In the nineteenth century, French children's and young adult literature actually revelled in vore.
The whole nation seems to be orally fixated, as seen by the causes of the Revolution (the crowd asked for bread, which the court kept for itself in excess). And ever since, French cuisine is always the model to follow...
This compilation contains actual vore, threats of vore, interrupted vore, vorish metaphor, comments on the internal state of a prisoner given water torture... a familiar soldier, a pike which to him is a leviathan, a freshwater mer-king and all his entourage, a frog, a grass snake (for not only French humans live on frogs), a kestrel ex machina, et cetera...
Les travailleurs de la mer, Victor Hugo
Set on an island in the English Channel and in a nearby underwater cave, this was supposed to be part of a trilogy with The Hunchback and Les Mis, but it has sadly been forgotten outside France. Gilliatt, the outsider hero, ventures into this cave to find the old captain's sunken ship and thus win the prize the captain has promised to the one who succeeds in the quest: the hand of his niece, whom Gilliatt loves. No vore, but a vorish metaphor to describe the inside of the underwater cave:
Gilliatt s’arrêta court. La crevasse d’où il sortait aboutissait à une saillie étroite et visqueuse, espèce d’encorbellement dans la muraille à pic. Gilliatt s’adossa à la muraille et regarda.
Il était dans une grande cave. Il avait au-dessus de lui quelque chose comme le dessous d’un crâne démesuré. Ce crâne avait l’air fraîchement disséqué. Les nervures ruisselantes des stries du rocher imitaient sur la voûte les embranchements des fibres et les sutures dentelées d’une boîte osseuse. Pour plafond, la pierre ; pour plancher, l’eau ; les lames de la marée, resserrées entre les quatre parois de la grotte, semblaient de larges dalles tremblantes. La grotte était fermée de toutes parts. Pas une lucarne, pas un soupirail ; aucune brèche à la muraille, aucune fêlure à la voûte. Tout cela était éclairé d’en bas à travers l’eau. C’était on ne sait quel resplendissement ténébreux.
Gilliatt, dont les pupilles s’étaient dilatées pendant le trajet obscur du corridor, distinguait tout dans ce crépuscule.
Il connaissait, pour y être allé plus d’une fois, les caves de Plémont à Jersey, le Creux-Maillé à Guernesey, les Boutiques à Serk, ainsi nommées à cause des contrebandiers qui y déposaient leurs marchandises ; aucun de ces merveilleux antres n’était comparable à la chambre souterraine et sous-marine où il venait de pénétrer.
Gilliatt voyait en face de lui sous la vague une sorte d’arche noyée. Cette arche, ogive naturelle façonnée par le flot, était éclatante entre ses deux jambages profonds et noirs. C’est par ce porche submergé qu’entrait dans la caverne la clarté de la haute mer. Jour étrange donné par un engloutissement.
Cette clarté s’évasait sous la lame comme un large éventail et se répercutait sur le rocher. Ses rayonnements rectilignes, découpés en longues bandes droites sur l’opacité du fond, s’éclaircissant ou s’assombrissant d’une anfractuosité à l’autre, imitaient des interpositions de lames de verre. Il y avait du jour dans cette cave, mais du jour inconnu. Il n’y avait plus dans cette clarté rien de notre lumière. On pouvait croire qu’on venait d’enjamber dans une autre planète. La lumière était une énigme ; on eût dit la lueur glauque de la prunelle d’un sphinx. Cette cave figurait le dedans d’une tête de mort énorme et splendide ; la voûte était le crâne, et l’arche était la bouche ; les trous des yeux manquaient. Cette bouche, avalant et rendant le flux et le reflux, béante au plein midi extérieur, buvait de la lumière et vomissait de l’amertume. De certains êtres, intelligents et mauvais, ressemblent à cela. Le rayon du soleil, en traversant ce porche obstrué d’une épaisseur vitreuse d’eau de mer, devenait vert comme un rayon d’Aldébaran. L’eau, toute pleine de cette lumière mouillée, paraissait de l’émeraude en fusion. Une nuance d’aigue-marine d’une délicatesse inouïe teignait mollement toute la caverne. La voûte, avec ses lobes presque cérébraux et ses ramifications rampantes pareilles à des épanouissements de nerfs, avait un tendre reflet de chrysoprase. Les moires du flot, réverbérées au plafond, s’y décomposaient et s’y recomposaient sans fin, élargissant et rétrécissant leurs mailles d’or avec un mouvement de danse mystérieuse. Une impression spectrale s’en dégageait ; l’esprit pouvait se demander quelle proie ou quelle attente faisait si joyeux ce magnifique filet de feu vivant. Aux reliefs de la voûte et aux aspérités du roc pendaient de longues et fines végétations baignant probablement leurs racines à travers le granit dans quelque nappe d’eau supérieure, et égrenant, l’une après l’autre, à leur extrémité, une goutte d’eau, une perle. Ces perles tombaient dans le gouffre avec un petit bruit doux. Le saisissement de cet ensemble était indicible. On ne pouvait rien imaginer de plus charmant ni rien rencontrer de plus lugubre.
C’était on ne sait quel palais de la Mort, contente.
De l’ombre qui éblouit ; tel était ce lieu surprenant.
La palpitation de la mer se faisait sentir dans cette cave. L’oscillation extérieure gonflait, puis déprimait la nappe d’eau intérieure avec la régularité d’une respiration. On croyait deviner une âme mystérieuse dans ce grand diaphragme vert s’élevant et s’abaissant en silence.
L’eau était magiquement limpide, et Gilliatt y distinguait, à des profondeurs diverses, des stations immergées, surfaces de roches en saillie d’un vert de plus en plus foncé. Certains creux obscurs étaient probablement insondables.
Des deux côtés du porche sous-marin, des ébauches de cintres surbaissés, pleins de ténèbres, indiquaient de petites caves latérales, bas côtés de la caverne centrale, accessibles peut-être à l’époque des très basses marées.
Ces anfractuosités avaient des plafonds en plan incliné, à angles plus ou moins ouverts. De petites plages, larges de quelques pieds, mises à nu par les fouilles de la mer, s’enfonçaient et se perdaient sous ces obliquités.
Çà et là des herbes longues de plus d’une toise ondulaient sous l’eau avec un balancement de cheveux au vent. On entrevoyait des forêts de goëmons.
Hors du flot et dans le flot, toute la muraille de la cave, du haut en bas, depuis la voûte jusqu’à son effacement dans l’invisible, était tapissée de ces prodigieuses floraisons de l’océan, si rarement aperçues par l’œil humain, que les vieux navigateurs espagnols nommaient praderias del mar. Une mousse robuste, qui avait toutes les nuances de l’olive, cachait et amplifiait les exostoses du granit. De tous les surplombs jaillissaient les minces lanières gaufrées du varech dont les pêcheurs se font des baromètres. Le souffle obscur de la caverne agitait ces courroies luisantes.
Sous ces végétations se dérobaient et se montraient en même temps les plus rares bijoux de l’écrin de l’océan, des éburnes, des strombes, des mitres, des casques, des pourpres, des buccins, des struthiolaires, des cérites turriculées. Les cloches des patelles, pareilles à des huttes microscopiques, adhéraient partout au rocher et se groupaient en villages, dans les rues desquels rôdaient les oscabrions, ces scarabées de la vague. Les galets ne pouvant que difficilement entrer dans cette grotte, les coquillages s’y réfugiaient. Les coquillages sont des grands seigneurs, qui, tout brodés et tout passementés, évitent le rude et incivil contact de la populace des cailloux. L’amoncellement étincelant des coquillages faisait sous la lame, à de certains endroits, d’ineffables irradiations à travers lesquelles on entrevoyait un fouillis d’azurs et de nacres, et des ors de toutes les nuances de l’eau.
