Les amours malheureux d'Adalaïs et du chevalier Raymond au château de Penne La sauvage majesté des ruines du château de Penne (Tarn), leur masse imposante, la hardiesse guerrière de leur position, disent assez quel rôle a dû jouer ce fort inaccessible, à l’époque du Moyen Age. On se sent saisi de terreur quand on voit ces débris grandioses pendre et surplomber à une hauteur effrayante, et écraser encore de leur grandeur renversée le village pittoresque dont les vieilles maisons se pressent autour du roc aigu qui le supporte. Pourtant, ce décor inquiétant fut le théâtre d’une touchante légende se rapportant à un amour malheureux.
C’est qu’en effet le château de Penne fut redoutable et renommé, et l’histoire de ses puissants seigneurs, le récit des divers sièges qu’il supporta, la légende des drames dont ses murs furent les témoins, sont conservés avec honneur dans les archives glorieuses de l’Albigeois.
Pendant ces temps de troubles et de désastres, au milieu des pillages et des incendies de la croisade, le château de Penne est le fort glorieux dans lequel les comtes de Toulouse déposent leurs précieuses archives, les confiant ainsi à la valeur et à la fidélité de ses seigneurs et à la sûreté de ses remparts inaccessibles. La dynastie des comtes de Toulouse va finir ; le traité de 1229 ramène la paix dans leur infortuné royaume ; mais la reine Blanche, qui connaît la bouillante valeur et le patriotisme des sujets de Raymond VII, prend de prudentes précautions : elle demande le démantèlement de plusieurs châteaux forts ; Penne est un des premiers. N’était-il pas, en effet, un des plus redoutables et des plus fidèles ? Les Anglais envahissent le Midi ; l’Albigeois est saccagé. Penne tombe en leur pouvoir, et devient aussi le dernier repaire de ces terribles routiers qui désolèrent la Septimanie. Les guerres du protestantisme éclatent, et Penne joue un rôle sanglant dans toutes les péripéties de ce drame national ; les huguenots, qui s’y étaient réfugiés, ne l’abandonnent qu’après le traité pacificateur de Nérac. La Ligue trouble le Midi de ses désordres ; Penne est toujours le fort envié, et souvent le théâtre sanglant de celle guerre fratricide. Enfin, après cinq siècles de guerres et de révolutions, Penne, comme un vieux guerrier blessé, rentre dans le repos et dans l’obscurité : il avait assez fait, d’ailleurs, pour l’histoire et pour la légende... Sa fidélité inaltérable à ses bien-aimés souverains, ses divers sièges, la haine héréditaire de ses vicomtes envers ceux de Bruniquel, le terrible combat du bâtard de Penne contre son voisin abhorré, dont le sombre théâtre se voit encore sous les ruines informées d’une salle écroulée, sa mission glorieuse de garder les archives des comtes de Toulouse, et tous les combats divers où ses seigneurs figurèrent toujours vaillamment, lui avaient assigné une page éclatante dans l’histoire guerrière de son pays. Mais au milieu de ces traditions sanglantes, dramatiques et glorieuses, se glisse un souvenir tendre et touchant, et les noms d’Adalaïs et de Raymond Jourdain, entourés de tout le prestige poétique de leur amour malheureux, sont soupirés par la légende plaintive. Adalaïs de Penne était une grande dame, célèbre par sa beauté, par ses grâces, et par le charme de son esprit. La petite cour de sa noble vicomté, était renommée par la courtoisie et par l’éclat des joutes et des tournois que les seigneurs voisins y soutenaient en son honneur ; et les sombres tours de son noir château s’illuminèrent souvent des splendeurs de fêtes brillantes : c’était le siècle de la chevalerie. Les troubadours parcouraient le Midi en chantant les attraits incomparables de la dame de leurs pensées et en soutenant vaillamment de leur épée son mérite et ses charmes. Le château de Penne était princièrement ouvert à tous ces poètes guerriers ; tous, à l’envi, chantaient l’honneur, la gloire de la maison de Penne et la beauté de la châtelaine. Parmi eux, le plus beau, le plus chevaleresque, était Raymond Jourdain, vicomte de Saint-Antonin. Aussi noble seigneur que vaillant chevalier et charmant trouvère, il avait voué à la belle Adalaïs son bras et son cœur. Il en était aimé, et c’était paré de ses couleurs, son nom et sa devise à la bouche, qu’il apparaissait redoutable et toujours vainqueur dans les tournois et dans les combats. Les occasions étaient fréquentes et belles, dans ces temps de chevalerie et de guerres, et la bannière des comtes de Toulouse appelait souvent leurs preux chevaliers dans les champs clos et sur les champs de bataille.
