martes, 20 de junio de 2017

LES BELLES INFIDÈLES BAROQUES

SALMACIS ET HERMAPHRODITE À LA RENAISSANCE ET À L’ÂGE BAROQUE:
TRADUCTIONS ET RÉÉCRITURES ITALIENNES D’UN MYTHE OVIDIEN

La version du mythe de l’Hermaphrodite telle qu’elle est esquissée dans le quatrième livre des Métamorphoses d’Ovide, n’a pas souvent été revisitée par les poètes italiens de
la Renaissance et de l’âge baroque. Contrairement, par exemple, à l’histoire de
Daphné, d’Actéon ou de Narcisse, celle du jeune homme transformé par les
dieux en un être bisexué ne connaît pas une grande fortune littéraire en Italie.
Pourtant, tout au long de la Renaissance, la version ovidienne du mythe de
l’Hermaphrodite survit — entre autres — grâce aux volgarizzamenti, c’est-àdire
les traductions italiennes (assez libres) des Métamorphoses qui, vues les
nombreuses rééditions, ont remporté un succès considérable auprès du public
des lecteurs. Au début du XVIIe siècle Girolamo Preti consacre au mythe ovidien
un idillio intitulé La Salmace. La première partie de cette contribution est
consacrée à l’examen des volgarizzamenti: nous répondrons à la question de
savoir si et comment les traducteurs interviennent dans le récit
d’Hermaphrodite et dans le thème amoureux que le mythe véhicule. Dans la
dernière section nous examinerons le développement du thème amoureux
dans la version de Preti et nous indiquerons les liens intertextuels qu’entretient
celle-ci avec les traductions des Métamorphoses.

 Le récit d’Hermaphrodite dans les volgarizzamenti italiens

Nous l’avons déjà signalé: entre le XIVe et le XVIIe siècles l’histoire de
Salmacis et Hermaphrodite ne jouit pas d’une grande popularité parmi les
poètes italiens. Comment expliquer le nombre réduit de réécritures du
mythe durant cette période? Le mythe ovidien
semble plus difficilement conciliable avec la morale contemporaine. Sans
doute la thématique explicitement érotique de l’histoire, qui, en représentant
une nymphe violemment séductrice, bouleverse clairement les rôles
sexuels traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes, n’a pas pu
inspirer les poètes d’amour à la recherche d’un modèle antique apte à incarner
une “donna amata” conçue plutôt comme objet de désir physique ou
d’admiration spirituelle. Sans doute le résultat — à la fois merveilleux et
horrifiant — de la métamorphose décrite par le poète de Sulmone, à savoir
la fusion définitive de deux corps en un être portant les traits des deux
sexes, a été perçu comme un monstre incapable d’exprimer des thèmes
amoureux axés sur l’inaccessibilité de la femme aimée et la solitude de
l’amant. C’est d’ailleurs l’Hermaphrodite monstrueux qui a fourni à Dante
un des cas (italiens) de réutilisation originale du mythe: dans le 25e chant
de l’Enfer le poète évoque la punition des âmes coupables de vol et qui
consiste en une horrible transformation réalisée à travers la fusion d’une
âme et d’un serpent.
A partir du XIVe siècle les traductions italiennes des textes antiques, à
savoir les volgarizzamenti, assument un rôle important en tant que vecteur de
la mémoire mythologique. De quel type de textes s’agit-il? Composés à partir
du XIVe siècle, les volgarizzamenti sont issus de la mythographie médiévale,
c’est-à-dire la tradition exégétique qui cherchait à lire dans les mythes classiques
des histoires allégoriques conformes à la doctrine et la morale chrétienne. Les
traductions en langue vulgaire, contrairement à la mythographie latine, s’adressaient
initialement à des lecteurs — par exemple des artistes et des artisans —
qui n’avaient pas eu l’occasion de suivre une formation humaniste.

