During his retirement at Yuste, Charles V decided to stage his own death. Alexandre Dumas, in one of his historical novels, gives the following account of the Kaiser's last years:
Palancia n’était située qu’à dix-huit milles du
monastère de St-Just, de l’ordre des
Hyéronimites, que Charles Quint avait choisi
pour sa retraite et où, dès l’année précédente, il
avait envoyé un architecte chargé de lui bâtir six
chambres de plain-pied dont quatre pareilles à
des cellules de moines, et deux un peu plus
hautes. L’artiste devait en outre dessiner un jardin
sur le dessin que l’empereur en avait tracé lui-même.
Ce jardin, c’était le côté charmant de la retraite
impériale ; il était arrosé à ses deux flancs par une
petite rivière d’eau limpide et murmurante, et tout
planté d’orangers, de limoniers et de cèdres dont
les branches venaient ombrager et parfumer les
fenêtres de l’illustre solitaire.
En 1542, Charles Quint avait visité ce monastère de Saint-Just et l’avait quitté disant :
« Voilà un véritable lieu de retraite pour un autre
Dioclétien.»
L’empereur prit possession de son
appartement au monastère de Saint-Just le 24
février 1557. C’était le jour anniversaire de sa
naissance, et ce jour lui avait constamment été
heureux.
– Je veux, dit-il, en franchissant le seuil du
couvent, renaître pour le ciel, ce même jour où je
suis né pour la terre.
Sur les douze chevaux qu’il avait gardés, il en
renvoya onze ; le dernier lui servit à se promener
quelquefois dans la délicieuse vallée de
Serandilla, éloignée seulement d’un mille et
qu’on appelle le paradis de l’Estramadure.
À partir de ce moment, il conserva peu de
communications avec le monde, ne recevant que
de rares visites de ses anciens courtisans, et une
ou deux fois par année, des lettres du roi
Philippe, de l’empereur Ferdinand et des deux
reines ses sœurs ; sa seule distraction étant les
promenades que nous avons dites, les dîners qu’il donnait par hasard à quelques-uns des
gentilshommes qui le venaient voir et qu’il
retenait jusqu’au soir en disant : « Mes amis,
restez avec moi pour faire la vie de religieux ».
Cette vie dura un an ; mais, au bout d’une
année, elle parut encore trop mondaine à
l’auguste reclus, et le jour anniversaire de sa
naissance, qui était aussi, on se rappelle, celui de
l’entrée de l’empereur au couvent, l’archevêque
de Tolède étant venu lui faire une visite de
félicitation, il lui dit :
– Monsieur, j’ai vécu cinquante-sept ans pour
le monde, un an pour mes plus intimes amis et
serviteurs dans ce lieu désert, et maintenant je
veux donner au Seigneur le peu de mois qui me
restent à vivre.
Et, en conséquence, tout en remerciant le
prélat de sa visite, il le pria de ne plus se donner
la peine de venir le voir que lorsqu’il le ferait
appeler pour le salut de son âme.
En effet, à partir du 25 février 1558,
l’empereur vécut dans une austérité qui égalait
presque celle des moines, mangeant avec eux, se
donnant la discipline, allant exactement au chœur
et ne se permettant d’autre distraction que celle
de faire dire des messes pour cette innombrable
quantité de soldats, de marins, d’officiers et de
capitaines qui étaient morts à son service dans les
différents combats qu’il avait livrés ou fait livrer
dans les quatre parties du monde.
Pour les généraux, les conseillers, les
ministres et les ambassadeurs, des anniversaires
de la mort desquels il tenait un registre
parfaitement exact, il faisait dresser des autels
particuliers et célébrer des messes nominatives,
de sorte qu’on eût dit qu’après avoir mis autrefois
sa gloire à régner sur les vivants, il mettait
maintenant sa religion à régner sur les morts.