Sur la paroi de la cave, un peu au-dessus de la ligne de flottaison de la marée, une plante magnifique et singulière se rattachait comme une bordure à la tenture de varech, la continuait et l’achevait. Cette plante, fibreuse, touffue, inextricablement coudée et presque noire, offrait au regard de larges nappes brouillées et obscures, partout piquées d’innombrables petites fleurs couleur lapis-lazuli. Dans l’eau ces fleurs semblaient s’allumer, et l’on croyait voir des braises bleues. Hors de l’eau c’étaient des fleurs, sous l’eau c’étaient des saphirs ; de sorte que la lame, en montant et en inondant le soubassement de la grotte revêtu de ces plantes, couvrait le rocher d’escarboucles.
À chaque gonflement de la vague enflée comme un poumon, ces fleurs, baignées, resplendissaient ; à chaque abaissement elles s’éteignaient ; mélancolique ressemblance avec la destinée. C’était l’aspiration, qui est la vie ; puis l’expiration, qui est la mort.
Known as "Father Catfish" due to his thin, curly moustache, the aged fisherman is captured by the wicked freshwater merfolk of the Great Pond (Le Grand Étang) and brought before their king, who imprisons those who have offended it "in His Majesty's sacred vitals". Thankfully (but to my own chagrin), Catfish escapes this fate:
Le père Barbeau était tombé, étourdi par le fracas de l'eau et le tournoiement de sa barque, au tond d'une grotte où régnait une nuit complète. Quoiqu'il eût traversé toute la profondeur du lac, il était à peine mouillé. Lorsqu'il fut un peu remis de sa clmte, il chercha à tâtons à reconnaître l'endroit où il se trouvait. Ses pieds et ses genoux rencontraient à chaque instant des surfaces glissantes qui rendaient sa marche fort pénible; ses mains se posaient sur des objets visqueux qu'il sentait remuer comme des êtres vivants. Un bruit sourd et continu grondait au-dessus de sa tête, et il lui semblait entendre autour de lui des murmures et des chuchotements continuels. « Où suis-je? » dit-il en s'arrêtant et en écarquillant les yeux. Des rires éclatèrent dans la grotte, et il sentit pleuvoir sur sa tête une foule de petits corps dont il ne pouvait deviner la nature, mais qui ressemblaient à des animaux sautillant sur lui par milliers. Il s'arrêta et essaya de distinguer quelque chose à travers cette nuit. Ses yeux commençaient à s'habituer à l'obscurité. Il lui sembla voir des formes étranges rangées en demi-cercle, et, au milieu d'elles, une masse vivante qui paraissait trôner sur un quartier de roche. Peu à peu les objets devinrent plus distincts, et il put enfin contempler une vingtaine de personnages bizarres, moitié hommes, moitié animaux. La masse du milieu était une espèce de monstre dont les jambes étaient collées ensemble, le corps couvert de petites plaques bleuâtres, et la tête étroite et aplatie. A sa bouche, ou plutôt à sa gueule allongée comme un bec, à ses lèvres courbées en arrière et fendues presque jusqu'aux oreilles, le père Barbeau reconnut son ennemi mortel, le roi des brochets. Bientôt, en effet, il distingua nettement la couronne de sang qu'il portait sur la tête comme l'insigne de sa royauté. Les autres personnages avaient tous, comme lui, les jambes réunies en un seul morceau qui se terminait en forme de queue; mais chacun se distinguait par la tête, qui retraçait le museau d'un poisson. A côté du roi était assise une femme un peu voûtée, dont les vêtements collants étaient tachetés de petites étoiles rouges et bleues, et dont la tête rappelait le museau d'une truite; le père Barbeau reconnut celle qu'il avait poursuivie jusque dans le grand étang. C'était la sorcière des eaux, chargée d'attirer dans les piéges du roi des brochets les pécheurs imprudents dont ce terrible monarque voulait faire sa proie.
«Me voici perdu! » pensa le père Barbeau à la vue de ses ennemis.
En effet, il vit le roi faire un signe à ses sujets en le désignant. Ceux-ci l'empoignèrent, et, l'élevant sur leurs bras, le tinrent suspendu au-dessus de la tête du brochet, qui, penché en arrière, ferma les yeux d'un air béat, et ouvrit sa large gueule. Le père Barbeau plongea avec effroi les regards dans cet abîme hérissé de dents serrées qui formaient entre elles une scie redoutable, et il lui sembla voir tout au fond, à l'entrée du gosier, une tête d'homme.
A cette horrible vue, il ferma les yeux, et essaya de s'agiter pour se débarrasser des étreintes de ses ennemis. Mais ceux-ci le serraient fortement. Ils le balancèrent un instant au-dessus de la gueule du roi, et ils allaient l'y précipiter, quand la sorcière des eaux se leva subitement et les arrêta.
«Non, dit-elle, cette mort serait un supplice trop doux pour ses forfaits. Il faut qu'il achète, par des tourments proportionnés à ses crimes, l'honneur d'être mangé par notre roi, et d'avoir pour tombeau ses entrailles sacrées. »
A ces mots, on déposa le père Barbeau à terre, et le roi se releva sur sa chaise d'un air contrarié. Tous délibérèrent à voix basse sur les supplices qu'on allait faire subir à leur victime. Pendant ce temps, le malheureux examinait la grotte, qu'une faible lumière venait d'éclairer. Elle était tapissée de mousses et de stalactites; à la voûte était suspendu un immense lustre formé de glaçons : la lumière qui jaillissait des yeux du roi se jouait dans ces cristaux; c'était la seule
manière d'allumer ce lustre et la seule clarté qui perçât les ombres du souterrain. [...]
— Si j'avais été à votre place, je ne serais pas allé dans le grand étang, et je n'aurais pas fait ce que vous appelez un mauvais rêve.
— Allons! ne te fâche pas, et dis-moi un peu ce que cela signifie, et comment je dois me conduire désormais.
— Sauf à ne pas suivre mes conseils, n'est-ce pas?
— Décidément, tu es malin, et tu ne me pardonnes rien. Voyons, est-ce que tu conserves de la rancune contre moi? Te mettras-tu aussi du coté de mes ennemis? Je te soupçonne d'être pour quelque chose là dedans; tu auras voulu te venger de n'avoir pas été écouté.
— Oui, en vous tirant de la gueule du roi des brochets; car vous l'avez échappé belle, et, sans moi, vous seriez à cette heure—
— Dans les entrailles sacrées de Sa Majesté, comme ils disent.
— Mon Dieu, oui. Vous seriez maintenant avalé et digéré!
— Bigre! ça fait frissonner. Il me semble, seulement quand j'y pense, que je sens des dents s'enfoncer dans mon corps. Quelle gueule il a, ce monstre-là! Un gouffre, un abîme, un véritable enfer!... Mais comment as-tu fait, mou ami, pour me tirer de là?
L'évasion de la mort, Louis Pergaud
Part of a book of animal stories. But not anthros, rather wild animals undressed and following their instincts. The story relates a food chain in which the marsh frog Rana (for "Grenouille" would be too obvious a name for a French frog) is vanquished by her natural enemy, the grass snake... well, simply known as Grass Snake (Couleuvre in French):
La mare stagnait, abrutie de soleil.
