A sept heures du matin environ, Andrea fut éveillé par un rayon de soleil qui venait, tiède et brillant, se jouer sur son visage.
Dans tout cerveau bien organisé, l'idée dominante, et il y en a toujours une, l'idée dominante, disons-nous, est celle qui, après s'être endormie la dernière, illumine la première encore le réveil de la pensée.
Andrea n'avait pas entièrement ouvert les yeux que la pensée dominante le tenait déjà et lui soufflait à l'oreille qu'il avait dormi trop longtemps.
Il sauta en bas de son lit et courut à sa fenêtre.
Un gendarme traversait la cour.
Le gendarme est un des objets les plus frappants qui existent au monde, même pour l'oeil d'un homme sans inquiétude : mais pour une conscience timorée et qui a quelque motif de l'être, le jaune, le bleu et le blanc dont se compose son uniforme prennent des teintes effrayantes.
« Pourquoi un gendarme ? » se demanda Andrea.
Tout à coup il se répondit à lui-même, avec cette logique que le lecteur a déjà dû remarquer en lui :
« Un gendarme n'a rien qui doive étonner dans une hôtellerie ; mais habillons-nous. »
Et le jeune homme s'habilla avec une rapidité que n'avait pu lui faire perdre son valet de chambre, pendant les quelques mois de la vie fashionable qu'il avait menée à Paris.
« Bon, dit Andrea tout en s'habillant, j'attendrai qu'il soit parti, et quand il sera parti je m'esquiverai. »
Et tout en disant ces mots, Andrea, rebotté et recravaté, gagna doucement sa fenêtre et souleva une seconde fois le rideau de mousseline.
Non seulement le premier gendarme n'était point parti, mais encore le jeune homme aperçut un second uniforme bleu, jaune et blanc, au bas de l'escalier, le seul par lequel il pût descendre, tandis qu'un troisième, à cheval et le mousqueton au poing, se tenait en sentinelle à la grande porte de la rue, la seule par laquelle il pût sortir.
Ce troisième gendarme était significatif au dernier point ; car au-devant de lui s'étendait un demi-cercle de curieux qui bloquaient hermétiquement la porte de l'hôtel.
« On me cherche ! fut la première pensée d'Andrea. Diable ! »
La pâleur envahit le front du jeune homme ; il regarda autour de lui avec anxiété.
Sa chambre, comme toutes celles de cet étage, n'avait d'issue que sur la galerie extérieure, ouverte à tous les regards.
« Je suis perdu ! » fut sa seconde pensée.
En effet, pour un homme dans la situation d'Andrea, l'arrestation signifiait : les assises, le jugement, la mort, la mort sans miséricorde et sans délai.
Un instant il comprima convulsivement sa tête entre ses deux mains.
Pendant cet instant il faillit devenir fou de peur.
Mais bientôt, de ce monde de pensées s'entrechoquant dans sa tête, une pensée d'espérance jaillit : un pâle sourire se dessina sur ses lèvres blêmies et sur ses joues contractées.
Il regarda autour de lui ; les objets qu'il cherchait se trouvaient réunis sur le marbre d'un secrétaire : c'étaient une plume, de l'encre et du papier.
Il trempa la plume dans l'encre et écrivit d'une main à laquelle il commanda d'être ferme les lignes suivantes, sur la première feuille du cahier :
« Je n'ai point d'argent pour payer, mais je ne suis pas un malhonnête homme ; je laisse en nantissement cette épingle qui vaut dix fois la dépense que j'ai faite. On me pardonnera de m'être échappé au point du jour ; j'étais honteux ! »
Il tira son épingle de sa cravate et la posa sur le papier.
Cela fait, au lieu de laisser ses verrous poussés, il les tira, entrebâilla même sa porte, comme s'il fût sorti de sa chambre en oubliant de la refermer, et se glissant dans la cheminée en homme accoutumé à ces sortes de gymnastiques, il attira à lui la devanture de papier représentant Achille chez Deidamie, effaça avec ses pieds même la trace de ses pas dans les cendres, et commença d'escalader le tuyau cambré qui lui offrait la seule voie de salut dans laquelle il espérât encore.
En ce moment même, le premier gendarme qui avait frappé la vue d'Andrea montait l'escalier, précédé du commissaire de police, et soutenu par le second gendarme qui gardait le bas de l'escalier, lequel pouvait attendre lui même du renfort de celui qui stationnait à la porte.
Voici à quelle circonstance Andrea devait cette visite, qu'avec tant de peine il se disposait à recevoir.
Au point du jour, les télégraphes avaient joué dans toutes les directions, et chaque localité, prévenue presque immédiatement, avait réveillé les autorités et lancé la force publique à la recherche du meurtrier de Caderousse.
Compiègne, résidence royale ; Compiègne, ville de chasse ; Compiègne, ville de garnison, est abondamment pourvue d'autorités, de gendarmes et de commissaires de police ; les visites avaient donc commencé aussitôt l'arrivée de l'ordre télégraphique, et l'hôtel de la Cloche et de la Bouteille étant le premier hôtel de la ville, on avait tout naturellement commencé par lui.
D'ailleurs, d'après le rapport des sentinelles qui avaient pendant cette nuit été de garde à l'hôtel de ville l'hôtel de ville est attenant à l'auberge de la Cloche, d'après le rapport des sentinelles, disons-nous, il avait été constaté que plusieurs voyageurs étaient descendus pendant la nuit à l'hôtel.
La sentinelle qu'on avait relevée à six heures du matin se rappelait même, au moment où elle venait d'être placée, c'est-à-dire à quatre heures et quelques rninutes, avoir vu un jeune homme monté sur un cheval blanc ayant un petit paysan en croupe, lequel jeune homme était descendu sur la place, avait congédié paysan et cheval, et était allé frapper à l'hôtel de la Cloche, qui s'était ouvert devant lui et s'était refermé sur lui.
C'était sur ce jeune homme si singulièrement attardé que s'étaient arrêtés les soupçons.
Or, ce jeune homme n'était autre qu'Andrea.
C'était forts de ces données, que le commissaire de police et le gendarme, qui était le brigadier, s'acheminaient vers la porte d'Andrea ; cette porte était entrebaillée.
« Oh ! oh ! dit le brigadier, vieux renard nourri dans les ruses de l'état, mauvais indice qu'une porte ouverte ! je l'aimerais mieux verrouillée à triple verrou ! »
En effet, la petite lettre et l'épingle laissées par Andrea sur la table confirmèrent ou plutôt appuyèrent la triste vérité. Andrea s'était enfui.
Nous disons appuyèrent, parce que le brigadier n'était pas homme à se rendre sur une seule preuve.
Il regarda autour de lui, plongea son oeil sous le lit, dédoubla les rideaux, ouvrit les armoires, et enfin s'arrêta à la cheminée.
Grâce aux précautions d'Andrea, aucune trace de son passage n'était demeurée dans les cendres.
Cependant c'était une issue, et dans les circonstances où l'on se trouvait, toute issue devait être l'objet d'une sérieuse investigation.
Le brigadier se fit donc apporter un fagot et de la paille ; bourra la cheminée comme il eût fait d'un mortier, et y mit le feu.
Le feu fit craquer les parois de brique ; une colonne opaque de fumée s'élança par les conduits et monta vers le ciel comme le sombre jet d'un volcan, mais il ne vit point tomber le prisonnier, comme il s'y attendait.
C'est qu'Andrea, dès sa jeunesse en lutte avec la société, valait bien un gendarme, ce gendarme fût-il élevé au grade respectable de brigadier ; prévoyant donc l'incendie, il avait gagné le toit et se tenait blotti contre le tuyau.
Un instant il eut quelque espoir d'être sauvé, car il entendit le brigadier appelant les deux gendarmes et leur criant tout haut :
« Il n'y est plus. »
Mais en allongeant doucement le cou, il vit que les deux gendarmes, au lieu de se retirer, comme la chose naturelle, sur une première annonce, il vit, disons-nous, qu'au contraire les deux gendarmes redoublaient d'attention.
A son tour il regarda autour de lui : l'hôtel de ville, colossale bâtisse du XVIème siècle, s'élevait comme un rempart sombre, à sa droite, et par les ouvertures du monument, on pouvait plonger dans tous les coins et recoins du toit, comme du haut d'une montagne on plonge dans la vallée.
Andrea comprit qu'il allait incessamment voir paraître la tête du brigadier de gendarmerie à quelqu'une de ces ouvertures.
Découvert, il était perdu ; une chasse sur les toits ne lui présentait aucune chance de succès.
Il résolut donc de redescendre, non point par le même chemin qu'il était venu, mais par un chemin analogue.
Il chercha des yeux celle des cheminées de laquelle il ne voyait sortir aucune fumée, l'atteignit en rampant sur le toit, et disparut par son orifice sans avoir été vu de personne.
Au même instant, une petite fenêtre de l'hôtel de ville s'ouvrait et donnait passage à la tête du brigadier de gendarmerie.
Un instant cette tête demeura immobile comme un de ces reliefs de pierre qui décorent le bâtiment ; puis avec un long soupir de désappointement la tête disparut.
Le brigadier, calme et digne comme la loi dont il était le représentant, passa sans répondre à ces mille questions de la foule amassée sur la place, et rentra dans l'hôtel.
« Eh bien ? demandèrent à leur tour les deux gendarmes.
- Eh bien, mes fils, répondit le brigadier, il faut que le brigand se soit véritablement distancé de nous ce matin à la bonne heure ; mais nous allons envoyer sur la route de Villers-Cotterêts et de Noyon et fouiller la forêt, où nous le rattraperons indubitablement. »
L'honorable fonctionnaire venait à peine, avec l'intonation qui est particulière aux brigadiers de gendarmerie, de donner le jour à cet adverbe sonore, lorsqu'un long cri d'effroi, accompagné du tintement redoublé d'une sonnette, retentit dans la cour de l'hôtel.
« Oh ! oh ! qu'est-ce que cela ? s'écria le brigadier.
- Voilà un voyageur qui semble bien pressé, dit l'hôte. A quel numéro sonne-t-on ?
- Au numéro 3.
- Courez-y, garçon ! »
En ce moment, les cris et le bruit de la sonnette redoublèrent.
Le garçon prit sa course.
« Non pas, dit le brigadier en arrêtant le domestique ; celui qui sonne m'a l'air de demander autre chose que le garçon, et nous allons lui servir un gendarme. Qui loge au numéro 3 ?
- Le petit jeune homme arrivé avec sa soeur cette nuit en chaise de poste, et qui a demandé une chambre à deux lits »
La sonnette retentit une troisième fois avec une intonation pleine d'angoisse.
« A moi ! monsieur le commissaire ! cria le brigadier, suivez-moi et emboîtez le pas.
- Un instant, dit l'hôte, à la chambre numéro 3, il y a deux escaliers : un extérieur, un intérieur.
- Bon ! dit le brigadier, je prendrai l'intérieur, c'est mon département. Les carabines sont-elles chargées ?
- Oui, brigadier.
- Eh bien, veillez à l'extérieur, vous autres, et s'il veut fuir, feu dessus ; c'est un grand criminel, à ce que dit le télégraphe. »
Le brigadier, suivi du commissaire, disparut aussitôt dans l'escalier intérieur, accompagné de la rumeur que ses révélations sur Andrea venaient de faire naître dans la foule.
Voilà ce qui était arrivé :
Andrea était fort adroitement descendu jusqu'aux deux tiers de la cheminée, mais, arrivé là, le pied lui avait manqué, et, malgré l'appui de ses mains, il était descendu avec plus de vitesse et surtout plus de bruit qu'il n'aurait voulu. Ce n'eût été rien si la chambre eût été solitaire ; mais par malheur elle était habitée.
Deux femmes dormaient dans un lit, ce bruit les avait réveillées.
Leurs regards s'étaient fixés vers le point d'où venait le bruit, et par l'ouverture de la cheminée elles avaient vu paraître un homme.
C'était l'une de ces deux femmes, la femme blonde, qui avait poussé ce terrible cri dont toute la maison avait retenti, tandis que l'autre qui était brune, s'élançant au cordon de la sonnette, avait donné l'alarme, en l'agitant de toutes ses forces.
Andrea jouait, comme on le voit, de malheur.
« Par pitié ! cria-t-il, pâle, égaré, sans voir les personnes auxquelles il s'adressait, par pitié ! n'appelez pas, sauvez-moi ! je ne veux pas vous faire de mal.
- Andrea l'assassin ! cria l'une des deux jeunes femmes.
- Eugénie ! mademoiselle Danglars ! murmura Cavalcanti, passant de l'effroi à la stupeur.
- Au secours ! au secours ! cria Mlle d'Armilly, reprenant la sonnette aux mains inertes d'Eugénie, et sonnant avec plus de force encore que sa compagne.
- Sauvez-moi, on me poursuit ! dit Andrea en joignant les mains ; par pitié, par grâce, ne me livrez pas !
- II est trop tard, on monte, répondit Eugénie.
- Eh bien, cachez-moi quelque part, vous direz que vous avez eu peur sans motif d'avoir peur ; vous détournerez les soupçons, et vous m'aurez sauvé la vie »
Les deux femmes, serrées l'une contre l'autre, s'enveloppant dans leurs couvertures, restèrent muettes à cette voix suppliante ; toutes les appréhensions, toutes les répugnances se heurtaient dans leur esprit.
« Eh bien, soit ! dit Eugénie, reprenez le chemin par lequel vous êtes venu, malheureux ; partez, et nous ne dirons rien.
- Le voici ! le voici ! cria une voix sur le palier, le voici, je le vois ! »
En effet, le brigadier avait collé son oeil à la serrure, et avait aperçu Andrea debout et suppliant.
Un violent coup de crosse fit sauter la serrure, deux autres firent sauter les verrous ; la porte brisée tomba en dedans.
Andrea courut à l'autre porte, donnant sur la galerie de la cour, et l'ouvrit, prêt à se précipiter.
Les deux gendarmes étaient là avec leurs carabines et le couchèrent en joue.
Andrea s'était arrêté court ; debout, pâle, le corps un peu renversé en arrière, il tenait son couteau inutile dans sa main crispée.
« Fuyez donc ! cria Mlle d'Armilly, dans le coeur de laquelle rentrait la pitié à mesure que l'effroi en sortait ; fuyez donc !
- Ou tuez-vous ! » dit Eugénie du ton et avec la pose d'une de ces vestales qui, dans le cirque, ordonnaient avec le pouce, au gladiateur victorieux, d'achever son adversaire terrassé.
Andrea frémit et regarda la jeune fille avec un sourire de mépris qui prouva que sa corruption ne comprenait point cette sublime férocité de l'honneur.
« Me tuer ! dit-il en jetant son couteau, pour quoi faire ?
- Mais, vous l'avez dit ! s'écria Mlle Danglars, on vous condamnera à mort, on vous exécutera comme le dernier des criminels !
- Bah ! répliqua Cavalcanti en se croisant les bras, on a des amis. »
Le brigadier s'avança vers lui le sabre au poing.
« Allons, allons, dit Cavalcanti, rengainez, mon brave homme, ce n'est point la peine de faire tant d'esbroufe, puisque je me rends. »
Et il tendit ses mains aux menottes.
Les deux jeunes filles regardaient avec terreur cette hideuse métamorphose qui s'opérait sous leurs yeux, l'homme du monde dépouillant son enveloppe et redevenant l'homme du bagne.
Andrea se retourna vers elles, et avec le sourire de l'impudence :
« Avez-vous quelque commission pour monsieur votre père, mademoiselle Eugénie ? dit-il car, selon toute probabilité, je retourne à Paris. »
Eugénie cacha sa tête dans ses deux mains.
« Oh ! oh ! dit Andrea, il n'y a pas de quoi être honteuse, et je ne vous en veux pas d'avoir pris la poste pour courir après moi... N'étais-je pas presque votre mari ? »
Et sur cette raillerie Andrea sortit, laissant les deux fugitives en proie aux souffrances de la honte et aux commentaires de l'assemblée.
Une heure après, vêtues toutes deux de leurs habits de femmes, elles montaient dans leur calèche de voyage.
On avait fermé la porte de l'hôtel pour les soustraire aux premiers regards ; mais il n'en fallut pas moins, quand cette porte fut ouverte, passer au milieu d'une double haie de curieux, aux yeux flamboyants, aux lèvres murmurantes.
Eugénie baissa les stores ; mais si elle ne voyait plus, elle entendait encore, et le bruit des ricanements arrivait jusqu'à elle.
« Oh ! pourquoi le monde n'est-il pas un désert ? » s'écria-t-elle en se jetant dans les bras de Mlle d'Armilly, les yeux étincelants de cette rage qui faisait désirer à Néron que le monde romain n'eût qu'une seule tête, afin de la trancher d'un seul coup.
Le lendemain, elles descendaient à l'hôtel de Flandre, à Bruxelles.
Depuis la veille, Andrea était écroué à la Conciergerie.
On a vu avec quelle tranquillité Mlle Danglars et Mlle d'Armilly avaient pu accomplir leur transformation et opérer leur fuite : c'est que chacun était trop occupé de ses propres affaires pour s'occuper des leurs.
Nous suivrons la baronne, qui, après être restée un instant écrasée sous la violence du coup qui venait de la frapper, était allée trouver son conseiller ordinaire, Lucien Debray.
C'est qu'en effet la baronne comptait sur ce mariage pour abandonner enfin une tutelle qui, avec une fille du caractère d'Eugénie, ne laissait pas que d'être fort gênante ; c'est que dans ces espèces de contrats tacites qui maintiennent le lien hiérarchique de la famille, la mère n'est réellement maîtresse de sa fille qu'à condition d'être continuellement pour elle un exemple de sagesse et un type de perfection. Or, Mme Danglars redoutait la perspicacité d'Eugénie et les conseils de Mlle d'Armilly, elle avait surpris certains regards dédaigneux lancés par sa fille à Debray, regards qui semblaient signifier que sa fille connaissait tout le mystère de ses relations amoureuses et pécuniaires avec le secrétaire intime, tandis qu'une interprétation plus sagace et plus approfondie eût, au contraire, démontré à la baronne qu'Eugénie détestait Debray, non point parce qu'il était dans la maison paternelle une pierre d'achoppement et de scandale, mais parce qu'elle le rangeait tout bonnement dans la catégorie de ces bipèdes que Diogène essayait de ne plus appeler des hommes, et que Platon désignait par la périphrase d'animaux à deux pieds et sans plumes.
Mme Danglars, à son point de vue, et malheureusement dans ce monde chacun a son point de vue à soi qui l'empêche de voir le point de vue des autres, Mme Danglars, à son point de vue, disons-nous, regrettait donc infiniment que le mariage d'Eugénie fût manqué, non point parce que ce mariage était convenable, bien assorti et devait faire le bonheur de sa fille, mais parce que ce mariage lui rendait sa liberté.
Elle courut donc, comme nous l'avons dit, chez Debray, qui après avoir, comme tout Paris, assisté à la soirée du contrat et au scandale qui en avait été la suite, s'était empressé de se retirer à son club, où, avec quelques amis, il causait de l'événement qui faisait à cette heure la conversation des trois quarts de cette ville éminemment cancanière qu'on appelle la capitale du monde.
Au moment où Mme Danglars, vêtue d'une robe noire et cachée sous un voile, montait l'escalier qui conduisait à l'appartement de Debray, malgré la certitude que lui avait donnée le concierge que le jeune homme n'était point chez lui, Debray s'occupait à repousser les insinuations d'un ami qui essayait de lui prouver qu'après l'éclat terrible qui venait d'avoir lieu, il était de son devoir d'ami de la maison d'épouser Mlle Eugénie Danglars et ses deux millions.
Debray se défendait en homme qui ne demande pas mieux que d'être vaincu ; car souvent cette idée s'était présentée d'elle-même à son esprit ; puis, comme il connaissait Eugénie, son caractère indépendant et altier, il reprenait de temps en temps une attitude complètement défensive, disant que cette union était impossible, en se laissant toutefois sourdement chatouiller par l'idée mauvaise qui, au dire de tous les moralistes, préoccupe incessamment l'homme le plus probe, et le plus pur, veillant au fond de son âme comme Satan veille derrière la croix. Le thé, le jeu, la conversation, intéressante, comme on le voit, puisqu'on y discutait de si graves intérêts, durèrent jusqu'à une heure du matin.
Pendant ce temps, Mme Danglars, introduite par le valet de chambre de Lucien, attendait, voilée et palpitante, dans le petit salon vert entre deux corbeilles de fleurs qu'elle-même avait envoyées le matin, et que Debray, il faut le dire, avait lui-même rangées, étagées, émondées avec un soin qui fit pardonner son absence à la pauvre femme.
A onze heures quarante minutes, Mme Danglars, lassée d'attendre inutilement, remonta en fiacre et se fit reconduire chez elle.
Les femmes d'un certain monde ont cela de commun avec les grisettes en bonne fortune, qu'elles ne rentrent pas d'ordinaire passé minuit. La baronne rentra dans l'hôtel avec autant de précaution qu'Eugénie venait d'en prendre pour sortir ; elle monta légèrement, et le coeur serré, l'escalier de son appartement, contigu, comme on sait, à celui d'Eugénie.
Elle redoutait si fort de provoquer quelque commentaire ; elle croyait si fermement, pauvre femme respectable en ce point du moins, à l'innocence de sa fille et à sa fidélité pour le foyer paternel !
Rentrée chez elle, elle écouta à la porte d'Eugénie, puis, n'entendant aucun bruit, elle essaya d'entrer ; mais les verrous étaient mis.
Mme Danglars crut qu'Eugénie, fatiguée des terribles émotions de la soirée, s'était mise au lit et qu'elle dormait.
Elle appela la femme de chambre et l'interrogea.
« Mlle Eugénie, répondit la femme de chambre, est rentrée dans son appartement avec Mlle d'Armilly ; puis elles ont pris le thé ensemble ; après quoi elles m'ont congédiée, en me disant qu'elles n'avaient plus besoin de moi. »
Depuis ce moment, la femme de chambre était à l'office, et, comme tout le monde, elle croyait les deux jeunes personnes dans l'appartement.
Mme Danglars se coucha donc sans l'ombre d'un soupçon ; mais, tranquille sur les individus, son esprit se reporta sur l'événement.
A mesure que ses idées s'éclaircissaient en sa tête, les proportions de la scène du contrat grandissaient : ce n'était plus un scandale, c'était un vacarme ; ce n'était plus une honte, c'était une ignominie.
Malgré elle alors, la baronne se rappela qu'elle avait été sans pitié pour la pauvre Mercédès, frappée naguère, dans son époux et dans son fils, d'un malheur aussi grand.
« Eugénie, se dit-elle, est perdue, et nous aussi. L'affaire, telle qu'elle va être présentée, nous couvre d'opprobre ; car dans une société comme la nôtre, certains ridicules sont des plaies vives, saignantes, incurables.
« Quel bonheur, murmura-t-elle, que Dieu ait fait à Eugénie ce caractère étrange qui m'a si souvent fait trembler ! »
Et son regard reconnaissant se leva vers le ciel, dont la mystérieuse Providence dispose tout à l'avance selon les événements qui doivent arriver, et d'un défaut, d'un vice même, fait quelquefois un bonheur.
Puis, sa pensée franchit l'espace, comme fait, en étendant ses ailes, d'un abîme, et s'arrêta sur Cavalcanti.
« Cet Andrea était un misérable, un voleur, un assassin ; et cependant cet Andrea possédait des façons qui indiquaient une demi-éducation, sinon une éducation complète ; cet Andrea s'était présenté dans le monde avec l'apparence d'une grande fortune, avec l'appui de noms honorables. »
Comment voir clair dans ce dédale ? A qui s'adresser pour sortir de cette position cruelle ?
Debray, à qui elle avait couru avec le premier élan de la femme qui cherche un secours dans l'homme qu'elle aime et qui parfois la perd, Debray ne pouvait que lui donner un conseil ; c'était à quelque autre plus puissant que lui qu'elle devait s'adresser.
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THE DEPARTURE FOR BELGIUM
The pretext of an opera engagement was so much the more feasible, as there chanced to be on that very night a more than ordinary attraction at the Académie Royale. Levasseur, who had been suffering under severe illness, made his reappearance in the character of Bertrand, and, as usual, the announcement of the most admired production of the favorite composer of the day had attracted a brilliant and fashionable audience. Morcerf, like most other young men of rank and fortune, had his orchestra stall, with the certainty of always finding a seat in at least a dozen of the principal boxes occupied by persons of his acquaintance; he had, moreover, his right of entry into the omnibus box. Château–Renaud rented a stall beside his own, while Beauchamp, as a journalist, had unlimited range all over the theatre. It happened that on this particular night the minister’s box was placed at the disposal of Lucien Debray, who offered it to the Comte de Morcerf, who again, upon his mother’s rejection of it, sent it to Baron Danglars, with an intimation that he should probably do himself the honor of joining the baroness and her daughter during the evening, in the event of their accepting the box in question. The ladies received the offer with too much pleasure to dream of a refusal. To no class of persons is the presentation of a gratuitous opera–box more acceptable than to the wealthy millionaire, who still hugs economy while boasting of carrying a king’s ransom in his waistcoat pocket.