Le dernier volgarizzamento dont il sera question,
sont les Metamorfosi de Giovanni Andrea dell’Anguillara qui ont été publiées
pour la première fois en 1561. Anguillara, plus encore que Ludovico Dolce, conçoit sa
“traduction” comme une émulation par rapport à l’Arioste, ce qui explique
les nombreuses interventions dans les récits ovidiens.

Jetons maintenant un coup d’oeil sur les passages consacrés à Salmacis
et Hermaphrodite. Comment les volgarizzatori ont-ils traité un des thèmes
les plus fondamentaux du mythe, à savoir celui de l’amour et de la sexualité?
Dans les Métamorphoses l’histoire d’Hermaphrodite représente une
variation par rapport au paradigme des vierges poursuivies élaboré dans les
trois premiers livres. De l’étude de Fabre-Serris à celle de Heath ou celle de
Segal: la thématique ovidienne de la chasse d’amour a déjà été analysée de
manière approfondie. Développé pour la première fois dans le récit de
Daphné, le thème de la poursuite de la nymphe domine les épisodes d’Io
(Met. I, 568-624), de Syrinx (Met. I, 689-712) et de Callisto (Met. II, 401-
530). Dans chacun de ces épisodes une divinité masculine poursuit une
nymphe dans un bois avant d’entreprendre une tentative de viol (tentative
réussie dans le cas de Callisto). Dans chaque épisode les nymphes sont de
belles vierges dont, à l’exception du cas d’Io, la fidélité à la chaste Diane et
la vocation à la chasse coïncident avec un rejet de l’amour physique et de
la vie conjugale. Or, Salmacis ne s’intéresse pas du tout à la chasse et, en
plus, elle n’hésite pas à prendre l’initiative dans le domaine de l’amour.
Comment traduire au XIVe ou au XVIe siècle un mythe qui, en développant
explicitement une thématique sexuelle, remet en question la division
et le rôle des sexes? Face à cet épisode les contemporains ont ressenti certainement
un certain embarras. Il suffit de renvoyer à la censure de l’illustration
qui accompagne la traduction de Dolce. Dans de nombreuses éditions
de son volgarizzamento l’image, qui visualise l’étreinte des protagonistes
(et qui, d’ailleurs, est inspirée d’une illustration dans l’Ovide moralisé)
est masquée par une grande tache d’encre.

Quoique les traducteurs italiens n’apportent pas de modifications radicales
par rapport au récit antique, leurs interventions témoignent d’une
attitude morale très ambivalente par rapport au mythe. En ce qui concerne
le développement du thème amoureux et la représentation des protagonistes,
ces interventions préfigurent également la version baroque élaborée
par Girolamo Preti au début du XVIIe siècle.

Le dernier volgarizzamento rédigé par Giovanni Andrea dell’Anguillara se
caractérise par une attitude double envers la source ovidienne. Quant à l’épisode
d’Hermaphrodite, certains passages offrent une traduction italienne assez
fidèle au texte latin, tandis que d’autres ont subi des modifications. Citons,
par exemple, les vers qui évoquent l’arrivée d’Hermaphrodite à la source:

Hor come giunge il giovane trilustre
A’ cosi nobil fonte, e cosi chiaro,
Vuol ristorar di quello humore il volto,
Che gli ha il Sole, e ‘l camin col sudor tolto.

Gusta con gran piacer quel chiuso fonte
Preso il garzon dal caldo, e dalla sete;
La man si lava, e la sudata fronte,
E poi va sotto l’ombra d’un abete,
Che fin, che ‘l Sol non cala alquanto il monte,
Vuol dar le lasse membra a la quiete:
Ma siede à pena in su l’herbosa sponda,
Ch’una Ninfa lo scorge di quell’onda.