La tête haute, les cuisses ramassées, l’échine cassée à angle obtus, le ventre replet, Rana, dans l’attitude hiératique où l’avait immobilisée Midi, reposait sur le socle d’une feuille flottante de nénuphar avec laquelle se confondait sa robe verte lamée d’or.
Rana avait déjà cinq ou six fois vu revenir la saison où le sang peu à peu s’engourdit comme sous la brûlure périodique de ce midi de plomb, et où une force mystérieuse la contraignait, avec toutes les commères, transies et muettes, à franchir la sombre forêt aquatique des algues vertes qui garnissaient le centre de leur domaine, pour chercher dans la couche marneuse des profondeurs l’asile d’hiver. Cinq ou six fois, elle avait vu sa mare envahie avec les pluies d’automne par les hordes grasses des grenouilles rousses, aux tempes sombres, pèlerines de l’été, qui les délaissaient au printemps, après la saison de l’amour, pour courir les champs et les prés, en quête de sauterelles et de vermisseaux. Sur la mare, le silence, comme à la veille d’une crise, bourdonnait plus lourd et plus haletant ; des signes imperceptibles semblaient transpirer des choses, qui disaient que la vie, lentement, par degrés, allait de nouveau tout ressaisir et tout entraîner dans son courant.
Laissant par derrière, parmi les lentilles vertes tapissant la mare en cet endroit, un sinistre sillage, comme si l’eau même eût éprouvé une répulsion invincible à le combler, une grande couleuvre, entre les portiques des roseaux, dressa sa tête plate, ses yeux fixes plongés en elle intensément.
Alors, le malaise qui avait empêché la grenouille de suivre instinctivement le geste des compagnes s’enfla en un engourdissement stupide qui la paralysait sur l’eau, les pattes de derrière allongées en rames immobiles la soutenant malgré elle de leurs nageoires écartées. La couleuvre la fixait de ses yeux ronds et fixes, sûre de sa proie qu’elle ne quittait pas. Son collier de couleur claire changeait du jaune pâle à l’orangé sous l’influence de l’émotion violente qui l’emplissait ; son dos et ses flancs verdâtres tranchaient à peine sur la couleur de la flore marécageuse que son ventre d’un noir bleuâtre frôlait en dessous.
La gueule était close encore. La bête semblait immobile, mais insensiblement sa queue appuyée sur les herbes poussait la tête, et la large gueule aux mâchoires libres, s’ouvrant lentement, projetait en avant la fine langue bifide frétillante.
Rana ne percevait plus rien de la vie. Elle était séparée de son monde, retranchée de la société des compagnes, extériorisée de son marais qu’elle ne reconnaissait plus, tout entière sous l’emprise d’une volonté invincible qui la liait à elle et cassait ou plutôt rongeait tous les autres liens avec les choses et avec la vie.
Elle voyait la gueule qui s’ouvrait comme un gouffre où elle devrait s’engloutir. Quelque chose pesait sur elle aussi sûrement que la fatalité de l’instinct qui la poussait, aux pluies d’automne, vers la demeure hibernale. Mais rien d’angoissant ne l’étreignait quand elle creusait son caveau dans la vase de la mare, tandis qu’ici l’angoisse de l’inconnu et de la peur, se superposant à l’inévitable, la crispait douloureusement.
La gueule s’ouvrait ; la distance diminuait, la volonté de l’autre pesait plus dure et plus implacable, l’envahissait toute, disposait de tous ses nerfs, commandait à tous ses muscles, et préparait tout son être pour le but auquel elle tendait.
Rana ne voyait plus que le trou de la gueule, maintenant large ouverte, qu’un demi-pied à peine séparait de sa tête, et ses cuisses se rassemblaient sous son ventre.
Alors d’un seul coup, d’un seul bond, aussi précis et réglé qu’une trajectoire mathématique, elle se jeta la tête la première dans le gouffre.
La large gueule se fendit plus large encore, se dilatant progressivement. Rana ne sentait plus rien, tandis que son cœur vivace continuait à battre et que les pattes de derrière écartées s’agitaient encore faiblement hors de l’abîme, comme un dernier adieu à la vie.
Une bave gluante et tiède l’enveloppait, un mouvement lent et irrésistible l’entraînait impitoyablement vers des profondeurs.
Et tout se tut.
De la mort ainsi glissa sur elle, où plutôt ce n’était pas encore de la mort, mais une vie passive, presque négative, une vie suspendue, non pas dans la quiétude comme au soleil de midi, mais cristallisée, pour ainsi dire, dans l’angoisse, car quelque chose d’imperceptible, comme un point de conscience peut-être, vibrait encore en elle pour la souffrance.
Puis il y eut un grand choc qu’elle ressentit vaguement au mouvement de ses pattes encore libres, et par degrés, lentement, sans autre cause, l’angoisse de la volonté annihilée diminua et s’évanouit pour ne plus laisser subsister que de la souffrance physique.
Le mouvement de déglutition qui l’entraînait dons le gouffre noir s’était arrêté de lui-même, les parois du gouffre, l’œsophage de la couleuvre étaient molles et sans ressort, les pattes de derrière de Rana pendaient, la tirant par en bas doucement. Alors elle les secoua pour chercher un point d’appui : rien ne résistait, elle se sentit glisser petit à petit sans se rendre bien compte de ce qui se passait, et, tout d’un coup, comme si une force providentielle et inconnue l’eût tirée hors du gouffre, elle s’échappa lourdement de la gueule et dégringola dans le vide.
Le soldat de plomb, Alexandre Dumas
Aside from the Fourth Story of the Snow Queen, whose retelling by Dumas has been published on this blog as "Prince et princesse", the father of the Musketeers retold many more Andersen and Grimm tales extending them. Including the star-crossed tin soldier and ballerina. Dumas extends the account of the Danish Odysseus's sojourn inside a freshwater pike, which to him is a redoubtable leviathan:
Cependant le bateau remonta à la surface et le soldat revit encore une fois le ciel, les rives du fleuve, le paysage, et, devant lui, le gouffre écumant.
En ce moment suprême, si rapide qu’il fût, il pensa à sa petite danseuse de papier, si jolie, si légère, si mignonne.
Tout à coup il sentit qu’il penchait en avant. Le bateau se déchira sous ses pieds et il fut précipité dans l’abîme sans même avoir le temps de dire : Ouf !
Un énorme brochet, qui tendait le bec dans l’espérance qu’il lui tomberait quelque chose d’en haut, le reçut dans sa gueule et l’avala.
Dans le premier moment, il eût bien été impossible au pauvre soldat de plomb de se rendre compte de ce qui s’était passé ni de dire où il était.
Ce qu’il sentait, c’est qu’il était tout à fait mal à son aise et couché sur le côté.
De temps en temps, comme si une lucarne s’entrebâillait, un jour glauque arrivait jusqu’à lui, et il voyait des choses dont les formes lui étaient inconnues.
Il était agité par un mouvement rapide et saccadé, qui lui donna peu à peu à penser qu’il pourrait bien être dans le ventre d’un poisson.
Du moment où cette idée lui fut venue, il s’orienta et comprit que ces espèces d’éclairs qui venaient jusqu’à lui c’était le jour qui pénétrait dans les cavités thoraciques du poisson, lorsqu’il ouvrait ses ouïes pour dégager l’air de l’eau.
Au bout d’un quart d’heure, il ne douta plus.
Que faire ? Il eut bien l’idée de s’ouvrir un chemin à l’aide de sa baïonnette, mais s’il avait le malheur de crever la vessie natatoire du poisson, le poisson, ne pouvant plus faire la provision d’air à l’aide de laquelle il monte à la surface de l’eau, tomberait au fond de la rivière.