Danglars had, however, protested against showing himself in a ministerial box, declaring that his political principles, and his parliamentary position as member of the opposition party would not permit him so to commit himself; the baroness had, therefore, despatched a note to Lucien Debray, bidding him call for them, it being wholly impossible for her to go alone with Eugénie to the opera. There is no gainsaying the fact that a very unfavorable construction would have been put upon the circumstance if the two women had gone without escort, while the addition of a third, in the person of her mother’s admitted lover, enabled Mademoiselle Danglars to defy malice and ill–nature. One must take the world as one finds it.
The curtain rose, as usual, to an almost empty house, it being one of the absurdities of Parisian fashion never to appear at the opera until after the beginning of the performance, so that the first act is generally played without the slightest attention being paid to it, that part of the audience already assembled being too much occupied in observing the fresh arrivals, while nothing is heard but the noise of opening and shutting doors, and the buzz of conversation.
Leisurely turning round, they calmly scrutinized the various countenances around them, as though demanding some one person who would take upon himself the responsibility of what they deemed excessive impertinence; but as no one responded to the challenge, the friends turned again to the front of the theatre, and affected to busy themselves with the stage. At this moment the door of the minister’s box opened, and Madame Danglars, accompanied by her daughter, entered, escorted by Lucien Debray, who assiduously conducted them to their seats.
“Ha, ha,” said Château–Renaud, “here comes some friends of yours, viscount! What are you looking at there? don’t you see they are trying to catch your eye?” Albert turned round, just in time to receive a gracious wave of the fan from the baroness; as for Mademoiselle Eugénie, she scarcely vouchsafed to waste the glances of her large black eyes even upon the business of the stage. “I tell you what, my dear fellow,” said Château–Renaud, “I cannot imagine what objection you can possibly have to Mademoiselle Danglars—that is, setting aside her want of ancestry and somewhat inferior rank, which by the way I don’t think you care very much about. Now, barring all that, I mean to say she is a deuced fine girl!”
“Handsome, certainly,” replied Albert, “but not to my taste, which I confess, inclines to something softer, gentler, and more feminine.”
“Ah, well,” exclaimed Château–Renaud, who because he had seen his thirtieth summer fancied himself duly warranted in assuming a sort of paternal air with his more youthful friend, “you young people are never satisfied; why, what would you have more? your parents have chosen you a bride built on the model of Diana, the huntress, and yet you are not content.”
“No, for that very resemblance affrights me; I should have liked something more in the manner of the Venus of Milo or Capua; but this chase–loving Diana continually surrounded by her nymphs gives me a sort of alarm lest she should some day bring on me the fate of Actaeon.”
And, indeed, it required but one glance at Mademoiselle Danglars to comprehend the justness of Albert de Morcerf’s remark—she was beautiful, but her beauty was of too marked and decided a character to please a fastidious taste; her hair was raven black, but its natural waves seemed somewhat rebellious; her eyes, of the same colour as her hair, were surmounted by well–arched brows, whose great defect, however, consisted in an almost habitual frown, while her whole physiognomy wore that expression of firmness and decision so little in accordance with the gentler attributes of her sex—her nose was precisely what a sculptor would have chosen for a chiselled Juno. Her mouth, which might have been found fault with as too large, displayed teeth of pearly whiteness, rendered still more conspicuous by the brilliant carmine of her lips, contrasting vividly with her naturally pale complexion. But that which completed the almost masculine look Morcerf found so little to his taste, was a dark mole, of much larger dimensions than these freaks of nature generally are, placed just at the corner of her mouth; and the effect tended to increase the expression of self–dependence that characterized her countenance. The rest of Mademoiselle Eugénie’s person was in perfect keeping with the head just described; she, indeed, reminded one of Diana or Artemis, as Château–Renaud observed, but her bearing was more haughty and resolute. As regarded her attainments, the only fault to be found with them was the same that a fastidious connoisseur might have found with her beauty, that they were somewhat too erudite and masculine for so young a person. She was a perfect linguist, a first–rate artist, wrote poetry, and composed music; to the study of the latter she professed to be entirely devoted, following it with an indefatigable perseverance, assisted by a schoolfellow,—a young woman without fortune whose talent promised to develop into remarkable powers as a singer. It was rumored that she was an object of almost paternal interest to one of the principal composers of the day, who excited her to spare no pains in the cultivation of her voice, which might hereafter prove a source of wealth and independence. But this counsel effectually decided Mademoiselle Danglars never to commit herself by being seen in public with one destined for a theatrical life; and acting upon this principle, the banker baron’s daughter, though perfectly willing to allow Mademoiselle Louise d’Armilly (that was the name of the young virtuosa) to practice with her through the day, took especial care not to be seen in her company. Still, though not actually received at the Hôtel Danglars in the light of an acknowledged friend, Louise was treated with far more kindness and consideration than is usually bestowed on a governess.
The Count of Monte Cristo entered the adjoining room, which Baptistin had designated as the drawing–room, and found there a young man, of graceful demeanor and elegant appearance, who had arrived in a cab about half an hour previously. Baptistin had not found any difficulty in recognizing the person who presented himself at the door for admittance. He was certainly the tall young man with light hair, red moustache, black eyes, and brilliant complexion, whom his master had so particularly described to him. When the count entered the room the young man was carelessly stretched on a sofa, tapping his boot with the gold–headed cane which he held in his hand. On perceiving the count he rose quickly. “The Count of Monte Cristo, I believe?” said he.
We saw in a preceding chapter how Madame Danglars went formally to announce to Madame de Villefort the approaching marriage of Eugénie Danglars and M. Andrea Cavalcanti. This announcement, which implied or appeared to imply, the approval of all the persons concerned in this momentous affair, had been preceded by a scene to which our readers must be admitted. We beg them to take one step backward, and to transport themselves, the morning of that day of great catastrophes, into the showy, gilded salon we have before shown them, and which was the pride of its owner, Baron Danglars. In this room, at about ten o’clock in the morning, the banker himself had been walking to and fro for some minutes thoughtfully and in evident uneasiness, watching both doors, and listening to every sound. When his patience was exhausted, he called his valet. “Étienne,” said he, “see why Mademoiselle Eugénie has asked me to meet her in the drawing–room, and why she makes me wait so long.”
Having given this vent to his ill–humour, the baron became more calm; Mademoiselle Danglars had that morning requested an interview with her father, and had fixed on the gilded drawing–room as the spot. The singularity of this step, and above all its formality, had not a little surprised the banker, who had immediately obeyed his daughter by repairing first to the drawing–room. Étienne soon returned from his errand. “Mademoiselle’s lady’s maid says, sir, that mademoiselle is finishing her toilette, and will be here shortly.”
Danglars nodded, to signify that he was satisfied. To the world and to his servants Danglars assumed the character of the good–natured man and the indulgent father. This was one of his parts in the popular comedy he was performing,—a make–up he had adopted and which suited him about as well as the masks worn on the classic stage by paternal actors, who seen from one side, were the image of geniality, and from the other showed lips drawn down in chronic ill–temper. Let us hasten to say that in private the genial side descended to the level of the other, so that generally the indulgent man disappeared to give place to the brutal husband and domineering father. “Why the devil does that foolish girl, who pretends to wish to speak to me, not come into my study? and why on earth does she want to speak to me at all?”
He was turning this thought over in his brain for the twentieth time, when the door opened and Eugénie appeared, attired in a figured black satin dress, her hair dressed and gloves on, as if she were going to the Italian Opera. “Well, Eugénie, what is it you want with me? and why in this solemn drawing–room when the study is so comfortable?”
“I quite understand why you ask, sir,” said Eugénie, making a sign that her father might be seated, “and in fact your two questions suggest fully the theme of our conversation. I will answer them both, and contrary to the usual method, the last first, because it is the least difficult. I have chosen the drawing–room, sir, as our place of meeting, in order to avoid the disagreeable impressions and influences of a banker’s study. Those gilded cashbooks, drawers locked like gates of fortresses, heaps of bank–bills, come from I know not where, and the quantities of letters from England, Holland, Spain... have generally a strange influence on a father’s mind, and make him forget that there is in the world an interest greater and more sacred than the good opinion of his correspondents. I have, therefore, chosen this drawing–room, where you see, smiling and happy in their magnificent frames, your portrait, mine, my mother’s, and all sorts of rural landscapes and touching pastorals. I rely much on external impressions; perhaps, with regard to you, they are immaterial, but I should be no artist if I had not some fancies.” “Very well,” replied M. Danglars, who had listened to all this preamble with imperturbable coolness, but without understanding a word, since like every man burdened with thoughts of the past, he was occupied with seeking the thread of his own ideas in those of the speaker.
“There is, then, the second point cleared up, or nearly so,” said Eugénie, without the least confusion, and with that masculine pointedness which distinguished her gesture and her language; “and you appear satisfied with the explanation. Now, let us return to the first. You ask me why I have requested this interview; I will tell you in two words, sir; I will not marry Count Andrea Cavalcanti.”
Danglars leaped from his chair and raised his eyes and arms towards heaven.
“Yes, indeed, sir,” continued Eugénie, still quite calm; “you are astonished, I see; for since this little affair began, I have not manifested the slightest opposition, and yet I am always sure, when the opportunity arrives, to oppose a determined and absolute will to people who have not consulted me, and things which displease me. However, this time, my tranquillity, or passiveness as philosophers say, proceeded from another source; it proceeded from a wish, like a submissive and devoted daughter” (a slight smile was observable on the purple lips of the young girl), “to practice obedience.”
“Well?” asked Danglars.
“Well, sir,” replied Eugénie, “I have tried to the very last and now that the moment has come, I feel in spite of all my efforts that it is impossible.”
“But,” said M. Danglars, whose weak mind was at first quite overwhelmed with the weight of this pitiless logic, marking evident premeditation and force of will, “what is your reason for this refusal, Eugénie? what reason do you assign?”
“My reason?” replied the young girl. “Well, it is not that the man is more ugly, more foolish, or more disagreeable than any other; no, M. Andrea Cavalcanti may appear to those who look at men’s faces and figures as a very good specimen of his kind. It is not, either, that my heart is less touched by him than any other; that would be a schoolgirl’s reason, which I consider quite beneath me. I actually love no one, sir; you know it, do you not? I do not then see why, without real necessity, I should encumber my life with a perpetual companion. Has not some sage said, ‘Nothing too much’? and another, ‘I carry all my effects with me’? I have been taught these two aphorisms in Latin and in Greek; one is, I believe, from Phaedrus, and the other from Bias. Well, my dear father, in the shipwreck of life—for life is an eternal shipwreck of our hopes—I cast into the sea my useless encumbrance, that is all, and I remain with my own will, disposed to live perfectly alone, and consequently perfectly free.”
“Unhappy girl, unhappy girl!” murmured Danglars, turning pale, for he knew from long experience the solidity of the obstacle he had so suddenly encountered.
“Unhappy girl,” replied Eugénie, “unhappy girl, do you say, sir? No, indeed; the exclamation appears quite theatrical and affected. Happy, on the contrary, for what am I in want of! The world calls me beautiful. It is something to be well received. I like a favourable reception; it expands the countenance, and those around me do not then appear so ugly. I possess a share of wit, and a certain relative sensibility, which enables me to draw from life in general, for the support of mine, all I meet with that is good, like the monkey who cracks the nut to get at its contents. I am rich, for you have one of the first fortunes in France. I am your only daughter, and you are not so exacting as the fathers of the Porte Saint–Martin and Gaieté, who disinherit their daughters for not giving them grandchildren. Besides, the provident law has deprived you of the power to disinherit me, at least entirely, as it has also of the power to compel me to marry Monsieur This or Monsieur That. And so—being, beautiful, witty, somewhat talented, as the comic operas say, and rich—and that is happiness, sir—why do you call me unhappy?”
Danglars, seeing his daughter smiling, and proud even to insolence, could not entirely repress his brutal feelings, but they betrayed themselves only by an exclamation. Under the fixed and inquiring gaze levelled at him from under those beautiful black eyebrows, he prudently turned away, and calmed himself immediately, daunted by the power of a resolute mind. “Truly, my daughter,” replied he with a smile, “you are all you boast of being, excepting one thing; I will not too hastily tell you which, but would rather leave you to guess it.” Eugénie looked at Danglars, much surprised that one flower of her crown of pride, with which she had so superbly decked herself, should be disputed. “My daughter,” continued the banker baron, “you have perfectly explained to me the sentiments which influence a girl like you, who is determined she will not marry; now it remains for me to tell you the motives of a father like me, who has decided that his daughter shall marry.” Eugénie bowed, not as a submissive daughter, but as an adversary prepared for a discussion.
“My daughter,” continued Danglars, “when a father asks his daughter to choose a husband, he has always some reason for wishing her to marry. Some are affected with the mania of which you spoke just now, that of living again in their grandchildren. This is not my weakness, I tell you at once; family joys have no charm for me. I may acknowledge this to a daughter whom I know to be philosophical enough to understand my indifference, and not to impute it to me as a crime.”
“This is not to the purpose,” said Eugénie; “let us speak candidly, sir; I admire candor.”
“Oh,” said Danglars, “I can, when circumstances render it desirable, adopt your system, although it may not be my general practice. I will therefore proceed. I have proposed to you to marry, not for your sake, for indeed I did not think of you in the least at the moment (you admire candor, and will now be satisfied, I hope); but because it suited me to marry you as soon as possible, on account of certain commercial speculations I am desirous of entering into.” Eugénie became uneasy.
“It is just as I tell you, I assure you, and you must not be angry with me, for you have sought this disclosure. I do not willingly enter into arithmetical explanations with an artist like you, who fears to enter my study lest she should imbibe disagreeable or anti–poetic impressions and sensations. But in that same banker’s study, where you very willingly presented yourself yesterday to ask for the thousand francs I give you monthly for pocket–money, you must know, my dear young lady, that many things may be learned, useful even to a girl who will not marry. There one may learn, for instance, what, out of regard to your nervous susceptibility, I will inform you of in the drawing–room, namely, that the credit of a banker is his physical and moral life; that credit sustains him as breath animates the body; and M. de Monte Cristo once gave me a lecture on that subject, which I have never forgotten. There we may learn that as credit sinks, the body becomes a corpse, and this is what must happen very soon to the banker who is proud to own so good a logician as you for his daughter.” But Eugénie, instead of stooping, drew herself up under the blow. “Ruined?” said she.
“Exactly, my daughter; that is precisely what I mean,” said Danglars, almost digging his nails into his breast, while he preserved on his harsh features the smile of the heartless though clever man; “ruined—yes, that is it.”
“Ah!” said Eugénie.
“Yes, ruined! Now it is revealed, this secret so full of horror, as the tragic poet says. Now, my daughter, learn from my lips how you may alleviate this misfortune, so far as it will affect you.”
“Oh,” cried Eugénie, “you are a bad physiognomist, if you imagine I deplore on my own account the catastrophe of which you warn me. I ruined? and what will that signify to me? Have I not my talent left? Can I not, like the divas Malibran or Grisi, acquire for myself what you would never have given me, whatever might have been your fortune, a hundred or a hundred and fifty thousand livres per annum, for which I shall be indebted to no one but myself; and which, instead of being given as you gave me those poor twelve thousand francs, with sour looks and reproaches for my prodigality, will be accompanied with acclamations, with bravos, and with flowers? And if I do not possess that talent, which your smiles prove to me you doubt, should I not still have that ardent love of independence, which will be a substitute for wealth, and which in my mind supersedes even the instinct of self–preservation? No, I grieve not on my own account, I shall always find a resource; my books, my pencils, my piano, all the things which cost but little, and which I shall be able to procure, will remain my own.
“Do you think that I sorrow for Madame Danglars? Undeceive yourself again; either I am greatly mistaken, or she has provided against the catastrophe which threatens you, and, which will pass over without affecting her. She has taken care for herself,—at least I hope so,—for her attention has not been diverted from her projects by watching over me. She has fostered my independence by professedly indulging my love for liberty. Oh, no, sir; from my childhood I have seen too much, and understood too much, of what has passed around me, for misfortune to have an undue power over me. From my earliest recollections, I have been beloved by no one—so much the worse; that has naturally led me to love no one—so much the better—now you have my profession of faith.”
“Then,” said Danglars, pale with anger, which was not at all due to offended paternal love,—”then, mademoiselle, you persist in your determination to accelerate my ruin?”
“Your ruin? I accelerate your ruin? What do you mean? I do not understand you.”
“So much the better, I have a ray of hope left; listen.”
“I am all attention,” said Eugénie, looking so earnestly at her father that it was an effort for the latter to endure her unrelenting gaze.
“M. Cavalcanti,” continued Danglars, “is about to marry you, and will place in my hands his fortune, amounting to three million livres.”
“That is admirable!” said Eugénie with sovereign contempt, smoothing her gloves out one upon the other.
“You think I shall deprive you of those three millions,” said Danglars; “but do not fear it. They are destined to produce at least ten. I and a brother banker have obtained a grant of a railway, the only industrial enterprise which in these days promises to make good the fabulous prospects that Law once held out to the eternally deluded Parisians, in the fantastic Mississippi scheme. As I look at it, a millionth part of a railway is worth fully as much as an acre of waste land on the banks of the Ohio. We make in our case a deposit, on a mortgage, which is an advance, as you see, since we gain at least ten, fifteen, twenty, or a hundred livres’ worth of iron in exchange for our money. Well, within a week I am to deposit four millions for my share; the four millions, I promise you, will produce ten or twelve.”
“But during my visit to you the day before yesterday, sir, which you appear to recollect so well,” replied Eugénie, “I saw you arranging a deposit—is not that the term?—of five millions and a half; you even pointed it out to me in two drafts on the treasury, and you were astonished that so valuable a paper did not dazzle my eyes like lightning.”
“Yes, but those five millions and a half are not mine, and are only a proof of the great confidence placed in me; my title of popular banker has gained me the confidence of charitable institutions, and the five millions and a half belong to them; at any other time I should not have hesitated to make use of them, but the great losses I have recently sustained are well known, and, as I told you, my credit is rather shaken. That deposit may be at any moment withdrawn, and if I had employed it for another purpose, I should bring on me a disgraceful bankruptcy. I do not despise bankruptcies, believe me, but they must be those which enrich, not those which ruin. Now, if you marry M. Cavalcanti, and I get the three millions, or even if it is thought I am going to get them, my credit will be restored, and my fortune, which for the last month or two has been swallowed up in gulfs which have been opened in my path by an inconceivable fatality, will revive. Do you understand me?”
“Perfectly; you pledge me for three millions, do you not?”
“The greater the amount, the more flattering it is to you; it gives you an idea of your value.”
“Thank you. One word more, sir; do you promise me to make what use you can of the report of the fortune M. Cavalcanti will bring without touching the money? This is no act of selfishness, but of delicacy. I am willing to help rebuild your fortune, but I will not be an accomplice in the ruin of others.”
“But since I tell you,” cried Danglars, “that with these three million”—
“Do you expect to recover your position, sir, without touching those three million?”
“I hope so, if the marriage should take place and confirm my credit.”
“Shall you be able to pay M. Cavalcanti the five hundred thousand francs you promise for my dowry?”
“He shall receive them on returning from the mayor’s (the performance of the civil marriage).” “Very well!”
“What next? what more do you want?”
“I wish to know if, in demanding my signature, you leave me entirely free in my person?”
“Absolutely.”
“Then, as I said before, sir,—very well; I am ready to marry M. Cavalcanti.”
“But what are you up to?”
“Ah, that is my affair. What advantage should I have over you, if knowing your secret I were to tell you mine?” M. Danglars bit his lips. “Then,” said he, “you are ready to pay the official visits, which are absolutely indispensable?”
“Yes,” replied Eugénie.
“And to sign the contract in three days?”
“Yes.”
“Then, in my turn, I also say, very well!” Danglars pressed his daughter’s hand in his. But, extraordinary to relate, the father did not say, “Thank you, my child,” nor did the daughter smile at her father. “Is the conference ended?” asked Eugénie rising. Danglars motioned that he had nothing more to say. Five minutes afterwards the piano resounded to the touch of Mademoiselle d’Armilly’s fingers, and Mademoiselle Danglars was singing Brabantio’s malediction on Desdemona. At the end of the piece Étienne entered, and announced to Eugénie that the horses were in the carriage, and that the baroness was waiting for her to pay her visits. We have seen them at Villefort’s; they proceeded then on their course.
Three days after the scene we have just described, namely towards five o’clock in the afternoon of the day fixed for the signature of the contract between Mademoiselle Eugénie Danglars and Count Andrea Cavalcanti,—whom the banker persisted in calling prince,—a fresh breeze was stirring the leaves in the little garden in front of the Count of Monte Cristo’s house, and the count was preparing to go out. While his horses were impatiently pawing the ground,—held in by the coachman, who had been seated a quarter of an hour on his box,—the elegant phaeton with which we are familiar rapidly turned the angle of the entrance–gate, and cast out on the doorsteps M. Andrea Cavalcanti, as decked up and gay as if he were going to marry a princess. He inquired after the count with his usual familiarity, and ascending lightly to the second story met him at the top of the stairs. The count stopped on seeing the young man. As for Andrea, he was launched, and when he was once launched nothing stopped him. “Ah, good morning, my dear count,” said he. “Ah, M. Andrea,” said the latter, with his half–jesting tone; “how do you do.”
“Charmingly, as you see. I am come to talk to you about a thousand things; but, first tell me, were you going out or just returned?”
“I was going out, sir.”
“Then, in order not to hinder you, I will get up with you if you please in your carriage, and Tom shall follow with my phaeton in tow.”
“No,” said the count, with an imperceptible smile of contempt, for he had no wish to be seen in the young man’s society,—”no; I prefer listening to you here, my dear M. Andrea; we can chat better in–doors, and there is no coachman to overhear our conversation.” The count returned to a small drawing–room on the first floor, sat down, and crossing his legs motioned to the young man to take a seat also. Andrea assumed his gayest manner. “You know, my dear count,” said he, “the ceremony is to take place this evening. At nine o’clock the contract is to be signed at my father–in–law’s.”
“Ah, indeed?” said Monte Cristo.
“What; is it news to you? Has not M. Danglars informed you of the ceremony?”
“Oh, yes,” said the count; “I received a letter from him yesterday, but I do not think the hour was mentioned.”
“Possibly my father–in–law trusted to its general notoriety.”
“Well,” said Monte Cristo, “you are fortunate, M. Cavalcanti; it is a most suitable alliance you are contracting, and Mademoiselle Danglars is a handsome girl.”
“Yes, indeed she is,” replied Cavalcanti, in a very modest tone.
“Above all, she is very rich,—at least, I believe so,” said Monte Cristo.
“Very rich, do you think?” replied the young man.
“Doubtless; it is said M. Danglars conceals at least half of his fortune.”
“And he acknowledges fifteen or twenty millions,” said Andrea with a look sparkling with joy.
“Without reckoning,” added Monte Cristo, “that he is on the eve of entering into a sort of speculation already in vogue in the United States and in England, but quite novel in France.”
“Yes, yes, I know what you mean,—the railway, of which he has obtained the grant, is it not?”
“Precisely; it is generally believed he will gain ten millions by that affair.”
“Ten millions! Do you think so? It is magnificent!” said Cavalcanti, who was quite confounded at the metallic sound of these golden words. “Without reckoning,” replied Monte Cristo, “that all his fortune will come to you, and justly too, since Mademoiselle Danglars is an only daughter. Besides, your own fortune, as your father assured me, is almost equal to that of your betrothed. But enough of money matters. Do you know, M. Andrea, I think you have managed this affair rather skilfully?”
“Not badly, by any means,” said the young man; “I was born for a diplomatist.”
“Well, you must become a diplomatist; diplomacy, you know, is something that is not to be acquired; it is instinctive. Have you lost your heart?”
“Indeed, I fear it,” replied Andrea, in the tone in which he had heard Dorante or Valere reply to Alceste [*] at the Theatre Francais.
“Is your love returned?” “I suppose so,” said Andrea with a triumphant smile, “since I am accepted. But I must not forget one grand point.”
* In Moliere’s comedy, Le Misanthrope.
“Which?”
“That I have been singularly assisted.”
“Nonsense.”
“I have, indeed.”
“By circumstances?”
“No; by you.”
“By me? Not at all, prince,” said Monte Cristo laying a marked stress on the title, “what have I done for you? Are not your name, your social position, and your merit sufficient?”
“No,” said Andrea,—”no; it is useless for you to say so, count. I maintain that the position of a man like you has done more than my name, my social position, and my merit.”