Hermaphrodite, avant d’être vu par Salmacis, se rafraîchit près de la
source: il boit, il se lave les mains et le front transpirant dans l’eau. Ensuite
il décide de se reposer à l’ombre d’un sapin. La scène du rafraîchissement,
une prolepse absente dans le modèle latin, annonce le bain du jeune
décrit à la fin du récit. En même temps, cette scène, qui ajoute à l’image
de l’eau transparente d’autres éléments, tels que la chaleur, l’ombre et la
fraîcheur, transforme la description ovidienne de la source en un véritable
locus amoenus.
Certains passages manifestent l’influence de la traduction de Dolce: la
nymphe qui, au moment de la rencontre avec Hermaphrodite, “coglie hor
fior per ornarsi”, rappelle la Naïade à la guirlande de fleurs évoquée dans
les Trasformationi. Anguillara combine cette traduction avec la source latine
pour traduire la similitude qui compare le corps d’Hermaphrodite à une fleur. 
Le fils de Vénus (“ei”), comme dans la version ovidienne, reste sujet
du verbe qui exprime la translucidité (“traspare”), mais le personnage est
associé à une rose et non plus à un lis blanc. Dans la version d’Anguillara
— qui met en relief le voyeurisme de Salmacis — le lecteur ne retrouve
plus l’analogie entre le corps du jeune et la blancheur du lis:

Entra ei ne l’acque cristalline, e chiare,
Dove à la Ninfa il fonte non contende,
Che possa à quel bel corpo penetrare
Con l’occhio, che sì cupido v’intende.
Come in un vetro una rosa traspare,
Che chiusa gli occhi altrui di fuor risplende;
Tal chiuso ei traspar nel picciol fiume
Al lampeggiante de la Ninfa lume.

En ce qui concerne la modification des similitudes, nous signalons également
les vers qui évoquent l’étreinte de Salmacis. L’embrassade, comme
dans les Métamorphoses, est associée au lierre et au polype, mais, là où les
images ovidiennes n’expriment que le fait d’enlacer, la version
d’Anguillara insiste également sur la façon dont la nymphe serre le corps
d’Hermaphrodite.

Cela vaut la peine de passer au crible cette dernière partie du mythe qui
s’écarte à bien des égards du passage correspondant dans les Métamorphoses.
Considérons, par exemple, la scène de l’accouplement des deux protagonistes.
Si, au moment de l’étreinte, l’Hermaphrodite ovidien “refuse à la
nymphe la joie qu’elle espère”, dans le texte d’Anguillara, Salmacis réussit
à imposer sa volonté. Après une allusion assez explicite à la jouissance de la
fille, le lecteur apprend qu’au point culminant, elle invoque Jupiter/Zeus, pas seulement
pour garder Hermaphrodite prisonnier, mais (surtout) afin de prolonger
le grand plaisir qu’elle est en train d’éprouver:

Ei stà nel suo proposito, e contende,
E nega à quella il disiato bene,
Ma à poco à poco ella in tal modo in prende
Che come era il disio, se ’l gode, e tiene.
E mentre ingorda al suo contento intende,
Di grado in grado in tal dolcezza viene,
Ch’alza i travolti lumi al cielo, e move
Un parlar pien d’affanno, e rotto à Giove.

Fa sommo Dio del gran piacer, ch’io sento,
Tutti i miei sensi eternamente ricchi;

Les octaves finales de l’épisode, pourtant, ne surprennent pas: aucun
des volgarizzatori antérieurs n’utilise aussi fréquemment les mots “amor”,
“dolce” ou “soave”. Il suffit de citer, à titre illustratif, le passage où Salmacis
implore des baisers à Hermaphrodite:

Lascia amor mio, che da tuoi labri io toglia
Baci almen da congiunta, e da sorella.
Se quei dolci d’amor dar non mi vuoi,
Non mi negar quei de’ parenti tuoi.

Il dolce soro, e mal accorto figlio
Prova sciorsi da lei, ma dolcemente:
Le parla poi con vergognoso ciglio,
Con sì timido dir, ch’à pena il sente...