Enfin, vers le commencement du mois de
juillet de cette même année 1558, lassé d’assister
aux funérailles des autres, et blasé sur cette
funèbre distraction, Charles Quint résolut
d’assister aux siennes. Cependant il lui fallut quelque temps pour s’habituer à cette idée
quelque peu bizarre ; il craignait d’être taxé ou
d’orgueil, ou de singularité en cédant à ce désir ;
mais enfin l’envie en devint si irrésistible, qu’il
s’en ouvrit à un moine du même monastère,
nommé le père Jean Regola.
Ce fut en tremblant, tant il craignait que le
moine ne vît quelque inconvénient à l’exécution
de ce projet, que Charles Quint en risqua la
confidence ; mais le moine, tout au contraire, à la
grande joie de l’empereur, lui répondit que,
quoique ce fût là une action extraordinaire et sans
exemple, il n’y voyait aucun mal, et qu’il la
considérait même comme pieuse et exemplaire.
Cependant, cette adhésion d’un simple moine
ne parut point, dans une circonstance aussi grave,
suffisante à l’empereur : le père Regola lui offrit
alors de prendre l’avis de l’archevêque de Tolède.
Charles Quint trouva le conseil bon, et
nommant le moine ambassadeur près du prélat, il
le fit partir à mulet avec une escorte pour aller
chercher cette permission tant désirée.
Jamais, aux jours de la puissance temporelle
de Charles Quint, et si important que fût le
message, jamais retour de messager ne fut
attendu avec une pareille impatience.
Enfin, au bout de quinze jours, le moine
revint ; la réponse était favorable. L’archevêque
de Tolède regardait le désir de l’empereur comme
très saint et très chrétien.
À partir de ce retour, qui fut une véritable fête,
on ne s’occupa plus dans tout le couvent que de
préparer la cérémonie funèbre et de la rendre
digne du grand empereur qu’on allait enterrer
vivant.
La première chose que l’on entreprit fut la
construction d’un magnifique mausolée au milieu
de l’église ; le père Vargas, qui était ingénieur et
sculpteur, en fit un dessin que l’empereur trouva
à sa convenance, sauf quelques détails qu’il
retoucha.
Le dessin approuvé, l’on fit venir de Palancia
des maîtres charpentiers et des peintres qui,
pendant cinq semaines, occupèrent à la
confection de ce mausolée vingt personnes par jour. Au bout de cinq semaines, grâce à l’activité
que donnaient à chacun la présence et les
encouragements de l’empereur, le monument fut
achevé. Il avait quarante pieds de long, cinquante
de haut et trente de large : il existait tout autour
des galeries auxquelles on montait par divers
escaliers ; on y voyait une suite de tableaux
représentant les plus illustres empereurs de la
maison d’Autriche et les principales batailles de
Charles Quint lui-même, enfin tout en haut gisait
la bière sans couvercle, ayant à sa gauche la
Renommée, et à la droite l’Immortalité.
Tout étant achevé, on fixa pour ces feintes
funérailles le jour du 24 août au matin.
Dès cinq heures, c’est-à-dire une heure et
demie après le lever du soleil, quatre cents
grosses bougies, teintes en noir, furent déposées
et allumées sur le sarcophage, autour duquel se
tenaient tous les domestiques de l’ex-empereur
habillés de deuil, la tête nue et tenant une torche à
la main. À sept heures, Charles Quint entra vêtu
d’une longue robe de deuil, ayant à chacun de ses
côtés, c’est-à-dire à sa droite et à sa gauche, un moine vêtu de deuil comme lui. Il alla, portant
aussi une torche à sa main, s’asseoir sur un siège
préparé pour lui devant l’autel. Là, immobile, sa
torche appuyée à terre, il écouta, vivant, tous ces
chants faits pour les trépassés, depuis le Requiem
jusqu’au Requiescat, tandis que six moines de
différents ordres disaient six messes basses aux
six autels latéraux de l’église.