“You are completely mistaken, sir,” said Monte Cristo coldly, who felt the perfidious manoeuvre of the young man, and understood the bearing of his words; “you only acquired my protection after the influence and fortune of your father had been ascertained; for, after all, who procured for me, who had never seen either you or your illustrious father, the pleasure of your acquaintance?—two of my good friends, Lord Wilmore and the Abbé Busoni. What encouraged me not to become your surety, but to patronize you?—your father’s name, so well known in Italy and so highly honored. Personally, I do not know you.” This calm tone and perfect ease made Andrea feel that he was, for the moment, restrained by a more muscular hand than his own, and that the restraint could not be easily broken through.
“Oh, then my father has really a very large fortune, count?”
“It appears so, sir,” replied Monte Cristo.
“Do you know if the marriage settlement he promised me has come?”
“I have been advised of it.”
“But the three millions?”
“The three millions are probably on the road.”
“Then I shall really have them?”
“Oh, well,” said the count, “I do not think you have yet known the want of money.” Andrea was so surprised that he pondered the matter for a moment. Then, arousing from his revery,—”Now, sir, I have one request to make to you, which you will understand, even if it should be disagreeable to you.”
“Proceed,” said Monte Cristo.
“I have formed an acquaintance, thanks to my good fortune, with many noted persons, and have, at least for the moment, a crowd of friends. But marrying, as I am about to do, before all Paris, I ought to be supported by an illustrious name, and in the absence of the paternal hand some powerful one ought to lead me to the altar; now, my father is not coming to Paris, is he? He is old, covered with wounds, and suffers dreadfully, he says, in travelling.”
“Indeed?”
“Well, I am come to ask a favour of you.”
“Of me?”
“Yes, of you.”
“And pray what may it be?”
“Well, to take his part.”
“Ah, my dear sir! What?—after the varied relations I have had the happiness to sustain towards you, can it be that you know me so little as to ask such a thing? Ask me to lend you half a million and, although such a loan is somewhat rare, on my honor, you would annoy me less! Know, then, what I thought I had already told you, that in participation in this world’s affairs, more especially in their moral aspects, the Count of Monte Cristo has never ceased to entertain the scruples and even the superstitions of the East. I, who have a seraglio at Cairo, one at Smyrna, and one at Constantinople, preside at a wedding?—never!”
“Then you refuse me?”
“Decidedly; and were you my son or my brother I would refuse you in the same way.”
“But what must be done?” said Andrea, disappointed.
“You said just now that you had a hundred friends.”
“Very true, but you introduced me at M. Danglars’.”
“Not at all! Let us recall the exact facts. You met him at a dinner party at my house, and you introduced yourself at his house; that is a totally different affair.”
“Yes, but, by my marriage, you have forwarded that.”
“I?—not in the least, I beg you to believe. Recollect what I told you when you asked me to propose you. ‘Oh, I never make matches, my dear prince, it is my settled principle.’” Andrea bit his lips.
“But, at least, you will be there?”
“Will all Paris be there?”
“Oh, certainly.”
“Well, like all Paris, I shall be there too,” said the count.
“And will you sign the contract?”
“I see no objection to that; my scruples do not go thus far.”
“Well, since you will grant me no more, I must be content with what you give me. But one word more, count.”
“What is it?”
“Advice.”
“Be careful; advice is worse than a service.”
“Oh, you can give me this without compromising yourself.”
“Tell me what it is.”
“Is my wife’s fortune five hundred thousand livres?”
“That is the sum M. Danglars himself announced.”
“Must I receive it, or leave it in the hands of the notary?”
“This is the way such affairs are generally arranged when it is wished to do them stylishly: Your two solicitors appoint a meeting, when the contract is signed, for the next or the following day; then they exchange the two portions, for which they each give a receipt; then, when the marriage is celebrated, they place the amount at your disposal as the chief member of the alliance.”
“Because,” said Andrea, with a certain ill–concealed uneasiness, “I thought I heard my father–in–law say that he intended embarking our property in that famous railway affair of which you spoke just now.”
“Well,” replied Monte Cristo, “it will be the way, everybody says, of trebling your fortune in twelve months. Baron Danglars is a good father, and knows how to calculate.”
“In that case,” said Andrea, “everything is all right, excepting your refusal, which quite grieves me.”
“You must attribute it only to natural scruples under similar circumstances.”
“Well,” said Andrea, “let it be as you wish. This evening, then, at nine o’clock.”
“Adieu till then.” Notwithstanding a slight resistance on the part of Monte Cristo, whose lips turned pale, but who preserved his ceremonious smile, Andrea seized the count’s hand, pressed it, jumped into his phaeton, and disappeared.
The four or five remaining hours before nine o’clock arrived, Andrea employed in riding, paying visits,—designed to induce those of whom he had spoken to appear at the banker’s in their gayest equipages,—dazzling them by promises of shares in schemes which have since turned every brain, and in which Danglars was just taking the initiative. In fact, at half–past eight in the evening the grand salon, the gallery adjoining, and the three other drawing–rooms on the same floor, were filled with a perfumed crowd, who sympathized but little in the event, but who all participated in that love of being present wherever there is anything fresh to be seen. An Academician would say that the entertainments of the fashionable world are collections of flowers which attract inconstant butterflies, famished worker-bees, and buzzing drones.
No one could deny that the rooms were splendidly illuminated; the light streamed forth on the gilt mouldings and the silk hangings; and all the bad taste of decorations, which had only their richness to boast of, shone in its splendor. Mademoiselle Eugénie was dressed with elegant simplicity in a figured white silk dress, and a white rose half concealed in her jet black hair was her only ornament, unaccompanied by a single jewel. Her eyes, however, betrayed that perfect confidence which contradicted the girlish simplicity of this modest attire. Madame Danglars was chatting at a short distance with Debray, Beauchamp, and Chateau–Renaud.
Debray was admitted to the house for this grand ceremony, but on the same plane with every one else, and without any particular privilege. M. Danglars, surrounded by deputies and men connected with the revenue, was explaining a new theory of taxation which he intended to adopt when the course of events had compelled the government to call him into the ministry. Andrea, on whose arm hung one of the most consummate dandies of the opera, was explaining to him rather cleverly, since he was obliged to be bold to appear at ease, his future projects, and the new luxuries he meant to introduce to Parisian fashions with his hundred and seventy–five thousand livres per annum.
The crowd moved to and fro in the rooms like an ebb and flow of turquoises, rubies, emeralds, opals, and diamonds. As usual, the oldest women were the most decorated, and the ugliest the most conspicuous. If there was a beautiful lily, or a sweet rose, you had to search for it, concealed in some corner behind a mother with a turban, or an aunt with a bird of paradise.
At each moment, in the midst of the crowd, the buzzing, and the laughter, the door–keeper’s voice was heard announcing some name well known in the financial department, respected in the army, or illustrious in the literary world, and which was acknowledged by a slight movement in the different groups. But for one whose privilege it was to agitate that ocean of human waves, how many were received with a look of indifference or a sneer of disdain! At the moment when the hand of the massive time–piece, representing Endymion asleep, pointed to nine on its golden face, and the hammer, the faithful type of mechanical thought, struck nine times, the name of the Count of Monte Cristo resounded in its turn, and as if by an electric shock all the assembly turned towards the door.
The count was dressed in black and with his habitual simplicity; his white waistcoat displayed his expansive noble chest and his black stock was singularly noticeable because of its contrast with the deadly paleness of his face. His only jewellery was a chain, so fine that the slender gold thread was scarcely perceptible on his white waistcoat. A circle was immediately formed around the door. The count perceived at one glance Madame Danglars at one end of the drawing–room, M. Danglars at the other, and Eugénie in front of him. He first advanced towards the baroness, who was chatting with Madame de Villefort, who had come alone, Valentine being still an invalid; and without turning aside, so clear was the road left for him, he passed from the baroness to Eugénie, whom he complimented in such rapid and measured terms, that the proud artist was quite struck. Near her was Mademoiselle Louise d’Armilly, who thanked the count for the letters of introduction he had so kindly given her for Italy, which she intended immediately to make use of. On leaving these ladies he found himself with Danglars, who had advanced to meet him.
Having accomplished these three social duties, Monte Cristo stopped, looking around him with that expression peculiar to a certain class, which seems to say, “I have done my duty, now let others do theirs.” Andrea, who was in an adjoining room, had shared in the sensation caused by the arrival of Monte Cristo, and now came forward to pay his respects to the count. He found him completely surrounded; all were eager to speak to him, as is always the case with those whose words are few and weighty. The solicitors arrived at this moment and arranged their scrawled papers on the velvet cloth embroidered with gold which covered the table prepared for the signature; it was a gilt table supported on lions’ claws. One of the notaries sat down, the other remained standing. They were about to proceed to the reading of the contract, which half Paris assembled was to sign. All took their places, or rather the ladies formed a circle, while the gentlemen (more indifferent to the restraints of what Boileau calls the “energetic style”) commented on the feverish agitation of Andrea, on M. Danglars’ riveted attention, Eugénie’s composure, and the light and sprightly manner in which the baroness treated this important affair.
The contract was read during a profound silence. But as soon as it was finished, the buzz was redoubled through all the drawing–rooms; the brilliant sums, the rolling millions which were to be at the command of the two young people, and which crowned the display of the wedding presents and the young lady’s diamonds, which had been made in a room entirely appropriated for that purpose, had exercised to the full their delusions over the envious assembly. Mademoiselle Danglars’ charms were heightened in the opinion of the young men, and for the moment seemed to outvie the sun in splendor. As for the ladies, it is needless to say that while they coveted the millions, they thought they did not need them for themselves, as they were beautiful enough without them. Andrea, surrounded by his friends, complimented, flattered, beginning to believe in the reality of his dream, was almost bewildered. The notary solemnly took the pen, flourished it above his head, and said, “Gentlemen, we are about to sign the contract.”
The baron was to sign first, then the representative of M. Cavalcanti, senior, then the baroness, afterwards the “future couple,” as they are styled in the abominable phraseology of legal documents. The baron took the pen and signed, then the representative. The baroness approached, leaning on Madame de Villefort’s arm. “My dear,” said she, as she took the pen, “is it not vexatious? An unexpected incident, in the affair of murder and theft at the Count of Monte Cristo’s, in which he nearly fell a victim, deprives us of the pleasure of seeing M. de Villefort.”
“Indeed?” said M. Danglars, in the same tone in which he would have said, “Oh, well, what do I care?”
“As a matter of fact,” said Monte Cristo, approaching, “I am much afraid that I am the involuntary cause of his absence.”
“What, you, count?” said Madame Danglars, signing; “if you are, take care, for I shall never forgive you.” Andrea pricked up his ears.
“But it is not my fault, as I shall endeavor to prove.” Every one listened eagerly; Monte Cristo who so rarely opened his lips, was about to speak. “You remember,” said the count, during the most profound silence, “that the unhappy wretch who came to rob me died at my house; the supposition is that he was stabbed by his accomplice, on attempting to leave it.”
“Yes,” said Danglars.
“In order that his wounds might be examined he was undressed, and his clothes were thrown into a corner, where the police picked them up, with the exception of the waistcoat, which they overlooked.” Andrea turned pale, and drew towards the door; he saw a cloud rising in the horizon, which appeared to forebode a coming storm.
“Well, this waistcoat was discovered to–day, covered with blood, and with a hole over the heart.” The ladies screamed, and two or three prepared to faint. “It was brought to me. No one could guess what the dirty rag could be; I alone suspected that it was the waistcoat of the murdered man. My valet, in examining this mournful relic, felt a paper in the pocket and drew it out; it was a letter addressed to you, baron.”
“To me?” cried Danglars.
“Yes, indeed, to you; I succeeded in deciphering your name under the blood with which the letter was stained,” replied Monte Cristo, amid the general outburst of amazement.
“But,” asked Madame Danglars, looking at her husband with uneasiness, “how could that prevent M. de Villefort”—
“In this simple way, madame,” replied Monte Cristo; “the waistcoat and the letter were both what is termed circumstantial evidence; I therefore sent them to the king’s attorney. You understand, my dear baron, that legal methods are the safest in criminal cases; it was, perhaps, some plot against you.” Andrea looked steadily at Monte Cristo and disappeared in the second drawing–room.
“Possibly,” said Danglars; “was not this murdered man an old galley–slave?”
“Yes,” replied the count; “a felon named Caderousse.” Danglars turned slightly pale; Andrea reached the anteroom beyond the little drawing–room.
“But go on signing,” said Monte Cristo; “I perceive that my story has caused a general emotion, and I beg to apologize to you, baroness, and to Mademoiselle Danglars.” The baroness, who had signed, returned the pen to the notary. “Prince Cavalcanti,” said the latter; “Prince Cavalcanti, where are you?”
“Andrea, Andrea,” repeated several young people, who were already on sufficiently intimate terms with him to call him by his Christian name.
“Call the prince; inform him that it is his turn to sign,” cried Danglars to one of the floorkeepers.
But at the same instant the crowd of guests rushed in alarm into the principal salon as if some frightful monster had entered the apartments, quaerens quem devoret. There was, indeed, reason to retreat, to be alarmed, and to scream. An officer was placing two soldiers at the door of each drawing–room, and was advancing towards Danglars, preceded by a commissary of police, girded with his scarf. Madame Danglars uttered a scream and fainted. The Baron Danglars, who thought himself threatened (certain consciences are never calm),—Danglars even before his guests showed a countenance of abject terror.
“What is the matter, sir?” asked Monte Cristo, advancing to meet the commissioner.
“Which of you gentlemen,” asked the magistrate, without replying to the count, “answers to the name of Andrea Cavalcanti?” A cry of astonishment was heard from all parts of the room. They searched; they questioned. “But who then is Andrea Cavalcanti?” asked Danglars in amazement.
“A convict, escaped from confinement at Toulon.”
“And what crime has he committed?”
“He is accused,” said the commissary with his inflexible voice, “of having assassinated one Caderousse, his former companion in prison, at the moment he was making his escape from the house of the Count of Monte Cristo.” Monte Cristo cast a rapid glance around him. Andrea was gone.
A few minutes after the scene of confusion produced in the salons of M. Danglars by the unexpected appearance of the brigade of soldiers, and by the disclosure which had followed, the mansion was deserted with as much rapidity as if a case of the plague or of cholera had broken out among the guests. In a few minutes, through all the doors, down all the staircases, by every exit, every one hastened to retire, or rather to fly; for it was a situation where the ordinary condolences,—which even the best friends are so eager to offer in great catastrophes,—were seen to be utterly futile. There remained in the banker’s house only the Baron Danglars, closeted in his study, and making his statement to the officer of gendarmes; Madame Danglars, terrified, in the boudoir with which we are acquainted; and Eugénie, who with haughty air and disdainful lip had retired to her room with her inseparable companion, Mademoiselle Louise d’Armilly. As for the numerous servants (more numerous that evening than usual, for their number was augmented by cooks and waiters from the Café de Paris), venting on their employers their anger at what they termed the insult to which they had been subjected, they collected in groups in the hall, in the kitchens, or in their rooms, thinking very little of their duty, which was thus naturally interrupted.
The curtain fell almost immediately after the entrance of Madame Danglars into her box, the band quitted the orchestra for the accustomed half–hour’s interval allowed between the acts, and the audience were left at liberty to promenade the salon or lobbies, or to pay and receive visits in their respective boxes. Morcerf and Château–Renaud were amongst the first to avail themselves of this permission. For an instant the idea struck Madame Danglars that this eagerness on the part of the young viscount arose from his impatience to join her party, and she whispered her expectations to her daughter, that Albert was hurrying to pay his respects to them. Mademoiselle Eugénie, however, merely returned a dissenting movement of the head, while, with a cold smile, she directed the attention of her mother to an opposite box on the first circle, in which sat the Countess G——, and where Morcerf had just made his appearance. “So we meet again, my travelling friend, do we?” cried the countess, extending her hand to him with all the warmth and cordiality of an old acquaintance; “it was really very good of you to recognize me so quickly, and still more so to bestow your first visit on me.”
“Be assured,” replied Albert, “that if I had been aware of your arrival in Paris, and had known your address, I should have paid my respects to you before this. Allow me to introduce my friend, Baron de Château–Renaud, one of the few true gentlemen now to be found in France, and from whom I have just learned that you were a spectator of the races in the Champ–de–Mars, yesterday.” Château–Renaud bowed to the countess.
Both the count and Baptistin had told the truth when they announced to Morcerf the proposed visit of the major, which had served Monte Cristo as a pretext for declining Albert’s invitation. Seven o’clock had just struck, and M. Bertuccio, according to the command which had been given him, had two hours before left for Auteuil, when a cab stopped at the door, and after depositing its occupant at the gate, immediately hurried away, as if ashamed of its employment. The visitor was about fifty–two years of age, dressed in one of the green surtouts, ornamented with black frogs, which have so long maintained their popularity all over Europe. He wore trousers of blue cloth, boots tolerably clean, but not of the brightest polish, and a little too thick in the soles, buckskin gloves, a hat somewhat resembling in shape those usually worn by the gendarmes, and a black cravat striped with white, which, if the proprietor had not worn it of his own free will, might have passed for a halter, so much did it resemble one. Such was the picturesque costume of the person who rang at the gate, and demanded if it was not at No. 30 in the Avenue des Champs–Elysees that the Count of Monte Cristo lived, and who, being answered by the concierge in the affirmative, entered, closed the gate after him, and began to ascend the steps.
The small and angular head of this man, his white hair and thick gray moustaches, caused him to be easily recognized by Baptistin, who had received an exact description of the expected visitor, and who was awaiting him in the hall. Therefore, scarcely had the stranger time to pronounce his name before the count was apprised of his arrival. He was ushered into a simple and elegant drawing–room, and the count rose to meet him with a smiling air. “Ah, my dear sir, you are most welcome; I was expecting you.”
“Indeed,” said the Italian, “was your excellency then aware of my visit?”
“Yes; I had been told that I should see you to–day at seven o’clock.”
“Then you have received full information concerning my arrival?”
“Of course.”
“Ah, so much the better, I feared this little precaution might have been forgotten.”
“What precaution?”
“That of informing you beforehand of my coming.”
“Oh, no, it has not.”
“But you are sure you are not mistaken.”
“Very sure.”
“It really was I whom your excellency expected at seven o’clock this evening?”
“I will prove it to you beyond a doubt.”
“Oh, no, never mind that,” said the Italian; “it is not worth the trouble.”
“Yes, yes,” said Monte Cristo. His visitor appeared slightly uneasy. “Let me see,” said the count; “are you not the Marquis Bartolomeo Cavalcanti?”
“Bartolomeo Cavalcanti,” joyfully replied the Italian; “yes, I am really he.”
“Ex–major in the Austrian service?”
“Was I a major?” timidly asked the old soldier.
“Yes,” said Monte Cristo “you were a major; that is the title the French give to the post which you filled in Italy.”
“Very good,” said the major, “I do not demand more, you understand”—
“Your visit here to–day is not of your own suggestion, is it?” said Monte Cristo.
“No, certainly not.”
“You were sent by some other person?”
“Yes.”
“By the excellent Abbé Busoni?”
“Exactly so,” said the delighted major.
“And you have a letter?”
“Yes, there it is.”
“Give it me, then;” and Monte Cristo took the letter, which he opened and read. The major looked at the count with his large staring eyes, and then took a survey of the apartment, but his gaze almost immediately reverted to the proprietor of the room. “Yes, yes, I see. ‘Major Cavalcanti, a worthy patrician of Lucca, a descendant of the Cavalcanti of Florence,’” continued Monte Cristo, reading aloud, ”’possessing an income of half a million.’” Monte Cristo raised his eyes from the paper, and bowed. “Half a million,” said he, “magnificent!”
“Half a million, is it?” said the major.
“Yes, in so many words; and it must be so, for the abbe knows correctly the amount of all the largest fortunes in Europe.”
“Be it half a million, then; but on my word of honor, I had no idea that it was so much.”
“Because you are robbed by your steward. You must make some reformation in that quarter.”
“You have opened my eyes,” said the Italian gravely; “I will show the gentlemen the door.” Monte Cristo resumed the perusal of the letter:—
”’And who only needs one thing more to make him happy.’”
“Yes, indeed but one!” said the major with a sigh.
”’Which is to recover a lost and adored son.’”
“A lost and adored son!”
”’Stolen away in his infancy, either by an enemy of his noble family or by the gypsies.’”
“At the age of five years!” said the major with a deep sigh, and raising his eye to heaven.
“Unhappy father,” said Monte Cristo. The count continued:—
”’I have given him renewed life and hope, in the assurance that you have the power of restoring the son whom he has vainly sought for fifteen years.’” The major looked at the count with an indescribable expression of anxiety. “I have the power of so doing,” said Monte Cristo. The major recovered his self–possession. “So, then,” said he, “the letter was true to the end?”
“Did you doubt it, my dear Monsieur Bartolomeo?”
“No, indeed; certainly not; a good man, a man holding religious office, as does the Abbé Busoni, could not condescend to deceive or play off a joke; but your excellency has not read all.”
“Ah, true,” said Monte Cristo “there is a postscript.”
“Yes, yes,” repeated the major, “yes—there—is—a—postscript.”
”’In order to save Major Cavalcanti the trouble of drawing on his banker, I send him a draft for 2,000 francs to defray his travelling expenses, and credit on you for the further sum of 48,000 francs, which you still owe me.’” The major awaited the conclusion of the postscript, apparently with great anxiety. “Very good,” said the count.
“He said ‘very good,’” muttered the major, “then—sir”—replied he.
“Then what?” asked Monte Cristo.
“Then the postscript”—
“Well; what of the postscript?”
“Then the postscript is as favorably received by you as the rest of the letter?”
“Certainly; the Abbé Busoni and myself have a small account open between us. I do not remember if it is exactly 48,000. francs, which I am still owing him, but I dare say we shall not dispute the difference. You attached great importance, then, to this postscript, my dear Monsieur Cavalcanti?”
“I must explain to you,” said the major, “that, fully confiding in the signature of the Abbé Busoni, I had not provided myself with any other funds; so that if this resource had failed me, I should have found myself very unpleasantly situated in Paris.”
“Is it possible that a man of your standing should be embarrassed anywhere?” said Monte Cristo.
“Why, really I know no one,” said the major.
“But then you yourself are known to others?”
“Yes, I am known, so that”—
“Proceed, my dear Monsieur Cavalcanti.”
“So that you will remit to me these 48,000 francs?”
“Certainly, at your first request.” The major’s eyes dilated with pleasing astonishment. “But sit down,” said Monte Cristo; “really I do not know what I have been thinking of—I have positively kept you standing for the last quarter of an hour.”
“Don’t mention it.” The major drew an arm–chair towards him, and proceeded to seat himself.
“Now,” said the count, “what will you take—a glass of port, sherry, or Alicante?”
“Alicante, if you please; it is my favorite wine.”
“I have some that is very good. You will take a biscuit with it, will you not?”
“Yes, I will take a biscuit, as you are so obliging.”
Monte Cristo rang; Baptistin appeared. The count advanced to meet him. “Well?” said he in a low voice. “The young man is here,” said the valet de chambre in the same tone.
“Into what room did you take him?”
“Into the blue drawing–room, according to your excellency’s orders.”
“That’s right; now bring the Alicante and some biscuits.”
Baptistin left the room. “Really,” said the major, “I am quite ashamed of the trouble I am giving you.”
“Pray don’t mention such a thing,” said the count. Baptistin re–entered with glasses, wine, and biscuits. The count filled one glass, but in the other he only poured a few drops of the ruby–colored liquid. The bottle was covered with spiders’ webs, and all the other signs which indicate the age of wine more truly than do wrinkles on a man’s face. The major made a wise choice; he took the full glass and a biscuit. The count told Baptistin to leave the plate within reach of his guest, who began by sipping the Alicante with an expression of great satisfaction, and then delicately steeped his biscuit in the wine.
“So, sir, you lived at Lucca, did you? You were rich, noble, held in great esteem—had all that could render a man happy?”
“All,” said the major, hastily swallowing his biscuit, “positively all.”
“And yet there was one thing wanting in order to complete your happiness?”
“Only one thing,” said the Italian.
“And that one thing, your lost child.”
“Ah,” said the major, taking a second biscuit, “that consummation of my happiness was indeed wanting.” The worthy major raised his eyes to heaven and sighed.
“Let me hear, then,” said the count, “who this deeply regretted son was; for I always understood you were a bachelor.”
“That was the general opinion, sir,” said the major, “and I”—
“Yes,” replied the count, “and you confirmed the report. A youthful indiscretion, I suppose, which you were anxious to conceal from the world at large?” The major recovered himself, and resumed his usual calm manner, at the same time casting his eyes down, either to give himself time to compose his countenance, or to assist his imagination, all the while giving an under–look at the count, the protracted smile on whose lips still announced the same polite curiosity. “Yes,” said the major, “I did wish this fault to be hidden from every eye.”