La mise en relief du côté sensuel du mythe apparaît également dans la
répétition du verbe “godere”: presque absent dans les traductions
d’Agostini ou de Dolce, le mot est utilisé deux fois dans la description de
la vie oisive de Salmacis:

O s’attuffa nel fonte, ò si rinselva
Fra gli alberi suoi proprii, e si compiace
Godersi il suo paese, e starsi in pace.
Senza cura tener de le sorelle
Lieta si stà à goder le patrie sponde.

La traduction d’Anguillara contraste fortement avec le ton du discours
moralisant des Trasformationi. Même si tous les volgarizzatori présentent
leurs textes comme des traductions italiennes des Métamorphoses, le contenu de chaque version diffère à la fois de la source latine et des autres volgarizzamenti.
A la base de ces divergences sont, entre autres, le modèle de
la traduction (texte original ou paraphrase médiévale) et l’influence d’auteurs
ou de genres contemporains. De l’ensemble des traductions émerge
toutefois une attitude ambigüe envers la thématique sexuelle et la figure de
la nymphe. La représentation d’Hermaphrodite reste stable et ne manifeste
pas de grandes modifications par rapport à l’homologue ovidien.
Salmacis, par contre, se révèle un personnage problématique. Naïade
pudique chez Agostini, nymphe troublée par amour chez Dolce ou fille
voluptueuse chez Anguillara: il semble que les traducteurs l’aient associée à
plusieurs types féminins. A cette gamme de nymphes, le poète baroque
Girolamo Preti ajoute une autre variante.

4. La Salmace de Girolamo Preti: réécriture baroque du mythe ovidien

La Salmace— poème composé et publié pour la première fois en 1608 mais
réélaboré jusqu’en 1625 — ne constitue pas une traduction des
Métamorphoses. L’intrigue, pourtant, ne subit pas de grandes transformations:
“L’amplificatio cui è sottoposto il testo ovidiano concerne gli inserti descrittivi
e alcuni ingredienti narrativi […]”. Le poème s’ouvre sur une longue
description du mont Ida (1-68) qui est le témoin des amours de Vénus et
Mercure et de la conception d’Hermaphrodite (69-141). Contrairement à la
version antique, Preti consacre plus de vingt vers à la naissance et à l’éducation
de l’enfant (151-179), un passage qui culmine dans la description de
l’adolescent (180-251). Ce n’est qu’après un litige avec Cupidon arbitré par
Vénus (252-269) qu’Hermaphrodite entame les voyages qui l’emmènent en
Carie, à la source de Salmacis (270-402). A la fin du poème, le poète passe
sous silence la malédiction prononcée par le jeune.
Comment expliquer — vu l’impopularité du mythe dans la poésie italienne
de la Renaissance — le choix de consacrer un poème de 820 vers au
récit de Salmacis et Hermaphrodite? Sa réapparition est sans doute liée è une
question générique: Preti réécrit l’histoire selon les schèmes de l’idillio, un
genre en vogue au début du dix-septième siècle. La Salmace — unique idylle
mythologique composée par le poète bolonais — occupe une place particulière
dans sa production littéraire, mais aussi dans l’ensemble de la poésie
baroque italienne parce qu’il a joué un rôle fondamental dans le lancement
du genre de l’idillio en Italie. Chiodo définit l’idylle comme “un componimento
di lunghezza variabile […], di argomento vario e nel metro abitualmente definito come ‘madrigalesco libero’[...]”, mais il insiste aussi sur la
présence d’une “aura” ovidienne dans la représentation de la nature: “la natura
descritta ... è la natura ‘animata’, intimamente vitale e partecipe dell’anima
del mondo.... È il cosmo ovidiano, ma anche il cosmo della più felice poesia
rinascimentale, forse ancor più che non quello del ‘sensualismo’ barocco”.
Au seuil du dix-septième siècle l’idylle constitue d’ailleurs un exemple
de “giovanilismo letterario”: il s’agit d’un genre pratiqué par des poètes
débutants et apprécié par un public jeune, mais qui a très vite suscité des
réactions hostiles de la part des poètes soutenus par les dignitaires ecclésiastiques.
La résistance à ces poèmes s’explique — entre autres — par la
conception assez libre de l’amour et de la sexualité qu’ils véhiculent: “La
poesia idillica è tutta contesta di eroine, mitologiche e no, che vivono liberamente
la propria sessualità e che in nome dell’amore combattono i pregiudizi
che tale libertà vogliono costringere e negare”. La nature “ovidienne”,
la thématique amoureuse, le rôle des personnages féminins et le
succès du genre auprès des lecteurs féminins: tenant compte de ces critères,
le choix de réécrire le mythe de Salmacis et Hermaphrodite apparaît
beaucoup moins surprenant.
Quelles sont alors les caractéristiques les plus importantes de la version
baroque ? Selon Chiodo, l’érotisme idyllique ne se présente pas “nella veste
della salacità burlesca o dell’eccitata lascivia, ma proprio in quella misura
di umano calore”. Jetons un coup d’oeil sur les passages descriptifs qui
sont parmi les plus illustratifs de la recherche à cette sensualité tempérée.
Dans l’imagination du poète, le mont Ida et la caverne d’amour font partie
d’un paysage particulièrement paisible et doux caractérisé par des lignes
sinueuses et des couleurs intenses. Si la description du locus amoenus fait
appel au sens de la vue et de l’ouïe — notons l’évocation du “dolce rio” près
de l’antre (52-60) — le passage exprime également l’idée d’une fusion de
la sphère naturelle et de l’humain. Si au fleuve Pattolo sont attribuées des
activités humaines, le mont Ida est présenté comme un colosse dont les versants
sont couverts d’un manteau vert orné de rubans céruléens:

Là dove il bel Pattolo
tra sponde di smeraldo
di lucid’or fa biondeggiar l’arena,
e per lidie contrade
e per frigie campagne
passeggia, umido il piè, lubrico il passo;
[...]
stesa nel pian le smisurate membra,
sotto forma d’un monte inalza il capo;
monte che sembra appunto
appo Causaso, Pelio, Olimpo ed Ossa
qual tra bassi virgulti alto cipresso.
[...]
Al montüoso tergo, al vasto fianco
fanno un manto frondoso
verdeggianti campagne, orride selve,
e cento fiumi e cento
con tortüosi giri
fanno a quel verde manto, al vago lembo,
di cerulei ricami umide liste.

L’intégration du domaine de l’homme dans la nature s’observe également
dans la longue description d’Hermaphrodite. La beauté du jeune est
suggérée à travers des métaphores naturelles qui invitent le lecteur à visualiser
des paysages splendides:

Se tu miri la fronte,
diresti: è un orizonte,
ch’a lo spuntar d’una serena aurora
di lucido candor s’adorna e splende;
e come sotto l’alba il sole spunta,
così quivi tu vedi
in fronte l’alba, e ne’ begli occhi il sole.

L’omniprésence de l’humain se traduit également par une personnification des parties du corps:

Sovra l’eburnea fronte
pende la chioma errante,
che sottile e tremante,
e sferzata da l’aure,
vezzosamente in fiocchi d’oro ondeggia,
e talor lascivetta,
innamorata anch’essa,
intorno a quel bel viso,
quasi per abbracciarlo,
stende teneramente aurate braccia;
e con crespe vezzose in giú serpendo,
de la bianca cervice
fende con solchi d’or le nevi intatte.