Que deviendrait-il alors, enseveli dans un cadavre ?
Il valait mieux laisser vivre le poisson : si puissants que fussent les sucs gastriques du cétacé, il était probable qu’il ne parviendrait pas à le dissoudre.
Il deviendrait bien certainement une gêne pour le poisson, qui, au bout de deux ou trois jours, finirait par le rejeter.
Il y avait un précédent : Jonas !
Du moment où il lui fut clairement démontré qu’il était dans un poisson, le naufragé ne s’étonna plus de rien. Tout lui était expliqué – les mouvements rapides à droite et à gauche, les plongeons au fond de l’eau, les soulèvements à sa surface, et, autant qu’il put mesurer le temps, il passa vingt-quatre heures ainsi, dans un état de tranquillité relative.
Tout à coup le brochet se livra à des soubresauts effrayants, dont notre héros chercha en vain à se rendre compte Il fallait ou qu’il fût arrivé quelque accident grave, ou qu’il fût agité par une passion violente. Il se tordait, secouait la queue, et, pendant quelques instants, le soldat, couché jusque là, se retrouva dans une position verticale.
Le brochet était tiré hors de l’eau par une force supérieure à la sienne, et à laquelle il essayait inutilement de résister.
Le brochet avait une affaire désagréable avec un hameçon.
À la façon plus difficile dont respirait le brochet, à la façon plus facile dont il respirait, lui, le soldat de plomb comprit que le brochet était amené hors de son élément. Pendant une heure ou deux il y eut encore lutte entre la vie et la mort ; enfin la vie fut vaincue, et l’animal resta immobile.
Pendant son agonie, le brochet avait été transporté d’un endroit à un autre ; mais où cela ? Le soldat de plomb l’ignorait complètement.
Tout à coup un éclair pénétra jusqu’à lui. La lumière lui apparut et il entendit une voix qui disait, avec l’accent de l’étonnement :
– Tiens, le soldat de plomb !
La jeunesse de Pierrot, Alexandre Dumas
This original tale, set in the kingdom of Bohemia, is attributed by Dumas to the clever and elegant musketeer-turned-clergyman Aramis. The leading character, Pierrot, is a country boy adopted by the Bohemian royal family as a playmate for their only daughter, whom he passionately loves, and appointed Lord High Cupbearer (Grand Échanson), an office of great importance at court, but also makes enemies...
There are two snippets of interest here.
Snippet I: The princess' unwelcome suitor is choking (he survives, but he'll get killed in battle à la Oberyn Martell [head crushed like an egg] at the end of the story!):
Le moment était mal choisi ; tout le palais était sens dessus dessous ; le prince Azor avait avalé à souper une arête de poisson, et, dans sa fureur, il venait d’étrangler de ses propres mains un célèbre médecin qui n’avait pu la lui retirer du gosier.
Toutefois, comme la mort violente du médecin ne l’avait pas débarrassé du mal qui le tourmentait, l’idée lui était venue d’employer un moyen plus doux : c’était de faire avaler à son premier ministre une arête en tout point semblable à celle qu’il avait avalée lui-même, et de tenter sur le gosier de Son Excellence toutes les expériences que la science pourrait imaginer. Il allait donc faire appeler son premier ministre, lorsque notre voyageur fit son entrée, introduit par l’officier de service.
– Qui es-tu ? lui demanda le prince, que la circonstance de l’arête obligeait de parler du nez. Qui es-tu, pour oser te présenter devant moi ?
– Je suis Pierrot, répondit notre héros, ambassadeur de Sa Majesté le roi de Bohême, et je viens à cette fin de négocier auprès de Votre Altesse un traité de paix. [...]
– Impossible ! dit le prince Azor, qui l’avait regardé faire avec attention. Allons, avance ici et ouvre la bouche... C’est prodigieux ! ajouta-t-il quand il eut exploré avec une lumière tous les coins et recoins de la mâchoire de Pierrot... Elle n’y est plus ! Ma foi ! je me risque.
Et, sur ce, il aspira une grosse bouffée d’air, fit un effort accompagné d’une affreuse grimace, et l’arête qu’il avait dans le gosier passa.
– Je suis sauvé ! s’écria-t-il, je suis sauvé ! Ah ! ah ! l’ami, tu viens de me rendre un très grand service. Eh bien, pour te récompenser, je te laisse libre de choisir le genre de mort qui te sera le plus agréable ; tu vois que je suis bon prince.
Snippet II: The evil chancellor drugs the king to have him in his power:
Le seigneur Renardino resta seul avec le roi.
-Allons, sire, ajouta-t-il tout haut, chassez de votre esprit les sombres pensées qui l’assiègent, et versez-vous de ce généreux vin de Hongrie, qui n’a pas son pareil entre tous les vins de la terre. À la bonne heure ! Maintenant, trinquons à l’extermination prochaine du prince Azor et à la prospérité de votre maison.
Le roi porta automatiquement le verre à ses lèvres et le vida d’un seul trait. – Ah ! mon Dieu ! fit-il, et il tomba à la renverse dans son fauteuil, comme s’il eût été frappé de la foudre.
– Très bien ! dit le seigneur Renardino en se frottant les mains, la poudre a produit son effet. À présent, accomplissons notre promesse.
Et, tirant des cordes de sa poche, il garrotta le roi de la tête aux pieds.
Si le crime abominable qu’il commettait ne l’avait absorbé tout entier, le méchant homme eût pu voir, encadrés dans l’oeil-de-boeuf qui était en face de lui, une figure toute blanche et des yeux démesurément ouverts qui suivaient tous ses mouvements avec une expression d’étonnement mêlé d’horreur.
Tout à coup des cris se firent entendre : un bruit de pas, accompagné d’un cliquetis d’épées, retentit dans les galeries du palais, et le prince Azor, ouvrant brusquement la porte, se précipita vers le seigneur Renardino.
– Où est le roi ? demanda-t-il à voix basse.
– Il est là, dans ce fauteuil, pieds et poings liés, répondit Renardino.
– Par ma bosse ! vous êtes un homme de parole.
– Et les trois cent mille sequins ?
– Les voici.
À cette partie du dialogue, une ombre blanche glissa rapidement devant les deux interlocuteurs, saisit la bourse que le prince Azor tendait à Renardino, et, soufflant les bougies, plongea la salle dans l’obscurité.
Effrayés de l’horrible vacarme qu’ils entendaient, les soldats accoururent avec des flambeaux, et relevèrent les combattants.
– Comment, c’était vous ! s’écrièrent-ils tous les deux en se reconnaissant ; et ils demeurèrent anéantis.
Mais bien plus grande encore fut leur surprise, quand, jetant les yeux autour d’eux, ils s’aperçurent que le roi et les trois cent mille sequins avaient disparu.
Aventures merveilleuses et touchantes du prince Chènevis et de sa jeune soeur, Léon Gozlan
Set in the mid-eighteenth century. In this notorious snippet, the governor of a fallen castle is given water torture:
Il achevait sa réflexion, lorsqu'un soldat entra, et lui
dit, le sabre à la main : -- Goûte cette eau !
— Oui, mon ami, répondit le gouverneur en remplissant un
verre qu'il vida d'un seul trait, quoique l'eau ne
fût pas sa boisson favorite.
— C'est bien, dit le soldat, qui se retira en fermant la
porte sur le gouverneur.
" Qu' attendent-ils encore de moi, pensa le gouverneur,
puisque l'épreuve est faite ? Pourquoi me laisser ici?...
c'est sans doute par erreur... "
Un second soldat paraît.