Puis, à un moment donné, se levant, il alla,
toujours escorté de ces deux moines, s’incliner
devant le maître-autel, et s’étant mis aux genoux
du prieur :
– Je te demande et supplie, ô arbitre et
monarque de notre vie et de notre mort, dit-il, que
de même que le prêtre prend de mes mains avec
les siennes ce cierge que je lui offre en toute
humilité, de même tu veuilles agréer mon âme
que je recommande à la divine indulgence, et la
recevoir, quand il te plaira, dans le sein de ta
bonté et de ta miséricorde infinie.
Alors le prieur mit le cierge dans un
chandelier d’argent massif que le faux trépassé avait donné au couvent pour cette grande
occasion.
Après quoi Charles Quint se releva, et
accompagné toujours de deux moines qui le
suivaient comme son ombre, il alla se rasseoir sur
son siège.
La messe finie, l’empereur jugea qu’il lui
restait quelque chose à faire et que l’on avait
oublié le plus important de la cérémonie ; il fit
donc lever une dalle du chœur et, au fond d’une
fosse creusée à cet effet, il ordonna qu’on étendît
une couverture de velours noir avec un oreiller
aussi de velours pour former un chevet. Alors,
aidé de deux moines, il descendit dans la fosse, se
coucha roide, les mains jointes sur la poitrine et
les yeux fermés, contrefaisant enfin le mort du
mieux qu’il lui était possible.
Aussitôt le prêtre officiant entonna le De
profundis clamavi, et, tandis que tout le chœur
continuait à le chanter, tous ces moines vêtus de
noir, tous ces gentilshommes et tous ces
serviteurs, en habit de deuil, le cierge à la main,
versant des larmes, se mirent à défiler autour du défunt, le prêtre officiant en tête, et chacun à son
tour lui jetant de l’eau bénite et souhaitant le
repos de son âme.
La cérémonie dura plus de deux heures, tant
ceux qui jetaient l’eau bénite étaient nombreux :
aussi l’empereur fut-il tout trempé à travers sa
robe noire, ce qui, joint au vent que laissaient
passer les fentes de la pierre, vent froid et
funèbre, montant des caveaux mortuaires de
l’abbaye, fit qu’il se releva tout grelottant quand,
resté le dernier dans l’église avec ses deux
moines, il voulut regagner sa cellule.
Aussi, se sentant si engourdi et frissonnant :
– Mes pères, dit l’empereur, je ne sais pas si
en vérité il vaut la peine que je me relève.
En effet, en entrant dans sa cellule, force fut à
Charles Quint de se mettre au lit et, une fois au
lit, il ne se releva plus ; de sorte que moins d’un
mois après la cérémonie feinte, on célébrait la
cérémonie réelle, et que tout ce que l’on avait
préparé pour la fausse mort servit à la mort
véritable.
Ce fut le 21 septembre 1558 que l’empereur
Charles Quint rendit son dernier soupir entre les
bras de l’archevêque de Tolède qui se trouvait par
bonheur à Palancia et qu’il envoya chercher une
dernière fois selon la promesse qu’il lui avait
faite, six mois auparavant, de l’appeler à l’heure
de sa mort.
Il avait vécu cinquante-sept ans, sept mois et
vingt et un jours, il avait régné quarante-quatre
ans, gouverné l’empire trente-huit, et de même
qu’il était né le jour de la fête d’un apôtre, saint
Mathias, le 24 février, il mourut le jour de la fête
d’un autre apôtre, saint Mathieu, c’est-à-dire le
21 septembre.
Le père Strada raconte dans son Histoire des
Flandres que, la nuit même de la mort de Charles
Quint, un lys fleurit dans le jardin du monastère
de Saint-Just, de quoi les religieux ayant été
avertis, ce lys fut exposé sur le grand autel
comme une preuve évidente de la candeur de
l’âme de l’empereur.
C’est une bien belle chose que l’histoire !
aussi, ne nous jugeant pas digne d’être historien,
nous sommes-nous fait romancier.
No hay comentarios:
Publicar un comentario