Les cheveux dorés qui embrassent tendrement le visage, le front d’ivoire
associé à l’aurore : malgré leur caractère hyperbolique, ces images
convainquent le lecteur grâce à la douceur de la formulation et la cohérence
avec les caractéristiques du paysage. Notons, à ce propos, la réapparition
de la sinuosité (“ondeggia”; “serpendo”) et des couleurs qui renvoient à des
matériaux précieux (“eburnea” ; “oro” ; “aurate”). Si, selon Barelli, la description
de la beauté exceptionnelle du “garzone” rappelle celle d’Armida
chez le Tasse, il n’est pas difficile d’entrevoir dans ce passage une union
du masculin et du féminin qui préfigure la création de l’être bisexué à la fin
du poème. Un autre élément lié à l’idée de mélange et de fusion exprimée
par le poème est celle de la reproduction et de la naissance. Si la description
étendue des ébats de Vénus et Mercure donne déjà le ton, la récurrence
des mots se référant à la fécondité (humaine) ou aux actes amoureux
contribue à susciter l’idée de la génération, une thématique qui rapproche
le poème baroque des versions plus archaïques du mythe.

Cf. La Salmace, 53-54: “[...] un dolce rio, / un rio di gran torrente umido
figlio”; 284-288: “Vide i regni di Licia e in essa il monte / ove già il mostro orrendo,
/ la triforme Chimera,/ animata fornace, Etna spirante, / di fiamme aver
solea gravido il seno [...]”; 344-346: “In mezzo al prato adorno, / quasi gravida
il sen, la terra aprica/ tumidetta si gonfia e forma un colle”; 350-351: “Sbocca di
grembo al poggio / di cristallino umor vena feconda”; 568-571: “Fur vedute l’erbette
/ alzarsi a lui d’intorno, / per dare a quel bel viso / col verde labro avidamente
un bacio”; 578-581: “L’abete innamorato / piegò la fronte ombrosa, /
stese le verdi sue ramose braccia, / per dargli un bacio, un amoroso amplesso”.

La recherche d’une “sensualità frenata, inibita e pur morbosamente
bramosa” influence également la représentation de Salmacis. La nymphe
baroque ne s’approche ni du personnage pudique chez Agostini, ni de l’homologue
voluptueuse chez Anguillara. Preti réussit à transformer la Naïade
passionnée mise en scène par Ovide en une femme qui est “timidamente
ardita” (v.495). Le premier facteur qui contribue à cette conversion est la
mise en évidence du lien entre Hermaphrodite et Éros. Dans les
Métamorphoses Salmacis demande à Hermaphrodite s’il n’est pas
Cupidon et Anguillara souligne à deux reprises la beauté divine du
jeune, mais c’est Preti qui insiste davantage sur les analogies entre les deux
figures. Nous avons déjà fait allusion à la dispute entre le fils de Mercure et
Cupidon et le rôle de juge assumé par Vénus. Dans son verdict, la déesse
attribue à ses fils une fonction analogue dans le domaine de l’amour:

porti l’arco Cupido,
tu porta l’arco, o figlio;
egli il porti sul fianco, e tu nel ciglio.
Ferisca egli col dardo,
impiaga tu col guardo.
Ciascun porti la face e fiamme scocchi:
egli la porti in mano, e tu negli occhi.

Hermaphrodite se révèle une force d’amour irrésistible : arrivé à la
source de Salmacis le jeune séduit les fleurs et les arbres qui poussent sur
les bords. A la vue de sa beauté reflétée dans l’eau, il s’éprend presque de
sa propre image:

per immensa beltà sé stesso ammira;

e di se stesso vago
arderebbe d’amore,
se non che gli sovviene il folle esempio
del semplice Narciso,
dal fonte acceso e da se stesso ucciso.

Dans la traduction d’Anguillara, Salmacis, avant d’aborder Hermaphrodite,
“move l’acceso, e desioso piede / Ver le bellezze angeliche, e divine”. Au moment
où elle implore un baiser, la nymphe s’exclame: “E ch’io goda d’un don, così
soave, / Come promette il tuo divino aspetto”.