“Not on your own account, surely,” replied Monte Cristo; “for a man is above that sort of thing?”
“Oh, no, certainly not on my own account,” said the major with a smile and a shake of the head.
“But for the sake of the mother?” said the count.
“Yes, for the mother’s sake—his poor mother!” cried the major, taking a third biscuit.
“Take some more wine, my dear Cavalcanti,” said the count, pouring out for him a second glass of Alicante; “your emotion has quite overcome you.”
“His poor mother,” murmured the major, trying to get the lachrymal gland in operation, so as to moisten the corner of his eye with a false tear.
“She belonged to one of the first families in Italy, I think, did she not?”
“She was of a noble family of Fiesole, count.”
“And her name was”—
“Do you desire to know her name?”—
“Oh,” said Monte Cristo “it would be quite superfluous for you to tell me, for I already know it.”
“The count knows everything,” said the Italian, bowing.
“Olivia Corsinari, was it not?”
“Olivia Corsinari.”
“A marquise?”
“A marquise.”
“And you married her at last, notwithstanding the opposition of her family?”
“Yes, that was the way it ended.”
“And you have doubtless brought all your papers with you?” said Monte Cristo.
“What papers?”
“The certificate of your marriage with Olivia Corsinari, and the register of your child’s birth.”
“The register of my child’s birth?”
“The certificate of the birth of Andrea Cavalcanti—of your son; is not his name Andrea?”
“I believe so,” said the major.
“What? You believe so?”
“I dare not positively assert it, as he has been lost for so long a time.”
“Well, then,” said Monte Cristo “you have all the documents with you?”
“Your excellency, I regret to say that, not knowing it was necessary to come provided with these papers, I neglected to bring them.”
“That is unfortunate,” returned Monte Cristo.
“Were they, then, so necessary?”
“They were indispensable.”
The major passed his hand across his brow. “Ah, per Bacco, indispensable, were they?”
“Certainly they were; supposing there were to be doubts raised as to the validity of your marriage or the legitimacy of your child?”
“True,” said the major, “there might be doubts raised.”
“In that case your son would be very unpleasantly situated.”
“It would be fatal to his interests.”
“It might cause him to fail in some desirable matrimonial alliance.”
“O peccato!”
“You must know that in France they are very particular on these points; it is not sufficient, as in Italy, to go to the priest and say, ‘We love each other, and want you to marry us.’ Marriage is a civil affair in France, and in order to marry in an orthodox manner you must have papers which undeniably establish your identity.”
“That is the misfortune! You see I have not these necessary papers.”
“Fortunately, I have them, though,” said Monte Cristo.
“You?”
“Yes.”
“You have them?”
“I have them.”
“Ah, indeed?” said the major, who, seeing the object of his journey frustrated by the absence of the papers, feared also that his forgetfulness might give rise to some difficulty concerning the 48,000 francs—”ah, indeed, that is a fortunate circumstance; yes, that really is lucky, for it never occurred to me to bring them.”
“I do not at all wonder at it—one cannot think of everything; but, happily, the Abbé Busoni thought for you.”
“He is an excellent person.”
“He is extremely prudent and thoughtful”
“He is an admirable man,” said the major; “and he sent them to you?”
“Here they are.”
The major clasped his hands in token of admiration. “You married Olivia Corsinari in the church of San Paolo del Monte–Cattini; here is the priest’s certificate.”
“Yes indeed, there it is truly,” said the Italian, looking on with astonishment.
“And here is Andrea Cavalcanti’s baptismal register, given by the curate of Saravezza.”
“All quite correct.”
“Take these documents, then; they do not concern me. You will give them to your son, who will, of course, take great care of them.”
“I should think so, indeed! If he were to lose them”—
“Well, and if he were to lose them?” said Monte Cristo.
“In that case,” replied the major, “it would be necessary to write to the curate for duplicates, and it would be some time before they could be obtained.”
“It would be a difficult matter to arrange,” said Monte Cristo.
“Almost an impossibility,” replied the major.
“I am very glad to see that you understand the value of these papers.”
“I regard them as invaluable.”
“Now,” said Monte Cristo “as to the mother of the young man”—
“As to the mother of the young man”—repeated the Italian, with anxiety.
“As regards the Marchesa Corsinari”—
“Really,” said the major, “difficulties seem to thicken upon us; will she be wanted in any way?”
“No, sir,” replied Monte Cristo; “besides, has she not”—
“Yes, sir,” said the major, “she has”—
“Paid the last debt of nature?”
“Alas, yes,” returned the Italian.
“I knew that,” said Monte Cristo; “she has been dead these ten years.”
“And I am still mourning her loss,” exclaimed the major, drawing from his pocket a checked handkerchief, and alternately wiping first the left and then the right eye.
“What would you have?” said Monte Cristo; “we are all mortal. Now, you understand, my dear Monsieur Cavalcanti, that it is useless for you to tell people in France that you have been separated from your son for fifteen years. Stories of gypsies, who steal children, are not at all in vogue in this part of the world, and would not be believed. You sent him for his education to a college in one of the provinces, and now you wish him to complete his education in the Parisian world. That is the reason which has induced you to leave Via Reggio, where you have lived since the death of your wife. That will be sufficient.”
“You think so?”
“Certainly.”
“Very well, then.”
“If they should hear of the separation”—
“Ah, yes; what could I say?”
“That an unfaithful tutor, bought over by the enemies of your family”—
“By the Corsinari?”
“Precisely. Had stolen away this child, in order that your name might become extinct.”
“That is reasonable, since he is an only son.”
“Well, now that all is arranged, do not let these newly awakened remembrances be forgotten. You have, doubtless, already guessed that I was preparing a surprise for you?”
“An agreeable one?” asked the Italian.
“Ah, I see the eye of a father is no more to be deceived than his heart.”
“Hum!” said the major.
“Some one has told you the secret; or, perhaps, you guessed that he was here.”
“That who was here?”
“Your child—your son—your Andrea!”
“I did guess it,” replied the major with the greatest possible coolness. “Then he is here?”
“He is,” said Monte Cristo; “when the valet de chambre came in just now, he told me of his arrival.”
“Ah, very well, very well,” said the major, clutching the buttons of his coat at each exclamation.
“My dear sir,” said Monte Cristo, “I understand your emotion; you must have time to recover yourself. I will, in the meantime, go and prepare the young man for this much–desired interview, for I presume that he is not less impatient for it than yourself.”
“I should quite imagine that to be the case,” said Cavalcanti.
“Well, in a quarter of an hour he shall be with you.”
“You will bring him, then? You carry your goodness so far as even to present him to me yourself?”
“No; I do not wish to come between a father and son. Your interview will be private. But do not be uneasy; even if the powerful voice of nature should be silent, you cannot well mistake him; he will enter by this door. He is a fine young man, of fair complexion—a little too fair, perhaps—pleasing in manners; but you will see and judge for yourself.”
“By the way,” said the major, “you know I have only the 2,000 francs which the Abbé Busoni sent me; this sum I have expended upon travelling expenses, and”—
“And you want money; that is a matter of course, my dear M. Cavalcanti. Well, here are 8,000 francs on account.”
The major’s eyes sparkled brilliantly.
“It is 40,000 francs which I now owe you,” said Monte Cristo.
“Does your excellency wish for a receipt?” said the major, at the same time slipping the money into the inner pocket of his coat.
“For what?” said the count.
“I thought you might want it to show the Abbé Busoni.”
“Well, when you receive the remaining 40,000, you shall give me a receipt in full. Between honest men such excessive precaution is, I think, quite unnecessary.”
“Yes, so it is, between perfectly upright people.”
“One word more,” said Monte Cristo.
“Say on.”
“You will permit me to make one remark?”
“Certainly; pray do so.”
“Then I should advise you to leave off wearing that style of dress.”
“Indeed,” said the major, regarding himself with an air of complete satisfaction.
“Yes. It may be worn at Via Reggio; but that costume, however elegant in itself, has long been out of fashion in Paris.”
“That’s unfortunate.”
“Oh, if you really are attached to your old mode of dress; you can easily resume it when you leave Paris.”
“But what shall I wear?”
“What you find in your trunks.”
“In my trunks? I have but one portmanteau.”
“I dare say you have nothing else with you. What is the use of boring one’s self with so many things? Besides an old soldier always likes to march with as little baggage as possible.”
“That is just the case—precisely so.”
“But you are a man of foresight and prudence, therefore you sent your luggage on before you. It has arrived at the Hotel des Princes, Rue de Richelieu. It is there you are to take up your quarters.”
“Then, in these trunks”—
“I presume you have given orders to your valet de chambre to put in all you are likely to need,—your plain clothes and your uniform. On grand occasions you must wear your uniform; that will look very well. Do not forget your crosses. They still laugh at them in France, and yet always wear them, for all that.”
“Very well, very well,” said the major, who was in ecstasy at the attention paid him by the count.
“Now,” said Monte Cristo, “that you have fortified yourself against all painful excitement, prepare yourself, my dear M. Cavalcanti, to meet your lost Andrea.” Saying which Monte Cristo bowed, and disappeared behind the tapestry, leaving the major fascinated beyond expression with the delightful reception which he had received at the hands of the count.
The Count of Monte Cristo entered the adjoining room, which Baptistin had designated as the drawing–room, and found there a young man, of graceful demeanor and elegant appearance, who had arrived in a cab about half an hour previously. Baptistin had not found any difficulty in recognizing the person who presented himself at the door for admittance. He was certainly the tall young man with light hair, red moustache, black eyes, and brilliant complexion, whom his master had so particularly described to him. When the count entered the room the young man was carelessly stretched on a sofa, tapping his boot with the gold–headed cane which he held in his hand. On perceiving the count he rose quickly. “The Count of Monte Cristo, I believe?” said he.
“Yes, sir, and I think I have the honor of addressing Count Andrea Cavalcanti?”
“Count Andrea Cavalcanti,” repeated the young man, accompanying his words with a bow.
“You are charged with a letter of introduction addressed to me, are you not?” said the count.
“I did not mention that, because the signature seemed to me so strange.”
“The letter signed ‘Sinbad the Sailor,’ is it not?”
“Exactly so. Now, as I have never known any Sinbad, with the exception of the one celebrated in the ‘Thousand and One Nights’”—
“Well, it is one of his descendants, and a great friend of mine; he is a very rich Englishman, eccentric almost to insanity, and his real name is Lord Wilmore.”
“Ah, indeed? Then that explains everything that is extraordinary,” said Andrea. “He is, then, the same Englishman whom I met—at—ah—yes, indeed. Well, monsieur, I am at your service.”
“If what you say be true,” replied the count, smiling, “perhaps you will be kind enough to give me some account of yourself and your family?”
“Certainly, I will do so,” said the young man, with a quickness which gave proof of his ready invention. “I am (as you have said) the Count Andrea Cavalcanti, son of Major Bartolomeo Cavalcanti, a descendant of the Cavalcanti whose names are inscribed in the golden book of Florence. Our family, although still rich (for my father’s income amounts to half a million), has experienced many misfortunes, and I myself was, at the age of five years, taken away by the treachery of my tutor, so that for fifteen years I have not seen the author of my existence. Since I have arrived at years of discretion and become my own master, I have been constantly seeking him, but all in vain. At length I received this letter from your friend, which states that my father is in Paris, and authorizes me to address myself to you for information respecting him.”
“Really, all you have related to me is exceedingly interesting,” said Monte Cristo, observing the young man with a gloomy satisfaction; “and you have done well to conform in everything to the wishes of my friend Sinbad; for your father is indeed here, and is seeking you.”
The count from the moment of first entering the drawing–room, had not once lost sight of the expression of the young man’s countenance; he had admired the assurance of his look and the firmness of his voice; but at these words, so natural in themselves, “Your father is indeed here, and is seeking you,” young Andrea started, and exclaimed, “My father? Is my father here?”
“Most undoubtedly,” replied Monte Cristo; “your father, Major Bartolomeo Cavalcanti.” The expression of terror which, for the moment, had overspread the features of the young man, had now disappeared. “Ah, yes, that is the name, certainly. Major Bartolomeo Cavalcanti. And you really mean to say; monsieur, that my dear father is here?”
“Yes, sir; and I can even add that I have only just left his company. The history which he related to me of his lost son touched me to the quick; indeed, his griefs, hopes, and fears on that subject might furnish material for a most touching and pathetic poem. At length, he one day received a letter, stating that the abductors of his son now offered to restore him, or at least to give notice where he might be found, on condition of receiving a large sum of money, by way of ransom. Your father did not hesitate an instant, and the sum was sent to the frontier of Piedmont, with a passport signed for Italy. You were in the south of France, I think?”
“Yes,” replied Andrea, with an embarrassed air, “I was in the south of France.”
“A carriage was to await you at Nice?”
“Precisely so; and it conveyed me from Nice to Genoa, from Genoa to Turin, from Turin to Chambéry, from Chambéry to Pont–de–Beauvoisin, and from Pont–de–Beauvoisin to Paris.”
“Indeed? Then your father ought to have met with you on the road, for it is exactly the same route which he himself took, and that is how we have been able to trace your journey to this place.”
“But,” said Andrea, “if my father had met me, I doubt if he would have recognized me; I must be somewhat altered since he last saw me.”
“Oh, the voice of nature,” said Monte Cristo.
“True,” interrupted the young man, “I had not looked upon it in that light.”
“Now,” replied Monte Cristo “there is only one source of uneasiness left in your father’s mind, which is this—he is anxious to know how you have been employed during your long absence from him, how you have been treated by your persecutors, and if they have conducted themselves towards you with all the deference due to your rank. Finally, he is anxious to see if you have been fortunate enough to escape the bad moral influence to which you have been exposed, and which is infinitely more to be dreaded than any physical suffering; he wishes to discover if the fine abilities with which nature had endowed you have been weakened by want of culture; and, in short, whether you consider yourself capable of resuming and retaining in the world the high position to which your rank entitles you.”
“Sir!” exclaimed the young man, quite astounded, “I hope no false report”—
“As for myself, I first heard you spoken of by my friend Wilmore, the philanthropist. I believe he found you in some unpleasant position, but do not know of what nature, for I did not ask, not being inquisitive. Your misfortunes engaged his sympathies, so you see you must have been interesting. He told me that he was anxious to restore you to the position which you had lost, and that he would seek your father until he found him. He did seek, and has found him, apparently, since he is here now; and, finally, my friend apprised me of your coming, and gave me a few other instructions relative to your future fortune. I am quite aware that my friend Wilmore is peculiar, but he is sincere, and as rich as a gold–mine, consequently, he may indulge his eccentricities without any fear of their ruining him, and I have promised to adhere to his instructions. Now, sir, pray do not be offended at the question I am about to put to you, as it comes in the way of my duty as your patron. I would wish to know if the misfortunes which have happened to you—misfortunes entirely beyond your control, and which in no degree diminish my regard for you—I would wish to know if they have not, in some measure, contributed to render you a stranger to the world in which your fortune and your name entitle you to make a conspicuous figure?”
“Sir,” returned the young man, with a reassurance of manner, “make your mind easy on this score. Those who took me from my father, and who always intended, sooner or later, to sell me again to my original proprietor, as they have now done, calculated that, in order to make the most of their bargain, it would be politic to leave me in possession of all my personal and hereditary worth, and even to increase the value, if possible. I have, therefore, received a very good education, and have been treated by these kidnappers very much as the slaves were treated in Asia Minor, whose masters made them grammarians, doctors, and philosophers, in order that they might fetch a higher price in the Roman market.” Monte Cristo smiled with satisfaction; it appeared as if he had not expected so much from M. Andrea Cavalcanti. “Besides,” continued the young man, “if there did appear some defect in education, or offence against the established forms of etiquette, I suppose it would be excused, in consideration of the misfortunes which accompanied my birth, and followed me through my youth.”
“Well,” said Monte Cristo in an indifferent tone, “you will do as you please, count, for you are the master of your own actions, and are the person most concerned in the matter, but if I were you, I would not divulge a word of these adventures. Your history is quite a romance, and the world, which delights in romances in yellow covers, strangely mistrusts those which are bound in living parchment, even though they be gilded like yourself. This is the kind of difficulty which I wished to represent to you, my dear count. You would hardly have recited your touching history before it would go forth to the world, and be deemed unlikely and unnatural. You would be no longer a lost child found, but you would be looked upon as an upstart, who had sprung up like a mushroom in the night. You might excite a little curiosity, but it is not every one who likes to be made the centre of observation and the subject of unpleasant remark.”
“I agree with you, monsieur,” said the young man, turning pale, and, in spite of himself, trembling beneath the scrutinizing look of his companion, “such consequences would be extremely unpleasant.”
“Nevertheless, you must not exaggerate the evil,” said Monte Cristo, “for by endeavoring to avoid one fault you will fall into another. You must resolve upon one simple and single line of conduct, and for a man of your intelligence, this plan is as easy as it is necessary; you must form honorable friendships, and by that means counteract the prejudice which may attach to the obscurity of your former life.” Andrea visibly changed countenance. “I would offer myself as your surety and friendly adviser,” said Monte Cristo, “did I not possess a moral distrust of my best friends, and a sort of inclination to lead others to doubt them too; therefore, in departing from this rule, I should (as the actors say) be playing a part quite out of my line, and should, therefore, run the risk of being hissed, which would be an act of folly.”
“However, your excellency,” said Andrea, “in consideration of Lord Wilmore, by whom I was recommended to you—”
“Yes, certainly,” interrupted Monte Cristo; “but Lord Wilmore did not omit to inform me, my dear M. Andrea, that the season of your youth was rather a stormy one. Ah,” said the count, watching Andrea’s countenance, “I do not demand any confession from you; it is precisely to avoid that necessity that your father was sent for from Lucca. You shall soon see him. He is a little stiff and pompous in his manner, and he is disfigured by his uniform; but when it becomes known that he has been for eighteen years in the Austrian service, all that will be pardoned. We are not generally very severe with the Austrians. In short, you will find your father a very presentable person, I assure you.”
“Ah, sir, you have given me confidence; it is so long since we were separated, that I have not the least remembrance of him, and, besides, you know that in the eyes of the world a large fortune covers all defects.”
“He is a millionaire—his income is 500,000 francs.”
“Then,” said the young man, with anxiety, “I shall be sure to be placed in an agreeable position.”
“One of the most agreeable possible, my dear sir; he will allow you an income of 50,000 livres per annum during the whole time of your stay in Paris.”
“Then in that case I shall always choose to remain there.”
“You cannot control circumstances, my dear sir; ‘man proposes, and God disposes.’” Andrea sighed. “But,” said he, “so long as I do remain in Paris, and nothing forces me to quit it, do you mean to tell me that I may rely on receiving the sum you just now mentioned to me?”
“You may.”
“Shall I receive it from my father?” asked Andrea, with some uneasiness.
“Yes, you will receive it from your father personally, but Lord Wilmore will be the security for the money. He has, at the request of your father, opened an account of 6,000. francs a month at M. Danglars’, which is one of the safest banks in Paris.”
“And does my father mean to remain long in Paris?” asked Andrea.
“Only a few days,” replied Monte Cristo. “His service does not allow him to absent himself more than two or three weeks together.”
“Ah, my dear father!” exclaimed Andrea, evidently charmed with the idea of his speedy departure.
“Therefore,” said Monte Cristo feigning to mistake his meaning—”therefore I will not, for another instant, retard the pleasure of your meeting. Are you prepared to embrace your worthy father?”
“I hope you do not doubt it.”
“Go, then, into the drawing–room, my young friend, where you will find your father awaiting you.” Andrea made a low bow to the count, and entered the adjoining room. Monte Cristo watched him till he disappeared, and then touched a spring in a panel made to look like a picture, which, in sliding partly from the frame, discovered to view a small opening, so cleverly contrived that it revealed all that was passing in the drawing–room now occupied by Cavalcanti and Andrea. The young man closed the door behind him, and advanced towards the major, who had risen when he heard steps approaching him. “Ah, my dear father!” said Andrea in a loud voice, in order that the count might hear him in the next room, “is it really you?”
“How do you do, my dear son?” said the major gravely.
“After so many years of painful separation,” said Andrea, in the same tone of voice, and glancing towards the door, “what a happiness it is to meet again!”
“Indeed it is, after so long a separation.”
“Will you not embrace me, sir?” said Andrea.
“If you wish it, my son,” said the major; and the two men embraced each other after the fashion of actors on the stage; that is to say, each rested his head on the other’s shoulder.
“Then we are once more reunited?” said Andrea.
“Once more,” replied the major.
“Never more to be separated?”
“Why, as to that—I think, my dear son, you must be by this time so accustomed to France as to look upon it almost as a second country.”
“The fact is,” said the young man, “that I should be exceedingly grieved to leave it.”
“As for me, you must know I cannot possibly live out of Lucca; therefore I shall return to Italy as soon as I can.”
“But before you leave France, my dear father, I hope you will put me in possession of the documents which will be necessary to prove my descent.”
“Certainly; I am come expressly on that account; it has cost me much trouble to find you, but I had resolved on giving them into your hands, and if I had to recommence my search, it would occupy all the few remaining years of my life.”
“Where are these papers, then?”
“Here they are.”
Andrea seized the certificate of his father’s marriage and his own baptismal register, and after having opened them with all the eagerness which might be expected under the circumstances, he read them with a facility which proved that he was accustomed to similar documents, and with an expression which plainly denoted an unusual interest in the contents. When he had perused the documents, an indefinable expression of pleasure lighted up his countenance, and looking at the major with a most peculiar smile, he said, in very excellent Tuscan,—”Then there is no longer any such thing, in Italy as being condemned to the galleys?” The major drew himself up to his full height.
“Why?—what do you mean by that question?”
“I mean that if there were, it would be impossible to draw up with impunity two such deeds as these. In France, my dear sir, half such a piece of effrontery as that would cause you to be quickly despatched to Toulon for five years, for change of air.”
“Will you be good enough to explain your meaning?” said the major, endeavoring as much as possible to assume an air of the greatest majesty.
“My dear M. Cavalcanti,” said Andrea, taking the major by the arm in a confidential manner, “how much are you paid for being my father?” The major was about to speak, when Andrea continued, in a low voice.
“Nonsense, I am going to set you an example of confidence, they give me 50,000 francs a year to be your son; consequently, you can understand that it is not at all likely I shall ever deny my parent.” The major looked anxiously around him. “Make yourself easy, we are quite alone,” said Andrea; “besides, we are conversing in Italian.”
“Well, then,” replied the major, “they paid me 50,000 francs down.”
“Monsieur Cavalcanti,” said Andrea, “do you believe in fairy tales?”
“I used not to do so, but I really feel now almost obliged to have faith in them.”
“You have, then, been induced to alter your opinion; you have had some proofs of their truth?” The major drew from his pocket a handful of gold. “Most palpable proofs,” said he, “as you may perceive.”
“You think, then, that I may rely on the count’s promises?”
“Certainly I do.”
“You are sure he will keep his word with me?”
“To the letter, but at the same time, remember, we must continue to play our respective parts. I, as a tender father”—
“And I as a dutiful son, as they choose that I shall be descended from you.”
“Whom do you mean by they?”
“Ma foi, I can hardly tell, but I was alluding to those who wrote the letter; you received one, did you not?”
“Yes.”
“From whom?”
“From a certain Abbé Busoni.”
“Have you any knowledge of him?”
“No, I have never seen him.”
“What did he say in the letter?”
“You will promise not to betray me?”
“Rest assured of that; you well know that our interests are the same.”
“Then read for yourself;” and the major gave a letter into the young man’s hand. Andrea read in a low voice—
“You are poor; a miserable old age awaits you. Would you like to become rich, or at least independent? Set out immediately for Paris, and demand of the Count of Monte Cristo, Avenue des Champs Élysées, No. 30, the son whom you had by the Marchesa Corsinari, and who was taken from you at five years of age. This son is named Andrea Cavalcanti. In order that you may not doubt the kind intention of the writer of this letter, you will find enclosed an order for 2,400 francs, payable in Florence, at Signor Gozzi’s; also a letter of introduction to the Count of Monte Cristo, on whom I give you a draft of 48,000 francs. Remember to go to the count on the 26th May at seven o’clock in the evening.
(Signed)
“Abbé Busoni.”
“It is the same.”
“What do you mean?” said the major.
“I was going to say that I received a letter almost to the same effect.”
“You?”
“Yes.”
“From the Abbé Busoni?”
“No.”
“From whom, then?”
“From an Englishman, called Lord Wilmore, who takes the name of Sinbad the Sailor.”
“And of whom you have no more knowledge than I of the Abbé Busoni?”
“You are mistaken; there I am ahead of you.”
“You have seen him, then?”
“Yes, once.”