-- Goûte cette eau ! s'écria-t-il en brandissant une lance
sur la tète du gouverneur.
— Mais j'ai déjà bu...
— Goûte cette eau ! te dis-je.
Le gouverneur ne résiste pas à un ordre si poliment
exprimé; il boit un second verre d'eau.
-- A merveille! a fût le soldat, qui s'en va comme le pré-
mier, après avoir eu soin de fermer la porte de la cave.
" Qu'est-ce à dire?" murmure le gouverneur; "celui-ci
aussi m'enferme! Quand m'en irai-je donc?"
Un troisième soldat survient, armé d'un pistolet.
Même ordre impératif.
-- Goûte cette eau!
— Mais infailliblement j'étoufferai, si cela continue.
— Veux-tu y goûter!?
Le gouverneur Infailliblemsnt avala avec mille gri-
maces et mille contorsions le troisième verre d'eau.
Cette eau était horriblement glacée.
Arrive un quatrième, arrive un cinquième, un
sixième, arrive un douzième soldat!
Douze verres d'eau ont déjà passé par le gosier et
clapotent dans l'estomac de l'infortuné gouverneur.
Il n'en peut plus; il souffle,
son ventre est tendu et rond comme un ballon.
Pourtant il faut qu'il boive encore! Il le faut!
Toujours ce même commandement gronde à ses oreilles
entre des piques de fer, des bâtons rugueux, des épées et
des mousquets gorgés de balles.
- Goûte cette eau ! ou bien... mille morts !
Enfin, au dix-huitième verre, écrasé par cet excès d'eau
froide, le gouverneur tombe par terre, à la joyeuse et
brutale satisfaction des soldats qui l'avaient abreuvé.
Nous saurons plus tard s'il en mourut.
Perlino, Édouard de Laboulaye
A sadly forgotten but once very popular retelling of "The Snow Queen": an important lady, with promises of greatness, spirits away a naive small-town boy, and his best friend/lover, in the company of some little animal friends of hers, sets off for her castle in a harsh region to rescue him. But she laces his evening liquor with a heart-freezing powder. The story can be seen as a parable against drug addiction:
Le soir venu, la dame des Écus-Sonnants appela Perlino pour souper avec elle. Quand elle l'eut fait bien manger et bien boire, ce qui était aisé avec un garçon d'humeur facile, elle versa d'excellent vin blanc de Capri dans une coupe de vermeil, et, tirant de sa poche une botte de cristal, elle y prit une poudre rougeâtre qu'elle jeta dans le vin.—Bois cela, mon enfant, dit-elle à Perlino, et donne-moi ton goût.
Perlino, qui faisait tout ce qu'on lui disait, avala la liqueur d'un seul trait.
—Pouah! s'écria-t-il, ce breuvage est abominable, c'est une odeur de boue et de sang; c'est du poison!
—Niais! dit la marquise, c'est de l'or potable; qui en a bu une fois en boira toujours. Prends ce second verre, tu le trouveras meilleur que le premier.
La dame avait raison: à peine l'enfant eut-il vidé la coupe, qu'il fut pris d'une soif ardente.—Encore! disait-il, encore! Il ne voulait plus quitter la table. Pour le décider à se coucher, il fallut que la marquise lui fit un grand cornet de cette poudre merveilleuse qu'il mit soigneusement dans sa poche, comme un remède à tous les maux.
Pauvre Perlino! c'était bien un poison qu'il avait pris, et le plus terrible de tous. Qui boit de l'or potable, son coeur se glace tant que le fatal breuvage est dans l'estomac. On ne connaît plus rien, on n'aime plus rien, ni père, ni mère, ni femmes, ni enfants, ni amis, ni pays; on ne songe plus qu'à soi; on veut boire, et on boirait tout l'or et tout le sang de la terre sans calmer une soif que rien ne peut étancher.
Aussi, dès que la nuit eut mis son masque
noir pour ouvrir le bal des étoiles, Violette courut-elle à la porte de
Perlino, bien sûre qu'en la voyant Perlino se jetterait dans ses bras.
Comme son coeur battait quand elle l'entendit monter! quel chagrin quand
l'ingrat passa devant elle sans même la regarder!
La porte fermée à double tour et la clef retirée, Violette se jeta sur
une natte qu'on lui avait donnée par pitié; là elle se mit à fondre en
larmes, se fermant la bouche avec les mains pour étouffer ses sanglots.
Elle n'osait se plaindre, de crainte qu'on ne la chassât; mais, quand
vint l'heure où les étoiles seules ont les yeux ouverts, elle gratta
doucement à la porte et chanta à demi-voix:
Perlino, m'entends-tu? C'est moi qui te délivre,
Ouvre-moi!
Viens vite, je t'attends: ami je ne puis vivre
Loin de toi.
Ouvre-moi! mon coeur te désire;
Je brûle, j'ai froid, je soupire;
Tout le jour
C'est d'amour,
Et la nuit
C'est d'ennui.
Hélas! elle eut beau chanter, rien ne bougea dans la chambre. Perlino ronflait comme un mari de dix ans, et ne rêvait qu'à sa poudre d'or. Les heures se trainèrent lentement, sans apporter d'espérance. Si longue et si douloureuse que fût la nuit, le matin fut plus triste encore. La dame des Écus-Sonnants arriva dès le point du jour. [...]
Elle alla droit à la poitrine de Perlino; mais, avant d'y faire un trou, elle écouta: le coeur ne battait pas: plus de doute! Perlino était enchanté.
Depuis que Perlino vivait dans la retraite, la raison lui venait; rien ne rend méchant comme de s'ennuyer à deux, rien ne rend sage comme de s'ennuyer tout seul. Au souper, il étudia la figure et le sourire de la dame des Écus-Sonnants; il fut aussi gai convive que d'habitude; mais chaque fois qu'on lui présenta la coupe d'oubli, il s'approcha de la fenêtre pour admirer la beauté du soir, et chaque fois il jeta l'or potable dans le jardin. Le poison tomba, dit-on, sur des vers blancs qui perçaient la terre; c'est depuis ce temps-là que les hannetons sont dorés.
--Parle clairement, dit Perlino; depuis deux jours il se passe en moi
quelque chose d'étrange. J'ai la tête lourde et le coeur chagrin; je
fais de mauvais rêves. D'où cela vient-il?
En entrant dans sa chambre, Perlino remarqua le joueur de zampogne qui le regardait tristement, mais il ne fit point de question; il avait hâte d'être seul pour voir si le bonheur frapperait à sa porte et sous quelle figure il entrerait. Son inquiétude ne fut pas de longue durée. Il n'était pas encore au lit qu'il entendit une voix douce et plaintive: c'était Violette qui, dans les termes les plus tendres, lui rappelait comment elle l'avait fait et pétri de ses propres mains, comment c'était à ses prières qu'il devait la vie; et, pourtant, il s'était laissé séduire et enlever, tandis qu'elle avait couru après lui avec une peine que Dieu veuille épargner à tout le monde. Violette lui disait encore, avec un accent plus douloureux et plus pénétrant, comment depuis deux nuits elle veillait à sa porte; comment, pour obtenir cette faveur, elle avait donné des trésors dignes de rois sans tirer de lui un seul mot, comment cette dernière nuit était la fin de ses espérances et le terme de sa vie.
En écoutant ces paroles qui lui perçaient l'âme, il semblait à Perlino qu'on le tirait d'un rêve: c'était un nuage qu'on déchirait devant ses yeux. Il ouvrit doucement la porte et appela Violette; elle se jeta dans ses bras en sanglotant. Il voulait parler: elle lui ferma la bouche; on croit toujours celui qu'on aime, et il y a des instants où l'on est si heureux, qu'on n'a pas besoin de pleurer.