A ce moment le lecteur comprend que, face à un personnage qui incarne
l’amour, Salmacis ne peut que tomber follement amoureuse.
Le deuxième facteur qui change le personnage de Salmacis est la mise
en relief du doute, un procédé qui rapproche la nymphe des protagonistes
d’histoires d’amour (plus) tragiques, tels que, par exemple Byblis ou
Myrrha. Preti met en scène une femme qui, avant de joindre
Hermaphrodite dans la source, est tourmentée par l’hésitation et par des
émotions contradictoires :

Cosí dicendo infamma
d’ardore il volto e d’ardimento il core,
e si muove e s’avvanza,
e corre già rapidamente al lago.
Poi si pente e si ferma,
e ‘l pié sospeso in aria,
resta in forse o se vada o pur se torni.

Les pleurs et “l’intenso dolor” (696) éprouvé par la nymphe changent
radicalement le portrait de l’homologue ovidien. Ce n’est qu’au moment
où elle est incitée par “le furie d’amor” (725) — notons l’influence de
Dolce — qu’elle se transforme en une “bella d’amor baccante” (726), qui,
une fois entrée dans l’eau, embrasse Hermaphrodite “viè piú tenacemente”
(743). Si, en soulignant l’intuition poétique de
Preti, Chiodo attribue la modification de la similitude ovidienne au poète
baroque, la fonction de l’image, à savoir la représentation visuelle de la
lutte entre les deux jeunes, a clairement été inspirée par le volgarizzamento
d’Anguillara.

D’autres éléments tels que l’invocation de Jupiter par Salmacis ou le
repos d’Hermaphrodite à l’ombre d’un sapin démontrent également l’influence
de cette dernière traduction, mais, sans doute, l’atmosphère sensuelle,
l’insistance sur la beauté des protagonistes et du paysage, bref, la tendance
à la soavitas observable dans presque tous les volgarizzamenti ont
incité Girolamo Preti à consacrer son unique idylle mythologique au récit
d’Hermaphrodite.

La Salmace, 765-774: “Deh, grande e sommo Giove, / s’egli è pur ver ch’un
tempo / s’accese nel tuo cor fiamma d’amore, / e ’n sembianza di tauro/ da le
sidonie sponde / traesti già per l’onde / di bel furto amoroso onusto il tergo, / fa
che tra l’onde anch’io/ vinca il crudele, il non amante amato, / e ‘l mio furto d’amor
non mi si tolga”. 
La Salmace, 564-567: “Stanco, anelante, il peregrin vezzoso / quivi frena le
piante, ’n braccio a l’erbe, / dove stende un abete opaca ombrella, / vago di riposar
si corca e giace”.

Quelles conclusions peuvent être déduites de notre analyse? Nous
avons constaté que les versions du mythe proposées par les volgarizzatori se
situent à un niveau intermédiaire entre la traduction et la réécriture. Bien
que l’intrigue ne change guère, les textes italiens n’offrent pas une traduction
fidèle au modèle latin. Les techniques adoptées par les traducteurs du
seizième siècle pour intervenir dans la source sont les suivantes : l’omission
ou la modification des similitudes ovidiennes; l’extension des descriptions;
l’insertion de références à la poésie nationale et — dans le cas d’Anguillara
– l’introduction de scènes nouvelles.

En ce qui concerne la thématique de 
l’amour et de la sexualité, nous avons démontré que, même si les traducteurs
sont encore très liés à l’interprétation allégorique du mythe selon
laquelle Salmacis serait l’emblème de luxure qui mène l’homme à sa perte,
ceci ne leur empêche pas de développer la dimension sensuelle de l’épisode
ovidien. Cette tendance est particulièrement apparente dans la version
d’Anguillara qui évoque de façon explicite le plaisir sexuel éprouvé par
Salmacis. Au début du dix-septième siècle le lancement du genre de l’idillio
constitue un contexte littéraire propice à la réécriture de l’histoire
d’Hermaphrodite: en ajoutant à l’intrigue des descriptions étendues et en
changeant le portrait traditionnel de la nymphe, Girolamo Preti réussit à
offrir une version contemporaine du récit ovidien qui est caractérisée par
un sensualisme tempéré.

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