“Where?”
“Ah, that is just what I cannot tell you; if I did, I should make you as wise as myself, which it is not my intention to do.”
“And what did the letter contain?”
“Read it.”
”’You are poor, and your future prospects are dark and gloomy. Do you wish for a name? should you like to be rich, and your own master?’”
“Ma foi,” said the young man; “was it possible there could be two answers to such a question?”
“Take the post–chaise which you will find waiting at the Porte de Genes, as you enter Nice; pass through Turin, Chambéry, and Pont–de–Beauvoisin. Go to the Count of Monte Cristo, Avenue des Champs Élysées, on the 26th of May, at seven o’clock in the evening, and demand of him your father. You are the son of the Marchese Cavalcanti and the Marchesa Olivia Corsinari. The marquis will give you some papers which will certify this fact, and authorize you to appear under that name in the Parisian world. As to your rank, an annual income of 50,000 livres will enable you to support it admirably. I enclose a draft for 5,000 livres, payable on Signor Ferrea, banker at Nice, and also a letter of introduction to the Count of Monte Cristo, whom I have directed to supply all your wants.
“Sinbad the Sailor.”
“Humph,” said the major; “very good. You have seen the count, you say?”
“I have only just left him.”
“And has he conformed to all that the letter specified?”
“He has.”
“Do you understand it?”
“Not in the least.”
“There is a dupe somewhere.”
“At all events, it is neither you nor I.”
“Certainly not.”
“Well, then”—
“Why, it does not much concern us, do you think it does?”
“No; I agree with you there. We must play the game to the end, and consent to be blindfold.”
“Ah, you shall see; I promise you I will sustain my part to admiration.”
“I never once doubted your doing so.” Monte Cristo chose this moment for re–entering the drawing–room. On hearing the sound of his footsteps, the two men threw themselves in each other’s arms, and while they were in the midst of this embrace, the count entered. “Well, marquis,” said Monte Cristo, “you appear to be in no way disappointed in the son whom your good fortune has restored to you.”
“Ah, your excellency, I am overwhelmed with delight.”
“And what are your feelings?” said Monte Cristo, turning to the young man.
“As for me, my heart is overflowing with happiness.”
“Happy father, happy son!” said the count.
“There is only one thing which grieves me,” observed the major, “and that is the necessity for my leaving Paris so soon.”
“Ah, my dear M. Cavalcanti, I trust you will not leave before I have had the honor of presenting you to some of my friends.”
“I am at your service, sir,” replied the major.
“Now, sir,” said Monte Cristo, addressing Andrea, “make your confession.”
“To whom?”
“Tell M. Cavalcanti something of the state of your finances.”
“Ma foi, monsieur, you have touched upon a tender chord.”
“Do you hear what he says, major?”
“Certainly I do.”
“But do you understand?”
“I do.”
“Your son says he requires money.”
“Well, what would you have me do?” said the major.
“You should furnish him with some of course,” replied Monte Cristo.
“I?” “Yes, you,” said the count, at the same time advancing towards Andrea, and slipping a packet of bank–notes into the young man’s hand.
“What is this?”
“It is from your father.”
“From my father?”
“Yes; did you not tell him just now that you wanted money? Well, then, he deputes me to give you this.”
“Am I to consider this as part of my income on account?”
“No, it is for the first expenses of your settling in Paris.”
“Ah, how good my dear father is!”
“Silence,” said Monte Cristo; “he does not wish you to know that it comes from him.”
“I fully appreciate his delicacy,” said Andrea, cramming the notes hastily into his pocket.
“And now, gentlemen, I wish you good–morning,” said Monte Cristo.
“And when shall we have the honor of seeing you again, your excellency?” asked Cavalcanti.
“Ah,” said Andrea, “when may we hope for that pleasure?”
“On Saturday, if you will—Yes.—Let me see—Saturday—I am to dine at my country house, at Auteuil, on that day, Rue de la Fontaine, No. 28. Several persons are invited, and among others, M. Danglars, your banker. I will introduce you to him, for it will be necessary he should know you, as he is to pay your money.”
“Full dress?” said the major, half aloud.
“Oh, yes, certainly,” said the count; “uniform, cross, knee–breeches.”
“And how shall I be dressed?” demanded Andrea.
“Oh, very simply; black trousers, patent leather boots, white waistcoat, either a black or Prussian blue coat, and a long cravat. Go to Blin or Veronique for your clothes. Baptistin will tell you where, if you do not know their address. The less pretension there is in your attire, the better will be the effect, as you are a rich man. If you mean to buy any horses, get them of Devedeux, and if you purchase a phaeton, go to Baptiste for it.”
“At what hour shall we come?” asked the young man.
“About half–past six.”
“We will be with you at that time,” said the major. The two Cavalcanti bowed to the count, and left the house. Monte Cristo went to the window, and saw them crossing the street, arm in arm. “There go two miscreants;” said he, “it is a pity they are not really related!”—then, after an instant of gloomy reflection, “Come, I will go to see the Morrels,” said he; “I think that disgust is even more sickening than hatred.”
Meanwhile M. Cavalcanti the elder had returned to his service, not in the army of His Majesty the Emperor of Austria, but at the gambling–table of the baths of Lucca, of which he was one of the most assiduous courtiers. He had spent every farthing that had been allowed for his journey as a reward for the majestic and solemn manner in which he had maintained his assumed character of father. M. Andrea at his departure inherited all the papers which proved that he had indeed the honor of being the son of the Marquis Bartolomeo and the Marquise Olivia Corsinari. He was now fairly launched in that Parisian society which gives such ready access to foreigners, and treats them, not as they really are, but as they wish to be considered. Besides, what is required of a young man in Paris? To speak its language tolerably, to make a good appearance, to be a good gamester, and to pay in cash. They are certainly less particular with a foreigner than with a Frenchman. Andrea had, then, in a fortnight, attained a very fair position. He was called count, he was said to possess 50,000 livres per annum; and his father’s immense riches, buried in the quarries of Saravezza, were a constant theme. A learned man, before whom the last circumstance was mentioned as a fact, declared he had seen the quarries in question, which gave great weight to assertions hitherto somewhat doubtful, but which now assumed the garb of reality.
Such was the state of society in Paris at the period we bring before our readers, when Monte Cristo went one evening to pay M. Danglars a visit. M. Danglars was out, but the count was asked to go and see the baroness, and he accepted the invitation. It was never without a nervous shudder, since the dinner at Auteuil, and the events which followed it, that Madame Danglars heard Monte Cristo’s name announced. If he did not come, the painful sensation became most intense; if, on the contrary, he appeared, his noble countenance, his brilliant eyes, his amiability, his polite attention even towards Madame Danglars, soon dispelled every impression of fear. It appeared impossible to the baroness that a man of such delightfully pleasing manners should entertain evil designs against her; besides, the most corrupt minds only suspect evil when it would answer some interested end—useless injury is repugnant to every mind. When Monte Cristo entered the boudoir,—to which we have already once introduced our readers, and where the baroness was examining some drawings, which her daughter passed to her after having looked at them with M. Cavalcanti,—his presence soon produced its usual effect, and it was with smiles that the baroness received the count, although she had been a little disconcerted at the announcement of his name. The latter took in the whole scene at a glance.
The baroness was partially reclining on a sofa, Eugénie sat near her, and Cavalcanti was standing. Cavalcanti, dressed in black, like one of Goethe’s heroes, with varnished shoes and white silk open–worked stockings, passed a white and tolerably nice–looking hand through his light hair, and so displayed a sparkling diamond, that in spite of Monte Cristo’s advice the vain young man had been unable to resist putting on his little finger. This movement was accompanied by killing glances at Mademoiselle Danglars, and by sighs launched in the same direction. Mademoiselle Danglars was still the same—cold, beautiful, and satirical. Not one of these glances, nor one sigh, was lost on her; they might have been said to fall on the aegis of Athena, which some philosophers assert protected sometimes the breast of Sappho. Eugénie bowed coldly to the count, and availed herself of the first moment when the conversation became earnest to escape to her study, whence very soon two cheerful and noisy voices being heard in connection with occasional notes of the piano assured Monte Cristo that Mademoiselle Danglars preferred to his society and to that of M. Cavalcanti the company of Mademoiselle Louise d’Armilly, her singing teacher.
It was then, especially while conversing with Madame Danglars, and apparently absorbed by the charm of the conversation, that the count noticed M. Andrea Cavalcanti’s solicitude, his manner of listening to the music at the door he dared not pass, and of manifesting his admiration. The banker soon returned. His first look was certainly directed towards Monte Cristo, but the second was for Andrea. As for his wife, he bowed to her, as some husbands do to their wives, but in a way that bachelors will never comprehend, until a very extensive code is published on conjugal life.
“Have not the ladies invited you to join them at the piano?” said Danglars to Andrea. “Alas, no, sir,” replied Andrea with a sigh, still more remarkable than the former ones. Danglars immediately advanced towards the door and opened it.
The two young ladies were seen seated on the same chair, at the piano, accompanying themselves, each with one hand, a fancy to which they had accustomed themselves, and performed admirably. Mademoiselle d’Armilly, whom they then perceived through the open doorway, formed with Eugénie one of the tableaux vivants of which the Germans are so fond. She was somewhat beautiful, and exquisitely formed—a little fairy–like figure, with large curls falling on her neck, which was rather too long, as Perugino sometimes makes his Virgins, and her eyes dull from fatigue. She was said to have a weak chest, and like Antonia in the “Cremona Violin,” she would die one day while singing. Monte Cristo cast one rapid and curious glance round this sanctum; it was the first time he had ever seen Mademoiselle d’Armilly, of whom he had heard much. “Well,” said the banker to his daughter, “are we then all to be excluded?” He then led the young man into the study, and either by chance or manoeuvre the door was partially closed after Andrea, so that from the place where they sat neither the Count nor the baroness could see anything; but as the banker had accompanied Andrea, Madame Danglars appeared to take no notice of it.
The count soon heard Andrea’s voice, singing a Corsican song, accompanied by the piano. While the count smiled at hearing this song, which made him lose sight of Andrea in the recollection of Benedetto, Madame Danglars was boasting to Monte Cristo of her husband’s strength of mind, who that very morning had lost three or four hundred thousand francs by a failure at Milan. The praise was well deserved, for had not the count heard it from the baroness, or by one of those means by which he knew everything, the baron’s countenance would not have led him to suspect it. “Hem,” thought Monte Cristo, “he begins to conceal his losses; a month since he boasted of them.” Then aloud,—”Oh, madame, M. Danglars is so skilful, he will soon regain at the Bourse what he loses elsewhere.”
“I see that you participate in a prevalent error,” said Madame Danglars. “What is it?” said Monte Cristo.
“That M. Danglars speculates, whereas he never does.”
“Truly, madame, I recollect M. Debray told me—apropos, what is become of him? I have seen nothing of him the last three or four days.”
“Nor I,” said Madame Danglars; “but you began a sentence, sir, and did not finish.”
“Which?”
“M. Debray had told you”—
“Ah, yes; he told me it was you who sacrificed to the demon of speculation.”
“I was once very fond of it, but I do not indulge now.”
“Then you are wrong, madame. Fortune is precarious; and if I were a woman and fate had made me a banker’s wife, whatever might be my confidence in my husband’s good fortune, still in speculation you know there is great risk. Well, I would secure for myself a fortune independent of him, even if I acquired it by placing my interests in hands unknown to him.” Madame Danglars blushed, in spite of all her efforts. “Stay,” said Monte Cristo, as though he had not observed her confusion, “I have heard of a lucky hit that was made yesterday on the Neapolitan bonds.”
“I have none—nor have I ever possessed any; but really we have talked long enough of money, count, we are like two stockbrokers; have you heard how fate is persecuting the poor Villeforts?”
“What has happened?” said the count, simulating total ignorance.
“You know the Marquis of Saint–Méran died a few days after he had set out on his journey to Paris, and the marquise a few days after her arrival?”
“Yes,” said Monte Cristo, “I have heard that; but, as Claudius said to Hamlet, ‘it is a law of nature; their parents died before them, and they mourned their loss; they will die before their children, who will, in their turn, grieve for them.’”
“But that is not all.”
“Not all!”
“No; they were going to marry their daughter”—
“To M. Franz d’Épinay. Is it broken off?”
“Yesterday morning, it appears, Franz declined the honor.”
“Indeed? And is the reason known?”
“No.”
“How extraordinary! And how does M. de Villefort bear it?”
“As usual. Like a philosopher.” Danglars returned at this moment alone. “Well,” said the baroness, “do you leave M. Cavalcanti with your daughter?”
“And Mademoiselle d’Armilly,” said the banker; “do you consider her no one?” Then, turning to Monte Cristo, he said, “Prince Cavalcanti is a charming young man, is he not? But is he really a prince?”
“I will not answer for it,” said Monte Cristo. “His father was introduced to me as a marquis, so he ought to be a count; but I do not think he has much claim to that title.”
“Why?” said the banker. “If he is a prince, he is wrong not to maintain his rank; I do not like any one to deny his origin.”
“Oh, you are a thorough democrat,” said Monte Cristo, smiling.
“But do you see to what you are exposing yourself?” said the baroness. “If, perchance, M. de Morcerf came, he would find M. Cavalcanti in that room, where he, the betrothed of Eugénie, has never been admitted.”
“You may well say, perchance,” replied the banker; “for he comes so seldom, it would seem only chance that brings him.”
“But should he come and find that young man with your daughter, he might be displeased.”
“He? You are mistaken. M. Albert would not do us the honor to be jealous; he does not like Eugénie sufficiently. Besides, I care not for his displeasure.”
“Still, situated as we are”—
“Yes, do you know how we are situated? At his mother’s ball he danced once with Eugénie, and M. Cavalcanti three times, and he took no notice of it.” The valet announced the Vicomte Albert de Morcerf. The baroness rose hastily, and was going into the study, when Danglars stopped her. “Let her alone,” said he. She looked at him in amazement. Monte Cristo appeared to be unconscious of what passed. Albert entered, looking very handsome and in high spirits. He bowed politely to the baroness, familiarly to Danglars, and affectionately to Monte Cristo. Then turning to the baroness: “May I ask how Mademoiselle Danglars is?” said he.
“She is quite well,” replied Danglars quickly; “she is at the piano with M. Cavalcanti.” Albert retained his calm and indifferent manner; he might feel perhaps annoyed, but he knew Monte Cristo’s eye was on him. “M. Cavalcanti has a fine tenor voice,” said he, “and Mademoiselle Eugénie a splendid soprano, and then she plays the piano like Thalberg. The concert must be a delightful one.”
“They suit each other remarkably well,” said Danglars. Albert appeared not to notice this remark, which was, however, so rude that Madame Danglars blushed.
“I, too,” said the young man, “am a musician—at least, my masters used to tell me so; but it is strange that my voice never would suit any other, and a soprano less than any.” Danglars smiled, and seemed to say, “It is of no consequence.” Then, hoping doubtless to effect his purpose, he said,—”The prince and my daughter were universally admired yesterday. You were not of the party, M. de Morcerf?”
“What prince?” asked Albert. “Prince Cavalcanti,” said Danglars, who persisted in giving the young man that title.
“Pardon me,” said Albert, “I was not aware that he was a prince. And Prince Cavalcanti sang with Mademoiselle Eugénie yesterday? It must have been charming, indeed. I regret not having heard them. But I was unable to accept your invitation, having promised to accompany my mother to a German concert given by the Baroness of Château–Renaud.” This was followed by rather an awkward silence. “May I also be allowed,” said Morcerf, “to pay my respects to Mademoiselle Danglars?” “Wait a moment,” said the banker, stopping the young man; “do you hear that delightful cavatina? Ta, ta, ta, ti, ta, ti, ta, ta; it is charming, let them finish—one moment. Bravo, bravi, brava!” The banker was enthusiastic in his applause.
“Indeed,” said Albert, “it is exquisite; it is impossible to understand the music of his country better than Prince Cavalcanti does. You said prince, did you not? But he can easily become one, if he is not already; it is no uncommon thing in Italy. But to return to the charming musicians—you should give us a treat, Danglars, without telling them there is a stranger. Ask them to sing one more song; it is so delightful to hear music in the distance, when the musicians are unrestrained by observation.”
Danglars was quite annoyed by the young man’s indifference. He took Monte Cristo aside. “What do you think of our lover?” said he.
“He appears cool. But, then your word is given.”
“Yes, doubtless I have promised to give my daughter to a man who loves her, but not to one who does not. See him there, cold as marble and proud like his father. If he were rich, if he had Cavalcanti’s fortune, that might be pardoned. Ma foi, I haven’t consulted my daughter; but if she has good taste”—
“Oh,” said Monte Cristo, “my fondness may blind me, but I assure you I consider Morcerf a charming young man who will render your daughter happy and will sooner or later attain a certain amount of distinction, and his father’s position is good.”
“Hem,” said Danglars.
“Why do you doubt?”
“The past—that obscurity on the past.”
“But that does not affect the son.”
“Very true.”
“Now, I beg of you, don’t go off your head. It’s a month now that you have been thinking of this marriage, and you must see that it throws some responsibility on me, for it was at my house you met this young Cavalcanti, whom I do not really know at all.”
“But I do.”
“Have you made inquiry?”
“Is there any need of that! Does not his appearance speak for him? And he is very rich.”
“I am not so sure of that.”
“And yet you said he had money.”
“Fifty thousand livres—a mere trifle.”
“He is well educated.”
“Hem,” said Monte Cristo in his turn.
“He is a musician.”
“So are all Italians.”
“Come, count, you do not do that young man justice.”
“Well, I acknowledge it annoys me, knowing your connection with the Morcerf family, to see him throw himself in the way.” Danglars burst out laughing. “What a Puritan you are!” said he; “that happens every day.”
“But you cannot break it off in this way; the Morcerfs are depending on this union.”
“Indeed.”
“Positively.”
“Then let them explain themselves; you should give the father a hint, you are so intimate with the family.”
“I?—where the devil did you find out that?”
“At their ball; it was apparent enough. Why, did not the countess, the proud Mercedes, the disdainful Catalane, who will scarcely open her lips to her oldest acquaintances, take your arm, lead you into the garden, into the private walks, and remain there for half an hour?”
“Ah, baron, baron,” said Albert, “you are not listening—what barbarism in a megalomaniac like you!”
“Oh, don’t worry about me, Sir Mocker,” said Danglars; then turning to the count he said, “but will you undertake to speak to the father?”
“Willingly, if you wish it.”
“But let it be done explicitly and positively. If he demands my daughter let him fix the day—declare his conditions; in short, let us either understand each other, or quarrel. You understand—no more delay.”
“Yes, sir, I will give my attention to the subject.”
“I do not say that I await with pleasure his decision, but I do await it. A banker must, you know, be a slave to his promise.” And Danglars sighed as M. Cavalcanti had done half an hour before. “Bravi, bravo, brava!” cried Morcerf, parodying the banker, as the selection came to an end. Danglars began to look suspiciously at Morcerf, when some one came and whispered a few words to him. “I shall soon return,” said the banker to Monte Cristo; “wait for me. I shall, perhaps, have something to say to you.” And he went out.
The baroness took advantage of her husband’s absence to push open the door of her daughter’s study, and M. Andrea, who was sitting before the piano with Mademoiselle Eugénie, started up like a jack–in–the–box. Albert bowed with a smile to Mademoiselle Danglars, who did not appear in the least disturbed, and returned his bow with her usual coolness. Cavalcanti was evidently embarrassed; he bowed to Morcerf, who replied with the most impertinent look possible. Then Albert launched out in praise of Mademoiselle Danglars’ voice, and on his regret, after what he had just heard, that he had been unable to be present the previous evening. Cavalcanti, being left alone, turned to Monte Cristo.
“Come,” said Madame Danglars, “leave music and compliments, and let us go and take tea.”
“Come, Louise,” said Mademoiselle Danglars to her friend. They passed into the next drawing–room, where tea was prepared. Just as they were beginning, in the English fashion, to leave the spoons in their cups, the door again opened and Danglars entered, visibly agitated. Monte Cristo observed it particularly, and by a look asked the banker for an explanation. “I have just received my courier from Greece,” said Danglars.
“Ah, yes,” said the count; “that was the reason of your running away from us.”
“Yes.”
“How is King Otho getting on?” asked Albert in the most sprightly tone. Danglars cast another suspicious look towards him without answering, and Monte Cristo turned away to conceal the expression of pity which passed over his features, but which was gone in a moment. “We shall go together, shall we not?” said Albert to the count.
“If you like,” replied the latter. Albert could not understand the banker’s look, and turning to Monte Cristo, who understood it perfectly,—”Did you see,” said he, “how he looked at me?”
“Yes,” said the count; “but did you think there was anything particular in his look?”
“Indeed, I did; and what does he mean by his news from Greece?”
“How can I tell you?”
“Because I imagine you have correspondents in that country.” Monte Cristo smiled significantly.
“Stop,” said Albert, “here he comes. I shall compliment Mademoiselle Danglars on her cameo, while the father talks to you.”
“If you compliment her at all, let it be on her voice, at least,” said Monte Cristo.
“No, every one would do that.”
“My dear viscount, you are dreadfully impertinent.” Albert advanced towards Eugénie, smiling. Meanwhile, Danglars, stooping to Monte Cristo’s ear, “Your advice was excellent,” said he; “there is a whole history connected with the names Ferran and Yanina.”
“Indeed?” said Monte Cristo.
“Yes, I will tell you all; but take away the young man; I cannot endure his presence.”
“He is going with me. Shall I send the father to you?”
“Immediately.”
“Very well.” The count made a sign to Albert and they bowed to the ladies, and took their leave, Albert perfectly indifferent to Mademoiselle Danglars’ contempt, Monte Cristo reiterating his advice to Madame Danglars on the prudence a banker’s wife should exercise in providing for the future. M. Cavalcanti remained master of the field.
Valentine, whom we have in the rapid march of our narrative presented to our readers without formally introducing her, was a tall and graceful girl of nineteen, with bright chestnut hair, deep blue eyes, and that reposeful air of quiet distinction which characterized her mother, the late Renée de Villefort. Her white and slender fingers, her pearly neck, her cheeks tinted with varying hues reminded one of the lovely English Roses who have been so poetically compared in their manner to the gracefulness of a swan. She entered the apartment, and seeing near her stepmother the stranger of whom she had already heard so much, saluted him without any girlish awkwardness, or even lowering her eyes, and with an elegance that redoubled the count’s attention. He rose to return the salutation. “Mademoiselle de Villefort, my stepdaughter,” said Madame de Villefort to Monte Cristo, leaning back on her sofa and motioning towards Valentine with her hand.
It was indeed Madame Danglars and her daughter whom Valentine had seen; they had been ushered into Madame Heloïse de Villefort’s room, who had said she would receive them there. That is why Valentine passed through her room, which was on a level with Valentine’s. The two ladies entered the drawing–room with that sort of official stiffness which preludes a formal communication. Among worldly people manner is contagious. Madame de Villefort received them with equal solemnity. Valentine entered at this moment, and the formalities were resumed. “My dear friend,” said the baroness, while the two young people were shaking hands, “I and Eugénie are come to be the first to announce to you the approaching marriage of my daughter with Prince Cavalcanti.” M. Danglars still called his daughter's suitor a prince. The popular banker found that it answered better than count. “Allow me to present you my sincere congratulations,” replied Madame de Villefort. “Prince Cavalcanti appears to be a young man of rare qualities.”
“Listen,” said the baroness, smiling; “speaking to you as a friend I can say that the prince does not yet appear all he will be. He has about him a little of that foreign manner by which the French recognize, at first sight, the Italian or German nobleman. Besides, he gives evidence of great kindness of disposition, much keenness of wit, and as to suitability, M. Danglars assures me that his fortune is majestic—that is his word.”
“And then,” said Eugénie, while turning over the leaves of Madame de Villefort’s album, “add that you have taken a great fancy to the young man.”
“And,” said Madame de Villefort, “I need not ask you if you share that fancy.”
“I?” replied Eugénie with her usual candor. “Oh, not the least in the world, madame! My wish was not to confine myself to domestic cares, or the caprices of any man, but to be an artist, and consequently free in heart, in person, and in thought.” Eugénie pronounced these words with so firm a tone that the color mounted to Valentine’s cheeks. The timid girl could not understand that vigorous nature which appeared to have none of the timidities of woman.
“At any rate,” said she, “since I am to be married whether I will or not, I ought to be thankful to providence for having released me from my engagement with M. Albert de Morcerf, or I should this day have been the wife of a dishonored man.”
“It is true,” said the baroness, with that strange simplicity sometimes met with among fashionable ladies, and of which plebeian intercourse can never entirely deprive them,—”it is very true that had not the Morcerfs hesitated, my daughter would have married Monsieur Albert. The general depended much on it; he even came to force M. Danglars. We have had a narrow escape.”