—Partons, dit Perlino; sortons de ce donjon maudit.
—Partir n'est pas aisé, seigneur Perlino, répondit l'écureuil: la dame des Écus-Sonnants ne lâche pas volontiers ce qu'elle tient; pour vous éveiller, nous avons usé tous nos dons; il faudrait un miracle pour vous sauver.
—Peut-être ai-je un moyen, dit Perlino, à qui l'esprit venait comme la sève aux arbres du printemps.
Il prit le cornet qui contenait la poudre magique et gagna l'écurie, suivi de Violette et des trois amis. Là, il sella le meilleur cheval, et, marchant tout doucement, il arriva jusqu'à la loge où dormait le geôlier, les clefs à la ceinture. Au bruit des pas, l'homme s'éveilla et voulut crier; il n'avait pas ouvert la bouche, que Perlino y jetait l'or potable, au risque de l'étouffer; mais, loin de se plaindre, le geôlier se mit à sourire et retomba sur sa chaise en fermant les yeux et en tendant les mains. Se saisir du trousseau, ouvrir la grille, la refermer à triple tour, et jeter dans l'abîme ces clefs de perdition pour enfermer à jamais la convoitise dans sa prison, ce fut pour Perlino l'affaire d'un instant. Le pauvre enfant avait compté sans le trou de la serrure: il n'en faut pas plus à la convoitise pour s'échapper de sa retraite et envahir le coeur humain.
Enfin, les voilà en route, tous deux sur le même cheval: Perlino en avant, Violette en croupe. Elle avait passé les bras autour du cou de son bien-aimé, et le serrait bien fort pour s'assurer que le coeur lui battait toujours. Perlino tournait sans cesse la tête pour revoir la figure de sa chère maîtresse, pour retrouver ce sourire qu'il craignait toujours d'oublier. Adieu la frayeur et la prudence! Si l'écureuil n'avait plus d'une fois tiré la bride pour empêcher le cheval de butter ou de se perdre, qui sait si les deux voyageurs ne seraient pas encore en chemin?
Le prince-caniche, Édouard de Laboulaye
I had to put this in somewhere in this blog. Not much vore, but a slight tinge, and fulfilment of two of my great fetishes: one is coughing up blood due to a punctured lung, and the other is giving an unconscious person to drink. A quadragenarian general, shot in the chest and obviously dying of a punctured lung, is given brandy to drink. Great description of a hemopneumothorax, and one of my favourites! This snippet inspired the Lützen arc of the Ringstetten Saga:
Son cheval blessé s'abattit et manqua
de l'écraser, rien n'effrayait le prince. Tout au
contraire, la poudre et le sang l'enivraient. Il
sauta sur un cheval égaré, et, la tête nue, les
cheveux au vent, l'épée à la main, ce fut aux cris
de : Vive le roi ! qu'il rallia ses troupes, et que,
victorieux enfin, il entra dans l'église, foulant
aux pieds de sa monture les morts et les mou-
rants.
Une lois là on se reconnut.
« Où est le baron? demanda Jacinthe.
— Sire, on l'a porté dans la maison voisine ; il est blessé. » Le prince courut auprès de son vieil ami; il le trouva couché sur une botte de paille et donnant des ordres pour que l'artillerie, prenant l'en- nemi en écharpe, achevât la victoire. Le baron avait la bouche pleine de sang, c'est à voix basse qu il parlait à son aide de camp, une balle lui avait traversé la poitrine. « Cher général, dit Jacinthe, j'espère que cette blessure ne sera rien, et que vous jouirez bientôt de votre triomphe. — Mon compte est réglé, dit le baron ; je n'en ai pas pour longtemps. C'est égal ; l'ennemi a son affaire, et ce n'est pas de nous que riront les Gobemouches ! Sire, occupez-vous de l'armée ; tout n'est pas fini ; adieu et merci. Jacinthe sortit la tête baissée pour cacher une larme ; le baron appela un soldat. — Y a-t-il ici une goutte d'eau-de-vie ? de- manda-t-il. — Voilà, mon général, dit le sergent Lafleur en détachant sa gourde. — Merci, mon vieux. Enveloppe-moi dans mon
manteau et mets-moi sur le côté. Le rêve a été beau, mais il est court. Bonsoir. » Ce furent ses derniers mots. Il ne bougea plus; une heure après il était mort.
Histoire chimique et physiologique d'une bouchée de pain, Joseph Carrier
Not exactly European French, but French Canadian/Québecois. A thorough description of, well, what happens to a piece of bread after you have put it to your lips. Meant for a Catholic scientific society:
Les doigts de la main sont mus par
27 muscles dont 9 fléchisseurs et 3 extenseurs pour porter ce morceau
de pain à notre bouche. La bouche est pour ainsi dire l'anti-chambre ou le vestibule du canal alimentaire. Elle reçoit d'abord
sans distinction, ni résistance, tout ce qu'on lui offre, sauf les substances
dont l'odeur repoussante offense le sens de l'odorat qui est
placé, comme une sentinelle vigilante, à l'entrée même et un peu au-dessus de la bouche. La matière offerte est déposée sur la langue qui, au moyen de ses innombrables papilles, en discerne vitement la bonne ou mauvaise saveur. Le morceau de pain, ne présentant presque pas
d'odeur ni de saveur, est volontier accepté et retenu pour lui faire subir l'opération de la mastication, ce qui se fait a a moyen des dents, surtout des molaires. L'ensemble des 14 ou 16 dents, (selon l'âge des
personnes,) de chaque mâchoire, peut, avec justesse, se comparer aux
deux meules d'un moulin à farine. Comme celles ci ont moulu nos
grains de froment par un mouvement rotatoire de l'une sur l'autre, qui est immobile ; de même nos mâchoires vont moudre, ou pour
mieux dire mastiquer ce morceau de pain cuit, par une sorte de mouvement de va-et-vient de la mâchoire inférieure qui est mobile,
sur la mâchoire supérieure qui est immobile ou à peu près. Pendant
l'opération de la mastication qui, soit dit en passant, ne doit jamais
être précipitée, excepté dans les buffets des stations de chemins de
fer, de peur de manquer le train... pendant cette opération, dis-je, la mâchoire inférieure en mouvement continu presse sur deux glandes
appelées parotides qui se trouvent un peu en avant et en bas des
oreilles, et qui sécrètent un certain fluide qu'on appelle salive. Cette
substance aqueuse se déverse par de petits conduits dans l'intérieur de la bouche ; et, de là, elle se mêle à la matière en voie de mastication
et la prépare pour la déglutition, et un peu aussi pour la digestion en même temps qu'elle facilite la mastication par le délayage.