Les belliqueux comtes de Toulouse guerroyaient durement et souvent ; ils donnaient peu de repos à leurs fidèles et valeureux chevaliers, et bientôt une guerre lointaine appela sous la bannière de Raymond VI tous ses vaillants guerriers. Le vicomte de Saint-Antonin, entouré de ses hommes d’armes, accourut un des premiers et se trouva toujours au poste le plus périlleux. Il acquit beaucoup de gloire, au nom d’Adalaïs ; mais enfin, trahi par le sort et par sa téméraire bravoure, il tomba sur le champ d’honneur, et la nouvelle de sa mort glorieuse se répandit aussitôt et arriva au donjon de Penne. La tendre Adalaïs rêvait alors de son chevaleresque amant et appelait, de tous les vœux de son cœur, le jour où elle le verrait revenir, plus beau, plus aimable, plus glorieux, plus aimé encore. A celle terrible nouvelle, elle sentit son cœur et tous les liens qui l’attachaient encore au monde se briser pour toujours ; les fêtes, la joie, la gloire, la fortune, la vie tout entière ne lui parurent plus, sans son trouvère bien-aimé, que deuil et tristesse ; elle renferma dans son cœur déchiré le souvenir précieux de son amant et de son amour ; et, quittant pour toujours son vieux et cher château de Penne, elle alla abriter, dans les murs solitaires d’un monastère lointain, le triste trésor de son bonheur perdu. C’est ainsi qu’on aimait, dans ces siècles de foi, de courage et de chevalerie.
Dévoré d’un noir chagrin, le vicomte de Sainl-Antonin s’ensevelit, lui aussi, dans une profonde solitude ; il abandonna les joutes et les tournois, il rejeta son luth, et ne trouva quelques amères consolations que dans les pleurs et dans son désespoir : la tendre Adalaïs méritait bien de pareils regrets. Longtemps Raymond Jourdain resta ainsi abîmé dans sa douleur ; et les nobles dames et les vaillants guerriers déploraient amèrement la perte d’un aussi noble chevalier et d’un aussi charmant trouvère. Or, un jour, une bien grande dame, aussi noble, aussi belle qu’Adalaïs de Penne, la célèbre Elise de Montfort, touchée de la douceur et de la fidélité du vicomte de Saint-Antonin, le fit prier, pour l’amour d’elle, de secouer sa tristesse, et de reprendre, parmi les chevaliers et au milieu des dames, le rang qu’il savait si bien occuper. Raymond Jourdain fut ému, puis touché ; et, reprenant ses armes et son luth, il apparut au milieu de la brillante cour du château de Turenne, entouré de toutes les séductions et du nouveau prestige de ses aventures et de sa tristesse ; les honneurs lui furent prodigués, chacun fêta son retour, et la belle Elise le proclama son chevalier et son trouvère. Le souvenir de la tendre Adalaïs n’était pas sans doute effacé du cœur du vicomte de Saint-Antonin, et souvent des nuages de tristesse obscurcissaient son front ; mais les caresses et le sourire de la séduisante châtelaine venaient aussitôt les dissiper. Cependant, il ne chantait pas encore. Une nuit, qu’il était couché dans une des salles somptueuses du château de Turenne, un amour lui apparut, et, lui reprochant sa longue tristesse, lui demanda, au nom des dames et de l’amour, de reprendre son luth et de chanter comme autrefois. Ce touchant stratagème dissipa la mélancolie de Raymond Jourdain ; il se livra, avec un élan passionné, aux charmes de son nouvel amour et de la poésie, et il composa, pour sa belle Elise de Montfort, les chansons les plus amoureuses. La tendre Adalaïs coula et termina ses jours dans la solitude du cloître et dans la tristesse du cœur. Son immense douleur dut encore s’accroître, puisque, après avoir pleuré Raymond Jourdain mort et perdu pour elle, elle dut le pleurer infidèle et parjure. |
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