“But,” said Valentine, timidly, “does all the father’s shame revert upon the son? Monsieur Albert appears to me quite innocent of the treason charged against the general.”
“Excuse me,” said the implacable young girl, “Monsieur Albert claims and well deserves his share. It appears that after having challenged M. de Monte Cristo at the Opera yesterday, he apologized on the ground to–day.”
“Impossible,” said Madame de Villefort.
“Ah, my dear friend,” said Madame Danglars, with the same simplicity we before noticed, “it is a fact. I heard it from M. Debray, who was present at the explanation.” Valentine also knew the truth, but she did not answer. A single word had reminded her that Morrel was expecting her in M. Noirtier’s room. Deeply engaged with a sort of inward contemplation, Valentine had ceased for a moment to join in the conversation. She would, indeed, have found it impossible to repeat what had been said the last few minutes, when suddenly Madame Danglars’ hand, pressed on her arm, aroused her from her lethargy.
“What is it?” said she, starting at Madame Danglars’ touch as she would have done from an electric shock. “It is, my dear Valentine,” said the baroness, “that you are, doubtless, suffering.”
“I?” said the young girl, passing her hand across her burning forehead.
“Yes, look at yourself in that glass; you have turned pale and then red successively, three or four times in one minute.”
“Indeed,” cried Eugénie, “you are very pale!”
“Oh, do not be alarmed; I have been so for many days.” Artless as she was, the young girl knew that this was an opportunity to leave, and besides, Madame de Villefort came to her assistance. “Retire, Valentine,” said she; “you are really suffering, and these ladies will excuse you; drink a glass of pure water, it will restore you.” Valentine kissed Eugénie, bowed to Madame Danglars, who had already risen to take her leave, and went out. “That poor child,” said Madame de Villefort when Valentine was gone, “she makes me very uneasy, and I should not be astonished if she had some serious illness.”
Meanwhile, Valentine, in a sort of excitement which she could not quite understand, had reached the little staircase. She was within three steps of the bottom; she already heard Morrel’s voice, when suddenly a cloud passed over her eyes, her stiffened foot missed the step, her hands had no power to hold the baluster, and falling against the wall she lost her balance wholly and toppled to the floor. Morrel bounded to the door, opened it, and found Valentine stretched out at the bottom of the stairs. Quick as a flash, he raised her in his arms and placed her in a chair. Valentine opened her eyes.
“Oh, what a clumsy thing I am,” said she with feverish volubility; “I don’t know my way. I forgot there were three more steps before the landing.”
“You have hurt yourself, perhaps,” said Morrel. “What can I do for you, Valentine?” Valentine looked around her; she saw the deepest terror depicted in Noirtier’s eyes. “Don’t worry, dear grandpapa,” said she, endeavoring to smile; “it is nothing—it is nothing; I was giddy, that is all.”
“Another attack of giddiness,” said Morrel, clasping his hands. “Oh, attend to it, Valentine, I entreat you.”
“But no,” said Valentine,—”no, I tell you it is all past, and it was nothing. Now, let me tell you some news; Eugénie is to be married in a week, and in three days there is to be a grand feast, a betrothal festival. We are all invited, my father, Madame de Villefort, and I—at least, I understood it so.”
“When will it be our turn to think of these things? Oh, Valentine, you who have so much influence over your grandpapa, try to make him answer—Soon.”
“And do you,” said Valentine, “depend on me to stimulate the tardiness and arouse the memory of grandpapa?”
“Yes,” cried Morrel, “make haste. So long as you are not mine, Valentine, I shall always think I may lose you.”
“Oh,” replied Valentine with a convulsive movement, “oh, indeed, Maximilian, you are too timid for an officer, for a soldier who, they say, never knows fear. Ah, ha, ha!” she burst into a forced and melancholy laugh, her arms stiffened and twisted, her head fell back on her chair, and she remained motionless. The cry of terror which was stopped on Noirtier’s lips, seemed to start from his eyes. Morrel understood it; he knew he must call assistance. The young man rang the bell violently; the housemaid who had been in Mademoiselle Valentine’s room, and the servant, ran in at the same moment. Valentine was so pale, so cold, so inanimate that without listening to what was said to them they were seized with the fear which pervaded that house, and they flew into the passage crying for help. Madame Danglars and Eugénie were going out at that moment; they heard the cause of the disturbance. “I told you so!” exclaimed Madame de Villefort. “Poor child!”
We saw in a preceding chapter how Madame Danglars went formally to announce to Madame de Villefort the approaching marriage of Eugénie Danglars and M. Andrea Cavalcanti. This announcement, which implied or appeared to imply, the approval of all the persons concerned in this momentous affair, had been preceded by a scene to which our readers must be admitted. We beg them to take one step backward, and to transport themselves, the morning of that day of great catastrophes, into the showy, gilded salon we have before shown them, and which was the pride of its owner, Baron Danglars. In this room, at about ten o’clock in the morning, the banker himself had been walking to and fro for some minutes thoughtfully and in evident uneasiness, watching both doors, and listening to every sound. When his patience was exhausted, he called his valet. “Étienne,” said he, “see why Mademoiselle Eugénie has asked me to meet her in the drawing–room, and why she makes me wait so long.”
Having given this vent to his ill–humour, the baron became more calm; Mademoiselle Danglars had that morning requested an interview with her father, and had fixed on the gilded drawing–room as the spot. The singularity of this step, and above all its formality, had not a little surprised the banker, who had immediately obeyed his daughter by repairing first to the drawing–room. Étienne soon returned from his errand. “Mademoiselle’s lady’s maid says, sir, that mademoiselle is finishing her toilette, and will be here shortly.”
Danglars nodded, to signify that he was satisfied. To the world and to his servants Danglars assumed the character of the good–natured man and the indulgent father. This was one of his parts in the popular comedy he was performing,—a make–up he had adopted and which suited him about as well as the masks worn on the classic stage by paternal actors, who seen from one side, were the image of geniality, and from the other showed lips drawn down in chronic ill–temper. Let us hasten to say that in private the genial side descended to the level of the other, so that generally the indulgent man disappeared to give place to the brutal husband and domineering father. “Why the devil does that foolish girl, who pretends to wish to speak to me, not come into my study? and why on earth does she want to speak to me at all?”
He was turning this thought over in his brain for the twentieth time, when the door opened and Eugénie appeared, attired in a figured black satin dress, her hair dressed and gloves on, as if she were going to the Italian Opera. “Well, Eugénie, what is it you want with me? and why in this solemn drawing–room when the study is so comfortable?”
“I quite understand why you ask, sir,” said Eugénie, making a sign that her father might be seated, “and in fact your two questions suggest fully the theme of our conversation. I will answer them both, and contrary to the usual method, the last first, because it is the least difficult. I have chosen the drawing–room, sir, as our place of meeting, in order to avoid the disagreeable impressions and influences of a banker’s study. Those gilded cashbooks, drawers locked like gates of fortresses, heaps of bank–bills, come from I know not where, and the quantities of letters from England, Holland, Spain... have generally a strange influence on a father’s mind, and make him forget that there is in the world an interest greater and more sacred than the good opinion of his correspondents. I have, therefore, chosen this drawing–room, where you see, smiling and happy in their magnificent frames, your portrait, mine, my mother’s, and all sorts of rural landscapes and touching pastorals. I rely much on external impressions; perhaps, with regard to you, they are immaterial, but I should be no artist if I had not some fancies.” “Very well,” replied M. Danglars, who had listened to all this preamble with imperturbable coolness, but without understanding a word, since like every man burdened with thoughts of the past, he was occupied with seeking the thread of his own ideas in those of the speaker.
“There is, then, the second point cleared up, or nearly so,” said Eugénie, without the least confusion, and with that masculine pointedness which distinguished her gesture and her language; “and you appear satisfied with the explanation. Now, let us return to the first. You ask me why I have requested this interview; I will tell you in two words, sir; I will not marry Count Andrea Cavalcanti.”
Danglars leaped from his chair and raised his eyes and arms towards heaven.
“Yes, indeed, sir,” continued Eugénie, still quite calm; “you are astonished, I see; for since this little affair began, I have not manifested the slightest opposition, and yet I am always sure, when the opportunity arrives, to oppose a determined and absolute will to people who have not consulted me, and things which displease me. However, this time, my tranquillity, or passiveness as philosophers say, proceeded from another source; it proceeded from a wish, like a submissive and devoted daughter” (a slight smile was observable on the purple lips of the young girl), “to practice obedience.”
“Well?” asked Danglars.
“Well, sir,” replied Eugénie, “I have tried to the very last and now that the moment has come, I feel in spite of all my efforts that it is impossible.”
“But,” said M. Danglars, whose weak mind was at first quite overwhelmed with the weight of this pitiless logic, marking evident premeditation and force of will, “what is your reason for this refusal, Eugénie? what reason do you assign?”
“My reason?” replied the young girl. “Well, it is not that the man is more ugly, more foolish, or more disagreeable than any other; no, M. Andrea Cavalcanti may appear to those who look at men’s faces and figures as a very good specimen of his kind. It is not, either, that my heart is less touched by him than any other; that would be a schoolgirl’s reason, which I consider quite beneath me. I actually love no one, sir; you know it, do you not? I do not then see why, without real necessity, I should encumber my life with a perpetual companion. Has not some sage said, ‘Nothing too much’? and another, ‘I carry all my effects with me’? I have been taught these two aphorisms in Latin and in Greek; one is, I believe, from Phaedrus, and the other from Bias. Well, my dear father, in the shipwreck of life—for life is an eternal shipwreck of our hopes—I cast into the sea my useless encumbrance, that is all, and I remain with my own will, disposed to live perfectly alone, and consequently perfectly free.”
“Unhappy girl, unhappy girl!” murmured Danglars, turning pale, for he knew from long experience the solidity of the obstacle he had so suddenly encountered.
“Unhappy girl,” replied Eugénie, “unhappy girl, do you say, sir? No, indeed; the exclamation appears quite theatrical and affected. Happy, on the contrary, for what am I in want of! The world calls me beautiful. It is something to be well received. I like a favourable reception; it expands the countenance, and those around me do not then appear so ugly. I possess a share of wit, and a certain relative sensibility, which enables me to draw from life in general, for the support of mine, all I meet with that is good, like the monkey who cracks the nut to get at its contents. I am rich, for you have one of the first fortunes in France. I am your only daughter, and you are not so exacting as the fathers of the Porte Saint–Martin and Gaieté, who disinherit their daughters for not giving them grandchildren. Besides, the provident law has deprived you of the power to disinherit me, at least entirely, as it has also of the power to compel me to marry Monsieur This or Monsieur That. And so—being, beautiful, witty, somewhat talented, as the comic operas say, and rich—and that is happiness, sir—why do you call me unhappy?”
Danglars, seeing his daughter smiling, and proud even to insolence, could not entirely repress his brutal feelings, but they betrayed themselves only by an exclamation. Under the fixed and inquiring gaze levelled at him from under those beautiful black eyebrows, he prudently turned away, and calmed himself immediately, daunted by the power of a resolute mind. “Truly, my daughter,” replied he with a smile, “you are all you boast of being, excepting one thing; I will not too hastily tell you which, but would rather leave you to guess it.” Eugénie looked at Danglars, much surprised that one flower of her crown of pride, with which she had so superbly decked herself, should be disputed. “My daughter,” continued the banker baron, “you have perfectly explained to me the sentiments which influence a girl like you, who is determined she will not marry; now it remains for me to tell you the motives of a father like me, who has decided that his daughter shall marry.” Eugénie bowed, not as a submissive daughter, but as an adversary prepared for a discussion.
“My daughter,” continued Danglars, “when a father asks his daughter to choose a husband, he has always some reason for wishing her to marry. Some are affected with the mania of which you spoke just now, that of living again in their grandchildren. This is not my weakness, I tell you at once; family joys have no charm for me. I may acknowledge this to a daughter whom I know to be philosophical enough to understand my indifference, and not to impute it to me as a crime.”
“This is not to the purpose,” said Eugénie; “let us speak candidly, sir; I admire candor.”
“Oh,” said Danglars, “I can, when circumstances render it desirable, adopt your system, although it may not be my general practice. I will therefore proceed. I have proposed to you to marry, not for your sake, for indeed I did not think of you in the least at the moment (you admire candor, and will now be satisfied, I hope); but because it suited me to marry you as soon as possible, on account of certain commercial speculations I am desirous of entering into.” Eugénie became uneasy.
“It is just as I tell you, I assure you, and you must not be angry with me, for you have sought this disclosure. I do not willingly enter into arithmetical explanations with an artist like you, who fears to enter my study lest she should imbibe disagreeable or anti–poetic impressions and sensations. But in that same banker’s study, where you very willingly presented yourself yesterday to ask for the thousand francs I give you monthly for pocket–money, you must know, my dear young lady, that many things may be learned, useful even to a girl who will not marry. There one may learn, for instance, what, out of regard to your nervous susceptibility, I will inform you of in the drawing–room, namely, that the credit of a banker is his physical and moral life; that credit sustains him as breath animates the body; and M. de Monte Cristo once gave me a lecture on that subject, which I have never forgotten. There we may learn that as credit sinks, the body becomes a corpse, and this is what must happen very soon to the banker who is proud to own so good a logician as you for his daughter.” But Eugénie, instead of stooping, drew herself up under the blow. “Ruined?” said she.
“Exactly, my daughter; that is precisely what I mean,” said Danglars, almost digging his nails into his breast, while he preserved on his harsh features the smile of the heartless though clever man; “ruined—yes, that is it.”
“Ah!” said Eugénie.
“Yes, ruined! Now it is revealed, this secret so full of horror, as the tragic poet says. Now, my daughter, learn from my lips how you may alleviate this misfortune, so far as it will affect you.”
“Oh,” cried Eugénie, “you are a bad physiognomist, if you imagine I deplore on my own account the catastrophe of which you warn me. I ruined? and what will that signify to me? Have I not my talent left? Can I not, like the divas Malibran or Grisi, acquire for myself what you would never have given me, whatever might have been your fortune, a hundred or a hundred and fifty thousand livres per annum, for which I shall be indebted to no one but myself; and which, instead of being given as you gave me those poor twelve thousand francs, with sour looks and reproaches for my prodigality, will be accompanied with acclamations, with bravos, and with flowers? And if I do not possess that talent, which your smiles prove to me you doubt, should I not still have that ardent love of independence, which will be a substitute for wealth, and which in my mind supersedes even the instinct of self–preservation? No, I grieve not on my own account, I shall always find a resource; my books, my pencils, my piano, all the things which cost but little, and which I shall be able to procure, will remain my own.
“Do you think that I sorrow for Madame Danglars? Undeceive yourself again; either I am greatly mistaken, or she has provided against the catastrophe which threatens you, and, which will pass over without affecting her. She has taken care for herself,—at least I hope so,—for her attention has not been diverted from her projects by watching over me. She has fostered my independence by professedly indulging my love for liberty. Oh, no, sir; from my childhood I have seen too much, and understood too much, of what has passed around me, for misfortune to have an undue power over me. From my earliest recollections, I have been beloved by no one—so much the worse; that has naturally led me to love no one—so much the better—now you have my profession of faith.”
“Then,” said Danglars, pale with anger, which was not at all due to offended paternal love,—”then, mademoiselle, you persist in your determination to accelerate my ruin?”
“Your ruin? I accelerate your ruin? What do you mean? I do not understand you.”
“So much the better, I have a ray of hope left; listen.”
“I am all attention,” said Eugénie, looking so earnestly at her father that it was an effort for the latter to endure her unrelenting gaze.
“M. Cavalcanti,” continued Danglars, “is about to marry you, and will place in my hands his fortune, amounting to three million livres.”
“That is admirable!” said Eugénie with sovereign contempt, smoothing her gloves out one upon the other.
“You think I shall deprive you of those three millions,” said Danglars; “but do not fear it. They are destined to produce at least ten. I and a brother banker have obtained a grant of a railway, the only industrial enterprise which in these days promises to make good the fabulous prospects that Law once held out to the eternally deluded Parisians, in the fantastic Mississippi scheme. As I look at it, a millionth part of a railway is worth fully as much as an acre of waste land on the banks of the Ohio. We make in our case a deposit, on a mortgage, which is an advance, as you see, since we gain at least ten, fifteen, twenty, or a hundred livres’ worth of iron in exchange for our money. Well, within a week I am to deposit four millions for my share; the four millions, I promise you, will produce ten or twelve.”
“But during my visit to you the day before yesterday, sir, which you appear to recollect so well,” replied Eugénie, “I saw you arranging a deposit—is not that the term?—of five millions and a half; you even pointed it out to me in two drafts on the treasury, and you were astonished that so valuable a paper did not dazzle my eyes like lightning.”
“Yes, but those five millions and a half are not mine, and are only a proof of the great confidence placed in me; my title of popular banker has gained me the confidence of charitable institutions, and the five millions and a half belong to them; at any other time I should not have hesitated to make use of them, but the great losses I have recently sustained are well known, and, as I told you, my credit is rather shaken. That deposit may be at any moment withdrawn, and if I had employed it for another purpose, I should bring on me a disgraceful bankruptcy. I do not despise bankruptcies, believe me, but they must be those which enrich, not those which ruin. Now, if you marry M. Cavalcanti, and I get the three millions, or even if it is thought I am going to get them, my credit will be restored, and my fortune, which for the last month or two has been swallowed up in gulfs which have been opened in my path by an inconceivable fatality, will revive. Do you understand me?”
“Perfectly; you pledge me for three millions, do you not?”
“The greater the amount, the more flattering it is to you; it gives you an idea of your value.”
“Thank you. One word more, sir; do you promise me to make what use you can of the report of the fortune M. Cavalcanti will bring without touching the money? This is no act of selfishness, but of delicacy. I am willing to help rebuild your fortune, but I will not be an accomplice in the ruin of others.”
“But since I tell you,” cried Danglars, “that with these three million”—
“Do you expect to recover your position, sir, without touching those three million?”
“I hope so, if the marriage should take place and confirm my credit.”
“Shall you be able to pay M. Cavalcanti the five hundred thousand francs you promise for my dowry?”
“He shall receive them on returning from the mayor’s (the performance of the civil marriage).” “Very well!”
“What next? what more do you want?”
“I wish to know if, in demanding my signature, you leave me entirely free in my person?”
“Absolutely.”
“Then, as I said before, sir,—very well; I am ready to marry M. Cavalcanti.”
“But what are you up to?”
“Ah, that is my affair. What advantage should I have over you, if knowing your secret I were to tell you mine?” M. Danglars bit his lips. “Then,” said he, “you are ready to pay the official visits, which are absolutely indispensable?”
“Yes,” replied Eugénie.
“And to sign the contract in three days?”
“Yes.”
“Then, in my turn, I also say, very well!” Danglars pressed his daughter’s hand in his. But, extraordinary to relate, the father did not say, “Thank you, my child,” nor did the daughter smile at her father. “Is the conference ended?” asked Eugénie rising. Danglars motioned that he had nothing more to say. Five minutes afterwards the piano resounded to the touch of Mademoiselle d’Armilly’s fingers, and Mademoiselle Danglars was singing Brabantio’s malediction on Desdemona. At the end of the piece Étienne entered, and announced to Eugénie that the horses were in the carriage, and that the baroness was waiting for her to pay her visits. We have seen them at Villefort’s; they proceeded then on their course.
Three days after the scene we have just described, namely towards five o’clock in the afternoon of the day fixed for the signature of the contract between Mademoiselle Eugénie Danglars and Count Andrea Cavalcanti,—whom the banker persisted in calling prince,—a fresh breeze was stirring the leaves in the little garden in front of the Count of Monte Cristo’s house, and the count was preparing to go out. While his horses were impatiently pawing the ground,—held in by the coachman, who had been seated a quarter of an hour on his box,—the elegant phaeton with which we are familiar rapidly turned the angle of the entrance–gate, and cast out on the doorsteps M. Andrea Cavalcanti, as decked up and gay as if he were going to marry a princess. He inquired after the count with his usual familiarity, and ascending lightly to the second story met him at the top of the stairs. The count stopped on seeing the young man. As for Andrea, he was launched, and when he was once launched nothing stopped him. “Ah, good morning, my dear count,” said he. “Ah, M. Andrea,” said the latter, with his half–jesting tone; “how do you do.”
“Charmingly, as you see. I am come to talk to you about a thousand things; but, first tell me, were you going out or just returned?”
“I was going out, sir.”
“Then, in order not to hinder you, I will get up with you if you please in your carriage, and Tom shall follow with my phaeton in tow.”
“No,” said the count, with an imperceptible smile of contempt, for he had no wish to be seen in the young man’s society,—”no; I prefer listening to you here, my dear M. Andrea; we can chat better in–doors, and there is no coachman to overhear our conversation.” The count returned to a small drawing–room on the first floor, sat down, and crossing his legs motioned to the young man to take a seat also. Andrea assumed his gayest manner. “You know, my dear count,” said he, “the ceremony is to take place this evening. At nine o’clock the contract is to be signed at my father–in–law’s.”
“Ah, indeed?” said Monte Cristo.
“What; is it news to you? Has not M. Danglars informed you of the ceremony?”
“Oh, yes,” said the count; “I received a letter from him yesterday, but I do not think the hour was mentioned.”
“Possibly my father–in–law trusted to its general notoriety.”
“Well,” said Monte Cristo, “you are fortunate, M. Cavalcanti; it is a most suitable alliance you are contracting, and Mademoiselle Danglars is a handsome girl.”
“Yes, indeed she is,” replied Cavalcanti, in a very modest tone.
“Above all, she is very rich,—at least, I believe so,” said Monte Cristo.
“Very rich, do you think?” replied the young man.
“Doubtless; it is said M. Danglars conceals at least half of his fortune.”
“And he acknowledges fifteen or twenty millions,” said Andrea with a look sparkling with joy.
“Without reckoning,” added Monte Cristo, “that he is on the eve of entering into a sort of speculation already in vogue in the United States and in England, but quite novel in France.”
“Yes, yes, I know what you mean,—the railway, of which he has obtained the grant, is it not?”
“Precisely; it is generally believed he will gain ten millions by that affair.”
“Ten millions! Do you think so? It is magnificent!” said Cavalcanti, who was quite confounded at the metallic sound of these golden words. “Without reckoning,” replied Monte Cristo, “that all his fortune will come to you, and justly too, since Mademoiselle Danglars is an only daughter. Besides, your own fortune, as your father assured me, is almost equal to that of your betrothed. But enough of money matters. Do you know, M. Andrea, I think you have managed this affair rather skilfully?”
“Not badly, by any means,” said the young man; “I was born for a diplomatist.”
“Well, you must become a diplomatist; diplomacy, you know, is something that is not to be acquired; it is instinctive. Have you lost your heart?”
“Indeed, I fear it,” replied Andrea, in the tone in which he had heard Dorante or Valere reply to Alceste [*] at the Theatre Francais.
“Is your love returned?” “I suppose so,” said Andrea with a triumphant smile, “since I am accepted. But I must not forget one grand point.”
* In Moliere’s comedy, Le Misanthrope.
“Which?”
“That I have been singularly assisted.”
“Nonsense.”
“I have, indeed.”
“By circumstances?”
“No; by you.”
“By me? Not at all, prince,” said Monte Cristo laying a marked stress on the title, “what have I done for you? Are not your name, your social position, and your merit sufficient?”
“No,” said Andrea,—”no; it is useless for you to say so, count. I maintain that the position of a man like you has done more than my name, my social position, and my merit.”
“You are completely mistaken, sir,” said Monte Cristo coldly, who felt the perfidious manoeuvre of the young man, and understood the bearing of his words; “you only acquired my protection after the influence and fortune of your father had been ascertained; for, after all, who procured for me, who had never seen either you or your illustrious father, the pleasure of your acquaintance?—two of my good friends, Lord Wilmore and the Abbé Busoni. What encouraged me not to become your surety, but to patronize you?—your father’s name, so well known in Italy and so highly honored. Personally, I do not know you.” This calm tone and perfect ease made Andrea feel that he was, for the moment, restrained by a more muscular hand than his own, and that the restraint could not be easily broken through.
“Oh, then my father has really a very large fortune, count?”
“It appears so, sir,” replied Monte Cristo.
“Do you know if the marriage settlement he promised me has come?”
“I have been advised of it.”
“But the three millions?”
“The three millions are probably on the road.”
“Then I shall really have them?”
“Oh, well,” said the count, “I do not think you have yet known the want of money.” Andrea was so surprised that he pondered the matter for a moment. Then, arousing from his revery,—”Now, sir, I have one request to make to you, which you will understand, even if it should be disagreeable to you.”
“Proceed,” said Monte Cristo.