La langue, elle-même, qui joue un rôle très actif dans l'opération de
la mastication par le mouvement flexible et varié de ses muscles,
excite aussi l'action secrétive d'autres glandes que l'on nomme sousmaxillaires
et sous-linguales à raison de leurs positions respective,, et qui fournissent, à leur tour, leur quota de salive. La composition de la salive est comme il suit : Dans 1000 parties, il y en a 995 d'eau ; 1 1/3 de matières albumineuses ; 1 3/4 de matières minérales, et presque 2 de tissus membraneux, appelés épithélia. Notre bouchée de pain, bien mastiquée et bien ensalivée, est ramassée en une espèce de boulette
par un tour dextrement exécuté de la langue qui la force dana
l'ouverture de l'œsophage appelée pharynx. Ayant écarté la luette, la boulette de pain se trouve à l'entrée du gosier ; et, là, une double
rangée de muscles ou fibres musculaires appartenant au pharynx les. uns placés longitudinalement pendant que les autres sont disposés dans une direction circulaire, vont entrer en fonction après avoir
fait franchir, avec succès, l'écueil que présente l'orifice du larynx. La
présence de matières alimentaires excite à une action spontanée et toute réflexe ces mêmes tissus musculaires qui à la fois agissent
longitudinalement et circulairement ; c'est-à-dire en se resserrant à
peu près comme font les doigts quand on ferme la main, et en poussant,
de haut en bas d'une manière uniforme et douce, tout ce c|ui se trouve dans le canal de l'œsophage. On appelle ce curieux et complexe
mouvement action péristaltique ou vermiculaire, parce qu'il ressemble un peu au mouvement du ver de terre qui rampe sur le
sol. Telle est l'opération de la déglutition. Voilà notre boulette de
pain amenée au bout inférieur de l'œsophage par une action qui est tout indépendante de la volonté, comme d'ailleurs toutes celles qui vont suivre, et que, pour cette raison, on appelle mouvement ou
actions réflexes, parce que leurs sensations n'arrivent pas au cerveau, ou plutôt au cervelet : elles sont réfléchies ou retournées vers les fibres motrices des muscles d'où elles prennent leur origine. Arrivée au bas de l'œsophage, la boulette rencontre des bandes musculaires
qui tiennent fermé l'orifice de l'estomac et en défendent l'entrée jusqu'à
ce qu'une pression quelconque d'en haut force cet orifice à
s'ouvrir, et la boulette tombe dans une espèce de sac assez volumineux que l'on nomme estomac. Chez un grand nombre d'animaux, surtout chez les quadrupèdes ruminants, les aliments n'arrivent pas
aussi directement, ni aussi lestement dans ce réservoir musculo-membraneux, que chez l'homme. Chez ceux-là, en effet, on observe
des antichambres et même des antichambres d'antichambres plus ou
moins volumineuses, de l'estomac proprement dit.
Jusque là, la bouchée de pain n'a subi aucune altération appréciable
dans sa composition ; elle possède encore intégralement ou à peu
près, toutes les qualités physiques qu'elle avait avant son introduction
dans la bouche. La saveur, la couleur, le goût, tout y est encore ;
mais tout cela va, bientôt disparaître ; il n'en restera absolument rien ou presque rien, selon que les matières qui sont admises dans l'estomac sont digestibles ou indigestibles.
Une série de changements chimiques va encore s'opérer ici et jusqu'à
la fin. Suivez-moi, je vous prie : nous allons voir des décompositions,
des altérations et des combinaisons aussi radicales qu'étonnantes et nombreuses. L'estomac est une vaste cavité, ou sac musculaire et membraneux s'ouvrent, en haut, dans l'œsophage par l'orifice cardiaque, et, en bas, dans le duodénum ou première partie de l'intestin grêle, par l'anneau pylorique. Sa forme est conoïde et allongée, et ressemble assez à la cornemuse des Ecossais. Il jouit de trois principales propriétés physiologiques, savoir : lo celle de pouvoir se contracter plus ou moins violemment lorsque des aliments ou autres matières quelconques y ont été introduits, et de les rejeter par la voie œsophagienne. C'est ce qu'on appelle régurgitation ; 2o celle de
sécréter, pendant la digestion seulement, un jus spécifique acide qu'on nomme suc gastrique qui est l'agent principal de cette très importante
fonction ; car, si cette fonction est dérangée, c'est-à-dire notable- ; ment accélérée ou retardée, ou arrêtéé, tout le corps souffre, le marasme se présente, et la mort peut même survenir à bref délai ; c'est ce que tous les médecins nous disent ; 3o celle d'offrir une sensation,
aui generis, comme l'on dit, qui est l'appétit ou la faim. L'estomac, à l'état normal, ne ressent pas plus tôt la présence d'un aliment quelconque dans son intérieur que des milliers de très petits tubes ou follicules, qui ont leur origine dans autant de petites glandes logées dans la profondeur des parois membraneuses de l'estomac même et leur embouchure dans l'intérieur de cet organe, se mettent
énergiquement à l'œuvre pour sécréter ce suc liquide aqueux et acide, et le mêler aux aliments, pendant qu'un certain léger mais constant mouvement oscillatoire et circulaire d'un côté à l'autre, d'un bout à l'autre, pétrit pour ainsi dire toute la masse et l'imprègne de ce jus gastrique qui va la transformer lentement, mais sûrement. C'est ce qu'on appelle l'opération de la digestion. L'exudation du jus ou suc gastrique peut se comparer à la perspiration qui se fait sur
la surface de la peau. Connne celle-ci humecte l'épiderme cutané, de même le suc gastrique humecte la membrane muqueuse de l'estomac, y La présence du jus gastrique a pour premier effet de ramollir et de désagréger, ensuite de transformer peu à peu les aliments en une
sorte de bouillie épaisse et grisâtre, qne l'on nomme chyme. C'est l'opération de la chymification, qui est un phénomène tout à fait
chimique ; car, à peu près tous les ingrédients, qui existaient dans
notre boulette de pain, ont été décomposés et de nouveaux corps, avec de nouvelles propriétés tout à fait différentes des premières, ont été formés. La composition du suc gastrique est ainsi qu'il suit : Dans 1000 parties, il y en a 975 d'eau ; 15 de matières albumineuses ; 6 d'acide lactique, et 5 de matières minérales. Chacun de ces ingrédients est un composé. La matière albumineuse du jus gastrique se nomme pepsine, du grec peptein, qui veut dire cuire, parce que cette importante substance agit comme un ferment dans la digestion des
aliments. Mais la pepsine, tout active et énergique que soit son
action, n'a pas d'effet sur certaines substances qui lui sont réfractaires,
telles qae la graisse, les huiles, la fécule, tandis qu'elle digère
promptement le maigre de la viande. Lorsque le chyme, mélangé comme nous venons de le dire, de substances plds ou moins digérées ou simplement désagrégées, est formé, le pylore se relâche, et l'estomac, comme s'il était doué de raison, commence à exécuter des mouvements pénstaltiques qui poussent peu à peu la masse alimentaire
vers cet orifice, et entre, de là, dans le duodémum et le jéjunum et l'ileum ; et c'est dans cet intestin grêle que le chyme devient, par
d'autres transformations chimiques, le chyle. Cette transformation du chyme en chyle s'opère au moyen de deux sucs : le suc biliaire et
le suc pancréatique. Le premier se forme dans une sorte de sac membraneux du foie appelé vulgairement vésicule du fiel. Il s'y amasse comme dans un réservoir, et pénètre ensuite dans le duodénum par un petit tube ou conduit de la bile. Ce jus est un liquide d'une couleur verdâtre tirant un peu sur le jaune, est fort amer et de
nature alcaline. Le jus pancréatique vient du pancréas qui n'est autre chose qu'une grosse glande située derrière l'estomac et un peu en
bas, sécrétant ce jus qui a l'apparence de la salive et les propriétés
du blanc d'œuf. Nous avons appris que le chyme, en entrant dans
l'intestin grêle, dans le duodénum, contient des matières digérées par le suc gastrique et d'autres qui n'ont pu l'être par lui, sinon complètement du moins qu'en partie. Le chyme venant en contact avec le jus pancréatique a toutes les matières oléagineuses qu'il contient digérées par une espèce d'émulsion que ce jus produit.