“I have formed an acquaintance, thanks to my good fortune, with many noted persons, and have, at least for the moment, a crowd of friends. But marrying, as I am about to do, before all Paris, I ought to be supported by an illustrious name, and in the absence of the paternal hand some powerful one ought to lead me to the altar; now, my father is not coming to Paris, is he? He is old, covered with wounds, and suffers dreadfully, he says, in travelling.”
“Indeed?”
“Well, I am come to ask a favour of you.”
“Of me?”
“Yes, of you.”
“And pray what may it be?”
“Well, to take his part.”
“Ah, my dear sir! What?—after the varied relations I have had the happiness to sustain towards you, can it be that you know me so little as to ask such a thing? Ask me to lend you half a million and, although such a loan is somewhat rare, on my honor, you would annoy me less! Know, then, what I thought I had already told you, that in participation in this world’s affairs, more especially in their moral aspects, the Count of Monte Cristo has never ceased to entertain the scruples and even the superstitions of the East. I, who have a seraglio at Cairo, one at Smyrna, and one at Constantinople, preside at a wedding?—never!”
“Then you refuse me?”
“Decidedly; and were you my son or my brother I would refuse you in the same way.”
“But what must be done?” said Andrea, disappointed.
“You said just now that you had a hundred friends.”
“Very true, but you introduced me at M. Danglars’.”
“Not at all! Let us recall the exact facts. You met him at a dinner party at my house, and you introduced yourself at his house; that is a totally different affair.”
“Yes, but, by my marriage, you have forwarded that.”
“I?—not in the least, I beg you to believe. Recollect what I told you when you asked me to propose you. ‘Oh, I never make matches, my dear prince, it is my settled principle.’” Andrea bit his lips.
“But, at least, you will be there?”
“Will all Paris be there?”
“Oh, certainly.”
“Well, like all Paris, I shall be there too,” said the count.
“And will you sign the contract?”
“I see no objection to that; my scruples do not go thus far.”
“Well, since you will grant me no more, I must be content with what you give me. But one word more, count.”
“What is it?”
“Advice.”
“Be careful; advice is worse than a service.”
“Oh, you can give me this without compromising yourself.”
“Tell me what it is.”
“Is my wife’s fortune five hundred thousand livres?”
“That is the sum M. Danglars himself announced.”
“Must I receive it, or leave it in the hands of the notary?”
“This is the way such affairs are generally arranged when it is wished to do them stylishly: Your two solicitors appoint a meeting, when the contract is signed, for the next or the following day; then they exchange the two portions, for which they each give a receipt; then, when the marriage is celebrated, they place the amount at your disposal as the chief member of the alliance.”
“Because,” said Andrea, with a certain ill–concealed uneasiness, “I thought I heard my father–in–law say that he intended embarking our property in that famous railway affair of which you spoke just now.”
“Well,” replied Monte Cristo, “it will be the way, everybody says, of trebling your fortune in twelve months. Baron Danglars is a good father, and knows how to calculate.”
“In that case,” said Andrea, “everything is all right, excepting your refusal, which quite grieves me.”
“You must attribute it only to natural scruples under similar circumstances.”
“Well,” said Andrea, “let it be as you wish. This evening, then, at nine o’clock.”
“Adieu till then.” Notwithstanding a slight resistance on the part of Monte Cristo, whose lips turned pale, but who preserved his ceremonious smile, Andrea seized the count’s hand, pressed it, jumped into his phaeton, and disappeared.
The four or five remaining hours before nine o’clock arrived, Andrea employed in riding, paying visits,—designed to induce those of whom he had spoken to appear at the banker’s in their gayest equipages,—dazzling them by promises of shares in schemes which have since turned every brain, and in which Danglars was just taking the initiative. In fact, at half–past eight in the evening the grand salon, the gallery adjoining, and the three other drawing–rooms on the same floor, were filled with a perfumed crowd, who sympathized but little in the event, but who all participated in that love of being present wherever there is anything fresh to be seen. An Academician would say that the entertainments of the fashionable world are collections of flowers which attract inconstant butterflies, famished worker-bees, and buzzing drones.
No one could deny that the rooms were splendidly illuminated; the light streamed forth on the gilt mouldings and the silk hangings; and all the bad taste of decorations, which had only their richness to boast of, shone in its splendor. Mademoiselle Eugénie was dressed with elegant simplicity in a figured white silk dress, and a white rose half concealed in her jet black hair was her only ornament, unaccompanied by a single jewel. Her eyes, however, betrayed that perfect confidence which contradicted the girlish simplicity of this modest attire. Madame Danglars was chatting at a short distance with Debray, Beauchamp, and Chateau–Renaud.
Debray was admitted to the house for this grand ceremony, but on the same plane with every one else, and without any particular privilege. M. Danglars, surrounded by deputies and men connected with the revenue, was explaining a new theory of taxation which he intended to adopt when the course of events had compelled the government to call him into the ministry. Andrea, on whose arm hung one of the most consummate dandies of the opera, was explaining to him rather cleverly, since he was obliged to be bold to appear at ease, his future projects, and the new luxuries he meant to introduce to Parisian fashions with his hundred and seventy–five thousand livres per annum.
The crowd moved to and fro in the rooms like an ebb and flow of turquoises, rubies, emeralds, opals, and diamonds. As usual, the oldest women were the most decorated, and the ugliest the most conspicuous. If there was a beautiful lily, or a sweet rose, you had to search for it, concealed in some corner behind a mother with a turban, or an aunt with a bird of paradise.
At each moment, in the midst of the crowd, the buzzing, and the laughter, the door–keeper’s voice was heard announcing some name well known in the financial department, respected in the army, or illustrious in the literary world, and which was acknowledged by a slight movement in the different groups. But for one whose privilege it was to agitate that ocean of human waves, how many were received with a look of indifference or a sneer of disdain! At the moment when the hand of the massive time–piece, representing Endymion asleep, pointed to nine on its golden face, and the hammer, the faithful type of mechanical thought, struck nine times, the name of the Count of Monte Cristo resounded in its turn, and as if by an electric shock all the assembly turned towards the door.
The count was dressed in black and with his habitual simplicity; his white waistcoat displayed his expansive noble chest and his black stock was singularly noticeable because of its contrast with the deadly paleness of his face. His only jewellery was a chain, so fine that the slender gold thread was scarcely perceptible on his white waistcoat. A circle was immediately formed around the door. The count perceived at one glance Madame Danglars at one end of the drawing–room, M. Danglars at the other, and Eugénie in front of him. He first advanced towards the baroness, who was chatting with Madame de Villefort, who had come alone, Valentine being still an invalid; and without turning aside, so clear was the road left for him, he passed from the baroness to Eugénie, whom he complimented in such rapid and measured terms, that the proud artist was quite struck. Near her was Mademoiselle Louise d’Armilly, who thanked the count for the letters of introduction he had so kindly given her for Italy, which she intended immediately to make use of. On leaving these ladies he found himself with Danglars, who had advanced to meet him.
Having accomplished these three social duties, Monte Cristo stopped, looking around him with that expression peculiar to a certain class, which seems to say, “I have done my duty, now let others do theirs.” Andrea, who was in an adjoining room, had shared in the sensation caused by the arrival of Monte Cristo, and now came forward to pay his respects to the count. He found him completely surrounded; all were eager to speak to him, as is always the case with those whose words are few and weighty. The solicitors arrived at this moment and arranged their scrawled papers on the velvet cloth embroidered with gold which covered the table prepared for the signature; it was a gilt table supported on lions’ claws. One of the notaries sat down, the other remained standing. They were about to proceed to the reading of the contract, which half Paris assembled was to sign. All took their places, or rather the ladies formed a circle, while the gentlemen (more indifferent to the restraints of what Boileau calls the “energetic style”) commented on the feverish agitation of Andrea, on M. Danglars’ riveted attention, Eugénie’s composure, and the light and sprightly manner in which the baroness treated this important affair.
The contract was read during a profound silence. But as soon as it was finished, the buzz was redoubled through all the drawing–rooms; the brilliant sums, the rolling millions which were to be at the command of the two young people, and which crowned the display of the wedding presents and the young lady’s diamonds, which had been made in a room entirely appropriated for that purpose, had exercised to the full their delusions over the envious assembly. Mademoiselle Danglars’ charms were heightened in the opinion of the young men, and for the moment seemed to outvie the sun in splendor. As for the ladies, it is needless to say that while they coveted the millions, they thought they did not need them for themselves, as they were beautiful enough without them. Andrea, surrounded by his friends, complimented, flattered, beginning to believe in the reality of his dream, was almost bewildered. The notary solemnly took the pen, flourished it above his head, and said, “Gentlemen, we are about to sign the contract.”
The baron was to sign first, then the representative of M. Cavalcanti, senior, then the baroness, afterwards the “future couple,” as they are styled in the abominable phraseology of legal documents. The baron took the pen and signed, then the representative. The baroness approached, leaning on Madame de Villefort’s arm. “My dear,” said she, as she took the pen, “is it not vexatious? An unexpected incident, in the affair of murder and theft at the Count of Monte Cristo’s, in which he nearly fell a victim, deprives us of the pleasure of seeing M. de Villefort.”
“Indeed?” said M. Danglars, in the same tone in which he would have said, “Oh, well, what do I care?”
“As a matter of fact,” said Monte Cristo, approaching, “I am much afraid that I am the involuntary cause of his absence.”
“What, you, count?” said Madame Danglars, signing; “if you are, take care, for I shall never forgive you.” Andrea pricked up his ears.
“But it is not my fault, as I shall endeavor to prove.” Every one listened eagerly; Monte Cristo who so rarely opened his lips, was about to speak. “You remember,” said the count, during the most profound silence, “that the unhappy wretch who came to rob me died at my house; the supposition is that he was stabbed by his accomplice, on attempting to leave it.”
“Yes,” said Danglars.
“In order that his wounds might be examined he was undressed, and his clothes were thrown into a corner, where the police picked them up, with the exception of the waistcoat, which they overlooked.” Andrea turned pale, and drew towards the door; he saw a cloud rising in the horizon, which appeared to forebode a coming storm.
“Well, this waistcoat was discovered to–day, covered with blood, and with a hole over the heart.” The ladies screamed, and two or three prepared to faint. “It was brought to me. No one could guess what the dirty rag could be; I alone suspected that it was the waistcoat of the murdered man. My valet, in examining this mournful relic, felt a paper in the pocket and drew it out; it was a letter addressed to you, baron.”
“To me?” cried Danglars.
“Yes, indeed, to you; I succeeded in deciphering your name under the blood with which the letter was stained,” replied Monte Cristo, amid the general outburst of amazement.
“But,” asked Madame Danglars, looking at her husband with uneasiness, “how could that prevent M. de Villefort”—
“In this simple way, madame,” replied Monte Cristo; “the waistcoat and the letter were both what is termed circumstantial evidence; I therefore sent them to the king’s attorney. You understand, my dear baron, that legal methods are the safest in criminal cases; it was, perhaps, some plot against you.” Andrea looked steadily at Monte Cristo and disappeared in the second drawing–room.
“Possibly,” said Danglars; “was not this murdered man an old galley–slave?”
“Yes,” replied the count; “a felon named Caderousse.” Danglars turned slightly pale; Andrea reached the anteroom beyond the little drawing–room.
“But go on signing,” said Monte Cristo; “I perceive that my story has caused a general emotion, and I beg to apologize to you, baroness, and to Mademoiselle Danglars.” The baroness, who had signed, returned the pen to the notary. “Prince Cavalcanti,” said the latter; “Prince Cavalcanti, where are you?”
“Andrea, Andrea,” repeated several young people, who were already on sufficiently intimate terms with him to call him by his Christian name.
“Call the prince; inform him that it is his turn to sign,” cried Danglars to one of the floorkeepers.
But at the same instant the crowd of guests rushed in alarm into the principal salon as if some frightful monster had entered the apartments, quaerens quem devoret. There was, indeed, reason to retreat, to be alarmed, and to scream. An officer was placing two soldiers at the door of each drawing–room, and was advancing towards Danglars, preceded by a commissary of police, girded with his scarf. Madame Danglars uttered a scream and fainted. The Baron Danglars, who thought himself threatened (certain consciences are never calm),—Danglars even before his guests showed a countenance of abject terror.
“What is the matter, sir?” asked Monte Cristo, advancing to meet the commissioner.
“Which of you gentlemen,” asked the magistrate, without replying to the count, “answers to the name of Andrea Cavalcanti?” A cry of astonishment was heard from all parts of the room. They searched; they questioned. “But who then is Andrea Cavalcanti?” asked Danglars in amazement.
“A convict, escaped from confinement at Toulon.”
“And what crime has he committed?”
“He is accused,” said the commissary with his inflexible voice, “of having assassinated one Caderousse, his former companion in prison, at the moment he was making his escape from the house of the Count of Monte Cristo.” Monte Cristo cast a rapid glance around him. Andrea was gone.
A few minutes after the scene of confusion produced in the salons of M. Danglars by the unexpected appearance of the brigade of soldiers, and by the disclosure which had followed, the mansion was deserted with as much rapidity as if a case of the plague or of cholera had broken out among the guests. In a few minutes, through all the doors, down all the staircases, by every exit, every one hastened to retire, or rather to fly; for it was a situation where the ordinary condolences,—which even the best friends are so eager to offer in great catastrophes,—were seen to be utterly futile. There remained in the banker’s house only the Baron Danglars, closeted in his study, and making his statement to the officer of gendarmes; Madame Danglars, terrified, in the boudoir with which we are acquainted; and Eugénie, who with haughty air and disdainful lip had retired to her room with her inseparable companion, Mademoiselle Louise d’Armilly. As for the numerous servants (more numerous that evening than usual, for their number was augmented by cooks and waiters from the Café de Paris), venting on their employers their anger at what they termed the insult to which they had been subjected, they collected in groups in the hall, in the kitchens, or in their rooms, thinking very little of their duty, which was thus naturally interrupted.
Of all this household, only two persons deserve our notice; these are Mademoiselle Eugénie Danglars and Mademoiselle Louise d’Armilly.
The betrothed had retired, as we said, with haughty air, disdainful lip, and the demeanor of an outraged queen, followed by her companion, who was paler and more disturbed than herself. On reaching her room Eugénie locked her door, while Louise fell on a chair. “Ah, what a dreadful thing,” said the young musician; “who would have suspected it? M. Andrea Cavalcanti a murderer—a galley–slave of the Crown escaped—a convict!” An ironical smile curled the lip of Eugénie. “In truth I was fated,” said she. “I escaped the Morcerf only to fall into the Cavalcanti.”
“Oh, do not confound the two, Eugénie.”
“Hold your tongue! The men are all infamous, and I am happy to be able now to do more than detest them—I despise them.”
“What shall we do?” asked Louise.
“What shall we do?”
“Yes.”
“Why, the same we had intended doing three days since—set off.”
“What?—although you are not now going to be married, you intend still”—
“Listen, Louise. I hate this life of the fashionable world, always ordered, measured, ruled, like our music–paper. What I have always wished for, desired, and coveted, is the life of an artist, free and independent, relying only on my own resources, and accountable only to myself. Remain here? What for?—that they may try, a month hence, to marry me again; and to whom?—M. Debray, perhaps, as it was once proposed. No, Louise, no! This evening’s adventure will serve for my excuse. I did not seek one, I did not ask for one. God sends me this, and I hail it joyfully!”
“How strong and courageous you are!” said the fair, frail girl to her brunette companion.
“Did you not yet know me? Come, Louise, let us talk of our affairs. The post–chaise”—
“Was happily bought three days since.”
“Have you had it sent where we are to go for it?”
“Yes.”
“Our passport?”
“Here it is.”
And Eugénie, with her usual precision, opened a printed paper, and read,—
“M. Léon d’Armilly, twenty years of age; profession, artist; hair black, eyes black; travelling with his sister.”
“Capital! How did you get this passport?”
“When I went to ask M. de Monte Cristo for letters to the directors of the theatres at Rome and Naples, I expressed my fears of travelling as a woman; he perfectly understood them, and undertook to procure for me a man’s passport, and two days after I received this, to which I have added with my own hand, ‘travelling with his sister.’”
“Well,” said Eugénie cheerfully, “we have then only to pack up our trunks; we shall start the evening of the signing of the contract, instead of the evening of the wedding—that is all.”
“But consider the matter seriously, Eugénie!”
“Oh, I am done with considering! I am tired of hearing only of market reports, of the end of the month, of the rise and fall of Spanish funds, of Haitian bonds. Instead of that, Louise—do you understand?—air, liberty, melody of birds, plains of Lombardy, Venetian canals, Roman palaces, the Bay of Naples. How much have we, Louise?” The young girl to whom this question was addressed drew from an inlaid secretary a small portfolio with a lock, in which she counted twenty–three bank–notes.
“Twenty–three thousand francs,” said she.
“And as much, at least, in pearls, diamonds, and jewels,” said Eugénie. “We are rich. With forty–five thousand francs we can live like princesses for two years, and comfortably for four; but before six months—you with your music, and I with my voice—we shall double our capital. Come, you shall take charge of the money, I of the jewel–box; so that if one of us had the misfortune to lose her treasure, the other would still have hers left. Now, the portmanteau—let us make haste—the portmanteau!”
“Stop!” said Louise, going to listen at Madame Danglars’ door.
“What do you fear?”
“That we may be discovered.”
“The door is locked.”
“They may tell us to open it.”
“They may if they like, but we will not.”
“You are a perfect Amazon, Eugénie!” And the two young girls began to heap into a trunk all the things they thought they should require. “There now,” said Eugénie, “while I change my costume do you lock the portmanteau.” Louise pressed with all the strength of her little hands on the top of the portmanteau. “But I cannot,” said she; “I am not strong enough; do you shut it.”
“Ah, you do well to ask,” said Eugénie, laughing; “I forgot that I was Hercules, and you only the pale Omphale!” And the young girl, kneeling on the top, pressed the two parts of the portmanteau together, and Mademoiselle d’Armilly passed the bolt of the padlock through. When this was done, Eugénie opened a drawer, of which she kept the key, and took from it a wadded violet silk travelling cloak. “Here,” said she, “you see I have thought of everything; with this cloak you will not be cold.”
“But you?”
“Oh, I am never cold, you know! Besides, with these men’s clothes”—
“Will you dress here?”
“Certainly.”
“Shall you have time?”
“Do not be uneasy, you little coward! All our servants are busy, discussing the grand affair. Besides, what is there astonishing, when you think of the grief I ought to be in, that I shut myself up?—tell me!”
“No, truly—you comfort me.”
“Come and help me.”
From the same drawer she took a man’s complete costume, from the boots to the coat, and a provision of linen, where there was nothing superfluous, but every requisite. Then, with a promptitude which indicated that this was not the first time she had amused herself by adopting the garb of the opposite sex, Eugénie drew on the boots and pantaloons, tied her cravat, buttoned her waistcoat up to the throat, and put on a coat which admirably fitted her beautiful figure. “Oh, that is very good—indeed, it is very good!” said Louise, looking at her with admiration; “but that beautiful black hair, those magnificent braids, which made all the ladies sigh with envy,—will they go under a man’s hat like the one I see down there?”
“You shall see,” said Eugénie. And with her left hand seizing the thick mass, which her long fingers could scarcely grasp, she took in her right hand a pair of long scissors, and soon the steel met through the rich and splendid hair, which fell in a cluster at her feet as she leaned back to keep it from her coat. Then she grasped the front hair, which she also cut off, without expressing the least regret; on the contrary, her eyes sparkled with greater pleasure than usual under her ebony eyebrows. “Oh, the magnificent hair!” said Louise, with regret.
“And am I not a hundred times better thus?” cried Eugénie, smoothing the scattered curls of her hair, which had now quite a masculine appearance; “and do you not think me handsomer so?”
“Oh, you are beautiful—always beautiful!” cried Louise. “Now, where are you going?”
“To Brussels, if you like; it is the nearest frontier. We can go to Brussels, Liège, Aix–la–Chapelle; then up the Rhine to Strasburg. We will cross Switzerland, and go down into Italy by the Saint–Gothard. Will that do?”
“Yes.”
“What are you looking at?”
“I am looking at you; indeed you are adorable like that! One would say you were carrying me off.”
“And they would be right, pardieu!”
“Oh, I think you swore, Eugénie.” And the two young girls, whom every one might have thought plunged in grief, the one on her own account, the other from interest in her friend, burst out laughing, as they cleared away every visible trace of the disorder which had naturally accompanied the preparations for their escape. Then, having blown out the lights, the two fugitives, looking and listening eagerly, with outstretched necks, opened the door of a dressing–room which led by a side staircase down to the yard,—Eugénie going first, and holding with one arm the portmanteau, which by the opposite handle Mademoiselle d’Armilly scarcely raised with both hands. The yard was empty; the clock was striking twelve. The concierge was not yet gone to bed. Eugénie approached softly, and saw the old man sleeping soundly in an arm–chair in his lodge. She returned to Louise, took up the portmanteau, which she had placed for a moment on the ground, and they reached the archway under the shadow of the wall.
Eugénie concealed Louise in an angle of the gateway, so that if the concierge chanced to awake he might see but one person. Then placing herself in the full light of the lamp which lit the yard,—”Gate!” cried she, with her finest contralto voice, and rapping at the window.
The concierge got up as Eugénie expected, and even advanced some steps to recognize the person who was going out, but seeing a young man striking his boot impatiently with his riding–whip, he opened it immediately. Louise slid through the half–open gate like a snake, and bounded lightly forward. Eugénie, apparently calm, although in all probability her heart beat somewhat faster than usual, went out in her turn. A manservant was passing and they gave him the portmanteau; then the two young girls, having told him to take it to No. 36, Rue de la Victoire, walked behind this man, whose presence comforted Louise. As for Eugénie, she was as strong as a Judith or a Delilah. They arrived at the appointed spot. Eugénie ordered the concierge to put down the portmanteau, gave him some pieces of money, and having rapped at the shutter sent him away. The shutter where Eugénie had rapped was that of a little laundress, who had been previously warned, and was not yet gone to bed. She opened the door.
“Mademoiselle,” said Eugénie, “let the concierge get the post–chaise from the coach–house, and fetch some post–horses from the hotel. Here are five francs for his trouble.”
“Indeed,” said Louise, “I admire you, and I could almost say respect you.” The laundress looked on in astonishment, but as she had been promised twenty louis, she made no remark.
In a quarter of an hour the concierge returned with a post–boy and horses, which were harnessed, and put in the post–chaise in a minute, while the concierge fastened the portmanteau on with the assistance of a cord and strap. “Here is the passport,” said the postilion, “which way are we going, young gentleman?”
“To Fontainebleau,” replied Eugénie with an almost masculine voice.
“What do you say?” said Louise.
“I am giving them the slip,” said Eugénie; “this woman to whom we have given twenty louis may betray us for forty; we will soon alter our direction.” And the young girl jumped into the britzska, which was admirably arranged for sleeping in, without scarcely touching the step. “You are always right,” said the music teacher, seating herself by the side of her friend.
A quarter of an hour afterwards the postilion, having been put in the right road, passed with a crack of his whip through the gateway of the Barrière Saint–Martin. “Ah,” said Louise, breathing freely, “here we are out of Paris.”
“Yes, my dear, the abduction is an accomplished fact,” replied Eugénie. “Yes, and without violence,” said Louise.
“I shall bring that forward as an extenuating circumstance,” replied Eugénie. These words were lost in the noise which the carriage made in rolling over the pavement of La Villette. M. Danglars no longer had a daughter.
THE BELL AND BOTTLE TAVERN
And now let us leave Mademoiselle Danglars and her friend pursuing their way to Brussels, and return to poor Andrea Cavalcanti, so inopportunely interrupted in his rise to fortune. Notwithstanding his youth, Master Andrea was a very skilful and intelligent boy. We have seen that on the first rumor which reached the salon he had gradually approached the door, and crossing two or three rooms at last disappeared. But we have forgotten to mention one circumstance, which nevertheless ought not to be omitted; in one of the rooms he crossed, the trousseau of the bride–elect was on exhibition. There were caskets of diamonds, cashmere shawls, Valenciennes lace, English veilings, and in fact all the tempting things, the bare mention of which makes the hearts of young girls bound with joy, and which is called the “corbeille.” Now, in passing through this room, Andrea proved himself not only to be clever and intelligent, but also provident, for he helped himself to the most valuable of the ornaments before him.
Furnished with this plunder, Andrea leaped with a lighter heart from the window, intending to slip through the hands of the gendarmes. Tall and well proportioned as an ancient gladiator, and muscular as a Spartan, he walked for a quarter of an hour without knowing where to direct his steps, actuated by the sole idea of getting away from the spot where if he lingered he knew that he would surely be taken. Having passed through the Rue Mont Blanc, guided by the instinct which leads thieves always to take the safest path, he found himself at the end of the Rue Lafayette. There he stopped, breathless and panting. He was quite alone; on one side was the vast wilderness of the Saint–Lazare, on the other, Paris enshrouded in darkness. “Am I to be captured?” he cried; “no, not if I can use more activity than my enemies. My safety is now a mere question of speed.” At this moment he saw a cab at the top of the Faubourg Poissonniere. The dull driver, smoking his pipe, was plodding along toward the limits of the Faubourg Saint–Denis, where no doubt he ordinarily had his station. “Ho, friend!” said Benedetto.