Quant à l'amidon, qui n'a été affecté ni par le jus gastriqr.e, ni par
le suc pancréatique, se sont les jus intestinaux qui, comme le jus
gastrique dans l'estomac, tapissent tout le parcours de l'intestin grêle, se chargent de le décomposer et de le digérer. Alors seulement la digestion est terminée. Le chyle qui est alors d'une couleur blanche et ressemble beaucoup au lait, se sépare en deux parties très distinctes : la partie digérée et celle qui ne l'est pas, ou n'a pu l'être ; la partie digérée va être absorbée par l'intestin grêle et incorporée dans le sang pour être finalement assimilée aux diverses parties du corps, et la partie non digérée entrera dans le gros intestin et sera rejetée au dehors comme non seulement inutile mais nuisible. Mais, me-demandera-t-on peut-être, quelle est la fonction de la bile ? C'est là une question très obscure. D'après les dernières recherches faites à ce sujet, il paraîtrait que la bile ne sert aucunement à la digestion, puisque, à l'encontre du jus gastrique, elle est constamment sécrétée
et est versée, sans intermission, dans le duodénum, qu'il y ait, là, du
chyme ou non. Mais on suppose qu'en se mêlant au chyle, ce suc y
est lui-même décomposé en certaines auti'es substances non encore connues et qui entrent dans le courant de la circulation. On suppose
tout cela avec d'autant plus de raison que ce jus toujours très abondant
dans le duodénum devient de plus en plus faible dans le parcours
de l'intestin grêle et finit par disparaître tout à fait. On sait aussi qu'il n'a pas été rejeté hors du corps. Il faut donc qu'il soit entré dans la circulation et incorporé dans le sang sous d'autres substances.
Qu'il soit, sous une forme ou une autre, nécessaire au sang,
c'est très évident ; car, si ce suc n'est pas sécrété, ou s'il est empêché
d'entrer dans le canal intestinal, l'animal, qui en est ainsi privé, devient faible, maigrit rapidement, et meurt infailliblement en peu
de temps. Mais je m'aperçois que nous avons un peu perdu de vue
notre bouchée de pain, que nous avons laissée dans la cavité
stomacale sous la forme d'une petite boulette. Revoyons-là, et suivons ses étonnantes transformations successives et ses pérégrinations
mystérieuses. S'il n'y a qu'elle seule dans l'estomac, le suc gastrique,
qui a vite remarqué son arrivée, s'acharne, pour ainsi parler, sur elle par mille et mille petites ouvertures, et bientôt s'en empare tout à
fait, non pour le dévorer, mais pour le décomposer, c'est-à-dire pour
le digérer.Voilà qui est fait ; cela a pris à peu près 20 minutes ou moins. Voyez-vous notre boulette réduite en une bouillie grisâtre qui ne demande qu'à sortir du sac où elle a été ballotée, brassée, tournée et retournée en tous sens. On lui délivre son passeport, et on la met.... à la porte, qu'elle franchit lestement et sans aucune difficulté, car sa masse tiendrait dans une cueiller à soupe et est presque liquide. Ayant passé le pylore, elle rencontre à quelques pouces de là, 2 ou 3 au plus, une inconnue bien connue de nom, mais qui s'obstine à rester.
jusqu'à cette heure, inconnue dans son action bienfaisante. C'est la bile qui va lui tenir compagnie pendant un trajet d'une vingtaine de pieds pour disparaître ensuite totalement et d'une manière fort mystérieuse, comme on vient de le dire. Tout à côté de l'endroit où notre bouchée de pain, sous forme de chyme, rencontre le suc biliaire avec lequel elle se mêle sans en êire autrement affectée, elle reçoit les sécrétions du pancréas qui ne l'affectent pas non plus d'une manière appréciable, vu que le chyme du pain ne contient que des traces de matières oléagineuses, qui seules sont décomposées par la pancréatine. Mais voici qu'une multitude de petits conduits lui apportent une quantité considérable de ces sucs intestinaux qui décomposent tout l'amidon du chyme et le convertissent en sucre. C'est l'opération de la chylification. La bouchée de pain transformée en chyme était de couleur grisâtre ; changée en chyle, elle devient blanchâtre et elle ne va pas tarder à devenir rougeâtre. Quelles étonnantes transformations ! Le suc intestinal ayant maintenant complètement terminé son travail propre, il ne reste absolument rien de notre bouchée de pain qui ne soit radicalement transformé en de nouvelles substances absolument différentes de celles qui la constituaient, sauf quelques parcelles extrêmement minimes et en fort petite quantité qui n'étaient pas susceptibles de digestion, et qui doivent être rejetées au dehors. Que va devenir cette matière d'apparence laiteuse, le chyle, qui provient de la bouchée de pain! Elle va parcourir, par la même action péristaltique ou vermiculaire dont nous avons parlé, toute l'étendue de l'intestin grêle, qui n'a pas moins, chez l'homme, de 25 pieds de longueur, où elle trouvera, sur ses parois, une infinité de petites élévations sous forme de filaments coniques appelés villi. Ces villi sont tellement nombreux qu'ils donnent à la surface interne de l'intestin l'apparence du velours. Chaque villus est pourvu d'un réseau de très petits vaisseaux à travers lesquels le sang circule constamment et librement. Mais les villi n'ont pas, comme les tubules gastriques, d'ouvertures, alors comment le chyle entre-t-il dans la circulation ? Il y entre par un procédé bien connu en physique qui s'appelle osmose. C'est une force qui permet à un liquide de passer à travers la cloison d'une membrane humectée de nature animale. Et c'est justement ce que fait le chyle : il passe à travers la cloison des villi et se mêle au sang qu'il y rencontre. Cette opération s'appelle absorption. Voilà donc maintenant notre " Bouchée de pain ", non-seulement transformée, mais encore transportée du canal intestinal aux canaux ou vaisseaux sanguins. Là, elle se mêle au sang, l'enrichit de toutes ses substances nutritives, et l'aide puissamment dans la formation des globules ou corpuscules colorés qui donnent une couleur rougeâtre au sang. Puis, finalement, elle entre dans le grand courant de la circulation. Chaque villus est la source d'autant de petits courants ou ruisseaux qui finis- sent par se rencontrer et se confondre, et forment, en grande partie, par leur réunion, une grande rivière qu'on nomme veine-porte, ainsi appelée parce qu'elle porte son contenu, le sang, au foie qu'il pénètre dans toutes ses ramifications. De là, il en sort par la veine hépatique qui se décharge dans la veine-cave abdominale qui, à son tour, se décharge dans l'oreillette droite du cœur. Poursuivant infatigablement, et sans jamais cesser un seul instant, sa course rapide, le sang, avec toutes les substances nutritives diverses que lui a apportées notre bouchée de pain, et après d'être purifié et ranimé dans lea poumons par l'action de l'oxygène de l'air qu'il y rencontre, se promène jusqu'aux extrémités du corps, pénètre tous les organes et apporte à tous sa quote-part convenable de nourriture : à celui-ci, la dentine ; à celui-là, l'ostéine ; à cet autre, la chéline ; à cet autre encore, la chondrine, la kératine, la musculine, et cent autres tissus qu'il serait bien trop long d'énumérer. Et, tous ces tissus divers ou peu s'en faut, ont été nourris d'une manière plus ou moins appréciable par notre bouchée de pain.
Histoire d'une bouchée de pain, Jean Macé
A thorough two-volume commentary on human and animal physiology, eloquently written for a young girl at boarding school:
https://archive.org/details/histoiredunebouc00mac
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