* Literally, “the basket,” because wedding gifts were
originally brought in such a receptacle.
“What do you want, sir?” asked the driver.
originally brought in such a receptacle.
“What do you want, sir?” asked the driver.
“Is your horse tired?”
“Tired? oh, yes, tired enough—he has done nothing the whole of this blessed day! Four wretched fares, and twenty sous over, making in all seven francs, are all that I have earned, and I ought to take ten to the owner.”
“Will you add these twenty francs to the seven you have?”
“With pleasure, sir; twenty francs are not to be despised. Tell me what I am to do for this.”
“A very easy thing, if your horse isn’t tired.”
“I tell you he’ll go like the wind,—only tell me which way to drive.”
“Towards the Louvres.”
“Ah, I know the way—you get good sweetened rum over there.”
“Exactly so; I merely wish to overtake one of my friends, with whom I am going to hunt to–morrow at Chapelle–en–Serval. He should have waited for me here with a cabriolet till half–past eleven; it is twelve, and, tired of waiting, he must have gone on.”
“It is likely.”
“Well, will you try and overtake him?”
“Nothing I should like better.”
“If you do not overtake him before we reach Bourget you shall have twenty francs; if not before Louvres, thirty.”
“And if we do overtake him?”
“Forty,” said Andrea, after a moment’s hesitation, at the end of which he remembered that he might safely promise. “That’s all right,” said the man; “hop in, and we’re off! Who–o–o–p, la!”
Andrea got into the cab, which passed rapidly through the Faubourg Saint–Denis, along the Faubourg Saint–Martin, crossed the barrier, and threaded its way through the interminable Villette. They never overtook the chimerical friend, yet Andrea frequently inquired of people on foot whom he passed and at the inns which were not yet closed, for a green cabriolet and bay horse; and as there are a great many cabriolets to be seen on the road to the Low Countries, and as nine–tenths of them are green, the inquiries increased at every step. Every one had just seen it pass; it was only five hundred, two hundred, one hundred steps in advance; at length they reached it, but it was not the friend. Once the cab was also passed by a calash rapidly whirled along by two post–horses. “Ah,” said Cavalcanti to himself, “if I only had that britzska, those two good post–horses, and above all the passport that carries them on!” And he sighed deeply. The calash contained Mademoiselle Danglars and Mademoiselle d’Armilly. “Hurry, hurry!” said Andrea, “we must overtake him soon.” And the poor horse resumed the desperate gallop it had kept up since leaving the barrier, and arrived steaming at Louvres.
“Certainly,” said Andrea, “I shall not overtake my friend, but I shall kill your horse, therefore I had better stop. Here are thirty francs; I will sleep at the Red Horse, and will secure a place in the first coach. Good–night, friend.” And Andrea, after placing six pieces of five francs each in the man’s hand, leaped lightly on to the pathway. The cabman joyfully pocketed the sum, and turned back on his road to Paris. Andrea pretended to go towards the Red Horse inn, but after leaning an instant against the door, and hearing the last sound of the cab, which was disappearing from view, he went on his road, and with a lusty stride soon traversed the space of two leagues. Then he rested; he must be near Chapelle–en–Serval, where he pretended to be going. It was not fatigue that stayed Andrea here; it was that he might form some resolution, adopt some plan. It would be impossible to make use of a diligence, equally so to engage post–horses; to travel either way a passport was necessary. It was still more impossible to remain in the department of the Oise, one of the most open and strictly guarded in France; this was quite out of the question, especially to a man like Andrea, perfectly conversant with criminal matters.
He sat down by the side of the moat, buried his face in his hands and reflected. Ten minutes after he raised his head; his resolution was made. He threw some dust over the topcoat, which he had found time to unhook from the ante–chamber and button over his ball costume, and going to Chapelle–en–Serval he knocked loudly at the door of the only inn in the place. The host opened. “My friend,” said Andrea, “I was coming from Montefontaine to Senlis, when my horse, which is a troublesome creature, stumbled and threw me. I must reach Compiègne to–night, or I shall cause deep anxiety to my family. Could you let me hire a horse of you?”
An innkeeper has always a horse to let, whether it be good or bad. The host called the stablehand, and ordered him to saddle “le Blanc,” then he awoke his son, a child of seven years, whom he ordered to ride before the gentleman and bring back the horse. Andrea gave the inn–keeper twenty francs, and in taking them from his pocket dropped a visiting card. This belonged to one of his friends at the Café de Paris, so that the innkeeper, picking it up after Andrea had left, was convinced that he had let his horse to the Count of Mauleon, 25 Rue Saint–Dominique, that being the name and address on the card. “Le Blanc” was not a fast animal, but he kept up an easy, steady pace; in three hours and a half Andrea had traversed the nine leagues which separated him from Compiegne, and four o’clock struck as he reached the place where the coaches stop. There is an excellent tavern at Compiègne, well remembered by those who have ever been there. Andrea, who had often stayed there in his rides about Paris, recollected the Bell and Bottle inn; he turned around, saw the sign by the light of a reflected lamp, and having dismissed the child, giving him all the small coin he had about him, he began knocking at the door, very reasonably concluding that having now three or four hours before him he had best fortify himself against the fatigues of the morrow by a sound sleep and a good supper. A waiter opened the door.
“My friend,” said Andrea, “I have been dining at Saint–Jean–au–Bois, and expected to catch the coach which passes by at midnight, but like a fool I have lost my way, and have been walking for the last four hours in the forest. Show me into one of those pretty little rooms which overlook the court, and bring me a cold fowl and a bottle of Bordeaux.” The waiter had no suspicions; Andrea spoke with perfect composure, he had a cigar in his mouth, and his hands in the pocket of his top coat; his clothes were fashionably made, his chin smooth, his boots irreproachable; he looked merely as if he had stayed out very late, that was all. While the waiter was preparing his room, the hostess arose; Andrea assumed his most charming smile, and asked if he could have No. 3, which he had occupied on his last stay at Compiègne. Unfortunately, No. 3 was engaged by a young man who was travelling with his sister. Andrea appeared in despair, but consoled himself when the hostess assured him that No. 7, prepared for him, was situated precisely the same as No. 3, and while warming his feet and chatting about the last races at Chantilly, he waited until they announced his room to be ready.
Andrea had not spoken without cause of the pretty rooms looking out upon the court of the Bell Tavern, which with its triple galleries like those of a theatre, with the jessamine and clematis twining round the light columns, forms one of the prettiest entrances to an inn that you can imagine. The fowl was tender, the wine old, the fire clear and sparkling, and Andrea was surprised to find himself eating with as good an appetite as though nothing had happened. Then he went to bed and almost immediately fell into that deep sleep which is sure to visit men of twenty years of age, even when they are torn with remorse. Now, here we are obliged to own that Andrea ought to have felt remorse, but that he did not. This was the plan which had appealed to him to afford the best chance of his security. Before daybreak he would awake, leave the inn after rigorously paying his bill, and reaching the forest, he would, under pretence of making studies in painting, test the hospitality of some peasants, procure himself the dress of a woodcutter and a hatchet, casting off the lion’s skin to assume that of the woodman; then, with his hands covered with dirt, his hair darkened by means of a leaden comb, his complexion embrowned with a preparation for which one of his old comrades had given him the recipe, he intended, by following the wooded districts, to reach the nearest frontier, walking by night and sleeping in the day in the forests and quarries, and only entering inhabited regions to buy a loaf from time to time.
Once past the frontier, Andrea proposed making money of his diamonds; and by uniting the proceeds to ten bank–notes he always carried about with him in case of accident, he would then find himself possessor of about 50,000 livres, which he philosophically considered as no very deplorable condition after all. Moreover, he reckoned much on the interest of the Danglars to hush up the rumor of their own misadventures. These were the reasons which, added to the fatigue, caused Andrea to sleep so soundly. In order that he might awaken early he did not close the shutters, but contented himself with bolting the door and placing on the table an unclasped and long–pointed knife, whose temper he well knew, and which was never absent from him. About seven in the morning Andrea was awakened by a ray of sunlight, which played, warm and brilliant, upon his face. In all well–organized brains, the predominating idea—and there always is one—is sure to be the last thought before sleeping, and the first upon waking in the morning. Andrea had scarcely opened his eyes when his predominating idea presented itself, and whispered in his ear that he had slept too long. He jumped out of bed and ran to the window. A gendarme was crossing the court. A gendarme is one of the most striking objects in the world, even to a man void of uneasiness; but for one who has a timid conscience, and with good cause too, the yellow, blue, and white uniform is really very alarming.
“Why is that gendarme there?” asked Andrea of himself. Then, all at once, he replied, with that logic which the reader has, doubtless, remarked in him, “There is nothing astonishing in seeing a gendarme at an inn; instead of being astonished, let me dress myself.” And the youth dressed himself with a facility his valet de chambre had failed to rob him of during the two months of fashionable life he had led in Paris. “Now then,” said Andrea, while dressing himself, “I’ll wait till he leaves, and then I’ll slip away.” And, saying this, Andrea, who had now put on his boots and cravat, stole gently to the window, and a second time lifted up the muslin curtain. Not only was the first gendarme still there, but the young man now perceived a second yellow, blue, and white uniform at the foot of the staircase, the only one by which he could descend, while a third, on horseback, holding a musket in his fist, was posted as a sentinel at the great street door which alone afforded the means of egress.
The appearance of the third gendarme settled the matter, for a crowd of curious loungers was extended before him, effectually blocking the entrance to the hotel. “They’re after me!” was Andrea’s first thought. “The devil!” A pallor overspread the young man’s forehead, and he looked around him with anxiety. His room, like all those on the same floor, had but one outlet to the gallery in the sight of everybody. “I am lost!” was his second thought; and, indeed, for a man in Andrea’s situation, an arrest meant the assizes, trial, and death,—death without mercy or delay. For a moment he convulsively pressed his head within his hands, and during that brief period he became nearly mad with terror; but soon a ray of hope glimmered in the multitude of thoughts which bewildered his mind, and a faint smile played upon his white lips and pallid cheeks. He looked around and saw the objects of his search upon the chimney–piece; they were a pen, ink, and paper. With forced composure he dipped the pen in the ink, and wrote the following lines upon a sheet of paper:—
“I have no money to pay my bill, but I am not a dishonest man; I leave behind me as a pledge this pin, worth ten times the amount. I shall be excused for leaving at daybreak, for I was ashamed.”
He then drew the pin from his cravat and placed it on the paper. This done, instead of leaving the door fastened, he drew back the bolts and even placed the door ajar, as though he had left the room, forgetting to close it, and slipping into the chimney like a man accustomed to that kind of gymnastic exercise, having effaced the marks of his feet upon the floor, he commenced climbing the only opening which afforded him the means of escape. At this precise time, the first gendarme Andrea had noticed walked up–stairs, preceded by the commissary of police, and supported by the second gendarme who guarded the staircase and was himself re–enforced by the one stationed at the door.
Andrea was indebted for this visit to the following circumstances. At daybreak, the telegraphs were set at work in all directions, and almost immediately the authorities in every district had exerted their utmost endeavors to arrest the murderer of Caderousse. Compiègne, that royal residence and fortified town, is well furnished with authorities, gendarmes, and commissaries of police; they therefore began operations as soon as the telegraphic despatch arrived, and the Bell and Bottle being the best–known hotel in the town, they had naturally directed their first inquiries there.
Now, besides the reports of the sentinels guarding the Hotel de Ville, which is next door to the Bell and Bottle, it had been stated by others that a number of travellers had arrived during the night. The sentinel who was relieved at six o’clock in the morning, remembered perfectly that just as he was taking his post a few minutes past four a young man arrived on horseback, with a little boy before him. The young man, having dismissed the boy and horse, knocked at the door of the hotel, which was opened, and again closed after his entrance. This late arrival had attracted much suspicion, and the young man being no other than Andrea, the commissary and gendarme, who was a brigadier, directed their steps towards his room.
They found the door ajar. “Oh, ho,” said the brigadier, who thoroughly understood the trick; “a bad sign to find the door open! I would rather find it triply bolted.” And, indeed, the little note and pin upon the table confirmed, or rather corroborated, the sad truth. Andrea had fled. We say corroborated, because the brigadier was too experienced to be convinced by a single proof. He glanced around, looked in the bed, shook the curtains, opened the closets, and finally stopped at the chimney. Andrea had taken the precaution to leave no traces of his feet in the ashes, but still it was an outlet, and in this light was not to be passed over without serious investigation.
The brigadier sent for some sticks and straw, and having filled the chimney with them, set a light to it. The fire crackled, and the smoke ascended like the dull vapor from a volcano; but still no prisoner fell down, as they expected. The fact was, that Andrea, at war with society ever since his youth, was quite as deep as a gendarme, even though he were advanced to the rank of brigadier, and quite prepared for the fire, he had climbed out on the roof and was crouching down against the chimney–pots. At one time he thought he was saved, for he heard the brigadier exclaim in a loud voice, to the two gendarmes, “He is not here!” But venturing to peep, he perceived that the latter, instead of retiring, as might have been reasonably expected upon this announcement, were watching with increased attention.
It was now his turn to look about him; the Hôtel de Ville, a massive sixteenth century building, was on his right; any one could descend from the openings in the tower, and examine every corner of the roof below, and Andrea expected momentarily to see the head of a gendarme appear at one of these openings. If once discovered, he knew he would be lost, for the roof afforded no chance of escape; he therefore resolved to descend, not through the same chimney by which he had come up, but by a similar one conducting to another room. He looked around for a chimney from which no smoke issued, and having reached it, he disappeared through the orifice without being seen by any one. At the same minute, one of the little windows of the Hotel de Ville was thrown open, and the head of a gendarme appeared. For an instant it remained motionless as one of the stone decorations of the building, then after a long sigh of disappointment the head disappeared. The brigadier, calm and dignified as the law he represented, passed through the crowd, without answering the thousand questions addressed to him, and re–entered the hotel.
“Well?” asked the two gendarmes.
“Well, my boys,” said the brigadier, “the brigand must really have escaped early this morning; but we will send to the Villers–Coterêts and Noyon roads, and search the forest, when we shall catch him, no doubt.” The honorable functionary had scarcely expressed himself thus, in that intonation which is peculiar to brigadiers of the gendarmerie, when a loud scream, accompanied by the violent ringing of a bell, resounded through the court of the hotel. “Ah, what is that?” cried the brigadier.
“Some traveller seems impatient,” said the host. “What number was it that rang?”
“Number 3.”
“Run, waiter!” At this moment the screams and ringing were redoubled. “Ah,” said the brigadier, stopping the servant, “the person who is ringing appears to want something more than a waiter; we will attend upon him with a gendarme. Who occupies Number 3?”
“The little fellow who arrived last night in a post–chaise with his sister, and who asked for an apartment with two beds.” The bell here rang for the third time, with another shriek of anguish.
“Follow me, Mr. Commissary!” said the brigadier; “tread in my steps.”
“Wait an instant,” said the host; “Number 3 has two staircases,—inside and outside.”
“Good,” said the brigadier. “I will take charge of the inside one. Are the carbines loaded?”
“Yes, brigadier.”
“Well, you guard the exterior, and if he attempts to fly, fire upon him; he must be a great criminal, from what the telegraph says.”
The brigadier, followed by the commissary, disappeared by the inside staircase, accompanied by the noise which his assertions respecting Andrea had excited in the crowd. This is what had happened. Andrea had very cleverly managed to descend two–thirds of the chimney, but then his foot slipped, and notwithstanding his endeavors, he came into the room with more speed and noise than he intended. It would have signified little had the room been empty, but unfortunately it was occupied. Two ladies, sleeping in one bed, were awakened by the noise, and fixing their eyes upon the spot whence the sound proceeded, they saw a man. One of these ladies, the fair one, uttered those terrible shrieks which resounded through the house, while the other, rushing to the bell–rope, rang with all her strength. Andrea, as we can see, was surrounded by misfortune.
“For pity’s sake,” he cried, pale and bewildered, without seeing whom he was addressing,—”for pity’s sake do not call assistance! Save me!—I will not harm you.”
“Andrea, the murderer!” cried one of the ladies.
“Eugénie! Mademoiselle Danglars!” exclaimed Andrea, stupefied.
“Help, help!” cried Mademoiselle d’Armilly, taking the bell from her companion’s hand, and ringing it yet more violently. “Save me, I am pursued!” said Andrea, clasping his hands. “For pity, for mercy’s sake do not deliver me up!”
“It is too late, they are coming,” said Eugénie.
“Well, conceal me somewhere; you can say you were needlessly alarmed; you can turn their suspicions and save my life!”
The two ladies, pressing closely to one another, and drawing the bedclothes tightly around them, remained silent to this supplicating voice, repugnance and fear taking possession of their minds.
“Well, be it so,” at length said Eugénie; “return by the same road you came, and we will say nothing about you, unhappy wretch.”
“Here he is, here he is!” cried a voice from the landing; “here he is! I see him!” The brigadier had put his eye to the keyhole, and had discovered Andrea in a posture of entreaty. A violent blow from the butt end of the musket burst open the lock, two more forced out the bolts, and the broken door fell in. Andrea ran to the other door, leading to the gallery, ready to rush out; but he was stopped short, and he stood with his body a little thrown back, pale, and with the useless knife in his clinched hand.
“Fly, then!” cried Mademoiselle d’Armilly, whose pity returned as her fears diminished; “fly!”
“Or kill yourself!” said Eugénie (in a tone which a Vestal in the amphitheatre would have used, when urging the victorious gladiator to finish his vanquished adversary). Andrea shuddered, and looked on the young girl with an expression which proved how little he understood such ferocious honor. “Kill myself?” he cried, throwing down his knife; “why should I do so?”
“Why, you said,” answered Mademoiselle Danglars, “that you would be condemned to die like the worst criminals.”
“Bah,” said Cavalcanti, crossing his arms, “one has friends.”
The brigadier advanced to him, sword in hand. “Come, come,” said Andrea, “sheathe your sword, my fine fellow; there is no occasion to make such a fuss, since I give myself up;” and he held out his hands to be manacled. The girls looked with horror upon this shameful metamorphosis, the man of the world shaking off his covering and appearing as a convict. Andrea turned towards them, and with an impertinent smile asked,—”Have you any message for your father, Mademoiselle Danglars, for in all probability I shall return to Paris?”
Eugénie covered her face with her hands. “Oh, ho!” said Andrea, “you need not be ashamed, even though you did post after me. Was I not nearly your husband?”
And with this raillery Andrea went out, leaving the two girls a prey to their own feelings of shame, and to the comments of the crowd. An hour after they stepped into their calash, both dressed in feminine attire. The gate of the hotel had been closed to screen them from sight, but they were forced, when the door was open, to pass through a throng of curious glances and whispering voices. Eugénie closed her eyes; but though she could not see, she could hear, and the sneers of the crowd reached her in the carriage. “Oh, why is not the world a wilderness?” she exclaimed, throwing herself into the arms of Mademoiselle d’Armilly, her eyes sparkling with the same kind of rage which made Nero wish that the Roman world had but one neck, that he might sever it at a single blow. The next day they stopped at the Hôtel de Flandre, at Brussels. The same evening Andrea was incarcerated in the Conciergerie.
We have seen how quietly Mademoiselle Danglars and Mademoiselle d’Armilly accomplished their transformation and flight; the fact being that every one was too much occupied in his or her own affairs to think of theirs.
We will follow the baroness, who after being momentarily crushed under the weight of the blow which had struck her, had gone to seek her usual adviser, Lucien Debray. The baroness had looked forward to this marriage as a means of ridding her of a guardianship which, over a girl of Eugénie’s character, could not fail to be rather a troublesome undertaking; for in the tacit relations which maintain the bond of family union, the mother, to maintain her ascendancy over her daughter, must never fail to be a model of wisdom and a type of perfection.
We will follow the baroness, who after being momentarily crushed under the weight of the blow which had struck her, had gone to seek her usual adviser, Lucien Debray. The baroness had looked forward to this marriage as a means of ridding her of a guardianship which, over a girl of Eugénie’s character, could not fail to be rather a troublesome undertaking; for in the tacit relations which maintain the bond of family union, the mother, to maintain her ascendancy over her daughter, must never fail to be a model of wisdom and a type of perfection.
Now, Madame Danglars feared Eugénie’s sagacity and the influence of Mademoiselle d’Armilly; she had frequently observed the contemptuous expression with which her daughter looked upon Debray,—an expression which seemed to imply that she understood all her mother’s amorous and pecuniary relationships with the intimate secretary; moreover, she saw that Eugénie detested Debray,—not only because he was a source of dissension and scandal under the parental roof, but because she had at once classed him in that catalogue of bipeds whom Diogenes endeavors to withdraw from the appellation of men.
Unfortunately, in this world of ours, each person views things through a certain medium, and so is prevented from seeing in the same light as others, and Madame Danglars, therefore, very much regretted that the marriage of Eugénie had not taken place, not only because the match was good, and likely to insure the happiness of her child, but because it would also set her at liberty. She ran therefore to Debray, who, after having like the rest of Paris witnessed the contract scene and the scandal attending it, had retired in haste to his club, where he was chatting with some friends upon the events which served as a subject of conversation for three–fourths of the capital of the world.
At the precise time when Madame Danglars, dressed in black and concealed in a long veil, was ascending the stairs leading to Debray’s apartments,—notwithstanding the assurances of the concierge that the young man was not at home,—Debray was occupied in repelling the insinuations of a friend, who tried to persuade him that after the terrible scene which had just taken place he ought, as a friend of the family, to marry Mademoiselle Danglars and her two millions. Debray did not defend himself very warmly, for the idea had sometimes crossed his mind; still, when he recollected the independent, proud spirit of Eugénie, he positively rejected it as utterly impossible, though the same thought again continually recurred and found a resting–place in his heart. Tea, play, and the conversation, which had become interesting during the discussion of such serious affairs, lasted till one o’clock in the morning.
Meanwhile Madame Danglars, veiled and uneasy, awaited the return of Debray in the little green room, seated between two baskets of flowers, which she had that morning sent, and which, it must be confessed, Debray had himself arranged and watered with so much care that his absence was half excused in the eyes of the poor woman.
At twenty minutes of twelve, Madame Danglars, tired of waiting, returned home. Women of a certain grade are like prosperous grisettes in one respect, they seldom return home after twelve o’clock. The baroness returned to the hotel with as much caution as Eugénie used in leaving it; she ran lightly up–stairs, and with an aching heart entered her apartment, contiguous, as we know, to that of Eugénie. She was fearful of exciting any remark, and believed firmly in her daughter’s innocence and fidelity to the parental roof. She listened at Eugénie’s door, and hearing no sound tried to enter, but the bolts were in place. Madame Danglars then concluded that the young girl had been overcome with the terrible excitement of the evening, and had gone to bed and to sleep. She called the maid and questioned her.
“Mademoiselle Eugénie,” said the maid, “retired to her apartment with Mademoiselle d’Armilly; they then took tea together, after which they desired me to leave, saying that they needed me no longer.” Since then the maid had been below, and like every one else she thought the young ladies were in their own room; Madame Danglars, therefore, went to bed without a shadow of suspicion, and began to muse over the recent events. In proportion as her memory became clearer, the occurrences of the evening were revealed in their true light; what she had taken for confusion was a tumult; what she had regarded as something distressing, was in reality a disgrace. And then the baroness remembered that she had felt no pity for poor Mercedes, who had been afflicted with as severe a blow through her husband and son.
“Eugénie,” she said to herself, “is lost, and so are we. The affair, as it will be reported, will cover us with shame; for in a society such as ours satire inflicts a painful and incurable wound. How fortunate that Eugénie is possessed of that strange character which has so often made me tremble!” And her glance was turned towards heaven, where a mysterious providence disposes all things, and out of a fault, nay, even a vice, sometimes produces a blessing. And then her thoughts, cleaving through space, rested on Cavalcanti. This Andrea was a wretch, a robber, an assassin, and yet his manners showed the effects of a sort of education, if not a complete one; he had been presented to the world with the appearance of an immense fortune, supported by an honorable name. How could she extricate herself from this labyrinth? To whom would she apply to help her out of this painful situation? Debray, to whom she had run, with the first instinct of a woman towards the man she loves, and who yet betrays her,—Debray could but give her advice, she must apply to someone more powerful than he.
ALEXANDRE DUMAS -
LE COMTE DE MONTE-CRISTO
(If you wonder, they live happy ever after in Italy as opera singers, though the author stops their story right here!)
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